Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2017 et 10 janvier 2019, la SAS Constructions Bâtiments Immobilier, représentée par la SCPA Bondiguel et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les rappels afférents à l'année 2009 n'ont pas été notifiés dans le délai de reprise, de sorte que la prescription n'a pas été interrompue au sens de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales et du paragraphe 160 de l'instruction BOI-CF-PGR-10-10-20120912 dont elle peut se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;
- la décharge des impositions doit être prononcée dès lors, d'une part, que les rappels sont fondés sur des pièces recueillies dans des conditions illégales dans la mesure où le tribunal correctionnel de Rennes a constaté la nullité des perquisitions et saisies opérées les 12 et 21 octobre 2010 ainsi que des auditions réalisées dans ce cadre et, d'autre part, que le tribunal des affaires de la sécurité sociale du Morbihan a constaté l'insuffisance des éléments restants, notamment les auditions des salariés, pour chiffrer les rappels afférents aux indemnités de grand déplacement.
Par des mémoires, enregistrés les 25 avril 2018 et 17 janvier 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la SAS Constructions Bâtiments Immobilier.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Constructions Bâtiments Immobilier relève appel du jugement du 27 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage, de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et de participation des employeurs à l'effort de construction auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et en 2010 par suite de l'assujettissement à ces taxes de sommes qu'elle déclarait en indemnités de grand déplacement.
2. Aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". Aux termes de l'article L. 82 C de ce livre : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances. (...) ". Eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces dispositions ne permettent pas à l'administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.
3. Il résulte de la proposition de rectification du 21 décembre 2012 qu'après avoir rappelé les conditions dans lesquelles les indemnités de grand déplacement peuvent être versées et sont exonérées de cotisations de sécurité sociale, le vérificateur a motivé les rectifications en litige en indiquant qu'un contrôle diligenté dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, piloté par les services de la gendarmerie nationale de Rennes et les services de l'URSSAF de Loire-Atlantique, a conduit à la rédaction d'un procès-verbal adressé au procureur près le tribunal de grande instance de Rennes, qu'une lettre d'observations, adressée, à l'issue de ce contrôle, par les services de l'URSSAF à la société Constructions Bâtiments Immobilier, conclut à l'infraction de travail dissimulé par minoration des heures de travail, que l'administration fiscale a eu communication de cette lettre à la suite d'une demande adressée le 13 juin 2012 conformément aux articles L. 81 et suivants du livre des procédures fiscales, qu'il ressort de la procédure que les indemnités de grand déplacement ne sont aucunement justifiées dans la mesure où les salariés utilisent les véhicules de la société pour rentrer en fin de journée chez eux et que ces indemnités dissimulent en réalité une partie des heures travaillées par les salariés, que cette pratique a été reconnue tant par la comptable salariée que par le comptable et le chef comptable du cabinet Fiducial lors des différentes auditions, que M. A..., représentant la SAS Constructions Bâtiments Immobilier, a admis, dans son audition du 18 mai 2011, que les salariés se rendaient en principe sur les chantiers avec les véhicules de la société mais également qu'ils pouvaient prendre leur propre véhicule, qu'il a été relevé qu'aucun justificatif d'hébergement n'a été produit par la société Constructions Bâtiments Immobilier, que les indemnités de grand déplacement figurent sur les déclarations annuelles des salaires des années 2009 et 2010 en frais professionnels et dans la comptabilité dans le compte 641 400 et que ces fausses indemnités, dont le versement n'est pas contesté, doivent être assimilées à des salaires taxables aux cotisations de sécurité sociale et donc soumises aux taxes assises sur les salaires conformément aux articles 225, 235 bis et 235 ter du code général des impôts.
4. Il est constant que, par un jugement du 8 avril 2013, devenu définitif, le tribunal correctionnel de Rennes a constaté la nullité des perquisitions et saisies effectuées les 12 et 21 octobre 2010 dans les locaux de la société Constructions Bâtiments Immobilier ainsi que la nullité des auditions du 18 mai 2011 de M. A.... Par un jugement du 18 avril 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Morbihan a annulé le redressement notifié par les services de l'URSSAF de Loire-Atlantique du fait de dissimulation d'emploi salarié par minoration des heures de travail au motif qu'il était uniquement fondé sur le procès-verbal dressé par les services de gendarmerie et que les pièces essentielles de cette procédure ont été annulées par le tribunal correctionnel de Rennes.
5. Il s'ensuit que l'administration fiscale ne peut se prévaloir, pour établir le bien-fondé des impositions en litige, ni des déclarations de M. A... lors de son audition du 18 mai 2011 ni des perquisitions et saisies effectuées les 12 et 21 octobre 2010 qui sont à l'origine du procès-verbal adressé au procureur près le tribunal de grande instance de Rennes et de la lettre d'observations du 21 septembre 2011 des services de l'URSSAF. Par ailleurs, la société fait valoir, sans être contredite, que les pièces justificatives consultées dans le cadre de la vérification de comptabilité faisaient partie des saisies. Si le ministre fait valoir que les rectifications sont essentiellement fondées sur des documents non visés par les nullités contestées par le tribunal correctionnel de Rennes, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que l'administration fiscale, qui ne se prévaut d'aucun élément connu d'elle antérieurement à l'enquête ayant donné lieu à la rédaction du procès-verbal dressé par les services de gendarmerie, se soit principalement fondée sur des éléments de preuve qui n'ont pas été annulés par le juge. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen soulevé, la SAS Constructions Bâtiments Immobilier est fondée à solliciter la décharge des impositions en litige.
6. Il résulte de ce qui précède que la SAS Constructions Bâtiments Immobilier est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la SAS Constructions Bâtiments Immobilier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1503308 du 27 octobre 2017 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La SAS Constructions Bâtiments Immobilier est déchargée des rappels de taxe d'apprentissage, de contribution au développement de l'apprentissage, de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et de participation des employeurs à l'effort de construction auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et en 2010.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Constructions Bâtiments Immobilier une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Constructions Bâtiments Immobilier et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.
Le rapporteur,
F. B...Le président,
F. Bataille
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 17NT037802