Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2014, la société Le Ster, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 30 décembre 2013 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de lui accorder la restitution demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés en première instance et une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés en appel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière dès lors qu'elle est entachée d'une omission à statuer et que sa demande présentée devant le tribunal administratif ne comportait pas une question prioritaire de constitutionnalité ;
- elle ne pouvait pas être imposée à la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dès lors que les dispositions de l'article 1600 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, ne prévoyaient pas les modalités de recouvrement de cette taxe en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution, ce que le Conseil constitutionnel a confirmé par une décision du 28 mars 2013 ;
- les dispositions de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 portent atteinte, du fait de leur caractère retroactif, au principe général du droit communautaire de sécurité juridique, au droit à un recours effectif garanti par les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au droit au respect de ses biens garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
- les dispositions de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, qui la privent, à compter du 11 juillet 2012, de la possibilité de contester l'absence de définition des modalités de recouvrement de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et les principes constitutionnels de sécurité juridique et de non-retroactivité de la loi fiscale ;
- les dispositions de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, en distinguant selon que les contribuables ont déposé leur demande de restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée avant ou après le 11 juillet 2012, méconnaissent les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 août 2014, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens tirés de la méconnaissance de dispositions ou de principes constitutionnels, qui ne peuvent être présentés que dans un mémoire distinct, sont irrecevables ; au surplus, les dispositions de l'article 39 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 ont été jugées conformes à la Constitution ;
- les autres moyens soulevés par la société Le Ster ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet,
- les conclusions de M. Jouno, rapporteur public.
1. Considérant que, par une décision du 26 octobre 2012, le directeur départemental des finances publiques du Morbihan a rejeté la réclamation du 25 juillet 2012 par laquelle la société Le Ster a sollicité auprès de l'administration fiscale la restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont elle s'était acquittée spontanément au titre de l'année 2011 ; que cette société relève appel de l'ordonnance du 30 décembre 2013 par laquelle le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la restitution de cette taxe ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que (...) des moyens irrecevables (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des termes de la demande de première instance que la société Le Ster n'a pas entendu présenter une question prioritaire de constitutionnalité à l'appui de ses conclusions à fin de restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; qu'elle a soutenu qu'elle pouvait bénéficier de la restitution de la taxe additionnelle dont elle s'est acquittée au titre de l'année 2011 dès lors que les modalités de recouvrement de cette taxe, laquelle relève de la catégorie des " impositions de toute nature " au sens de l'article 34 de la Constitution, n'étaient pas fixées par le législateur et que les dispositions de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, qui ont fixé, de manière retroactive, les modalités de recouvrement de cette taxe, ne sont entrées en vigueur qu'à compter du 18 août 2012 conformément à l'article 1er du code civil et méconnaissent le principe de non-rétroactivité des lois posé à l'article 2 du même code ; que, par suite, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes ne pouvait pas rejeter la demande présentée par la société Le Ster, qui ne comportait pas de moyens irrecevables, sur le fondement des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ; que, dès lors, l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité et doit être annulée ;
4. Considérant qu'il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Le Ster devant le tribunal administratif de Rennes ;
Sur les conclusions à fin de restitution :
5. Considérant que la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont il est demandé la restitution a été liquidée sur le fondement des dispositions de l'article 1600 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ; que le I de l'article 39 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 a introduit, après les huit premiers alinéas du III de cet article 1600 du code général des impôts, un 1 bis précisant les modalités de recouvrement de cette taxe additionnelle ; que le II de ce même article 39 précise que : " Le I s'applique aux impositions dues à compter du 1er janvier 2011, sous réserve des impositions contestées avant le 11 juillet 2012 " ;
6. Considérant, en premier lieu, que, par une décision n° 2013-327 QPC du 21 juin 2013, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les dispositions du II de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 ; qu'ainsi, la société requérante n'est pas fondée à invoquer l'absence de modalités de recouvrement de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dès lors qu'elle n'a pas contesté cette imposition avant le 11 juillet 2012 ; qu'en tout état de cause, elle n'est pas davantage fondée à invoquer la méconnaissance, par les dispositions du II de cet article 39, des articles 1er et 2 du code civil, du principe de non-rétroactivité de la loi fiscale, de l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et du " principe constitutionnel de sécurité juridique " ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ; qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ;
8. Considérant que, par une décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit les dispositions des huit premiers alinéas du III de l'article 1600 du code général des impôts, dans leur rédaction résultant de la loi de finances pour 2011, au motif que celles-ci ne prévoyaient pas les modalités de recouvrement de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; que, toutefois, d'une part, l'inconstitutionnalité de ces dispositions était, à la date à laquelle la société requérante a introduit sa réclamation, le 25 juillet 2012, purement hypothétique et ne correspondait pas à une jurisprudence ancienne et constante du Conseil constitutionnel ; que, d'autre part, il ressort notamment des travaux parlementaires relatifs à cette taxe additionnelle que l'intention du législateur avait été de renvoyer aux modalités de recouvrement définies pour l'imposition principale ; que, par ailleurs, si les dispositions de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 définissent explicitement, par leur I, les modalités de recouvrement de la taxe additionnelle, elles n'ont pu, de ce seul fait, faire naître aucune espérance légitime d'obtenir la restitution litigieuse, dès lors qu'elles sont complétées par celles du II qui, en vue de prévenir les contestations à compter du 11 juillet 2012, prévoient une application rétroactive aux impositions dues à compter du 1er janvier 2011 ; que, par suite, la société requérante ne pouvait se prévaloir, à cette date, d'une espérance légitime d'obtenir la restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises acquitée au titre de l'année 2011 ; que, dès lors, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des termes mêmes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le principe de non-discrimination qu'il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par cette convention et par les protocoles additionnels à celle-ci ; qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, la société Le Ster ne peut se prévaloir d'un droit protégé par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que, dès lors, elle ne peut utilement invoquer les stipulations combinées de l'article 14 à cette convention avec celles de cet article ;
10. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. " ; que si la société Le Ster soutient que les dispositions du II de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative méconnaissent, du fait de leur caractère rétroactif, cette stipulation, il ressort des termes mêmes de celle-ci qu'elle ne peut être invoquée que lorsqu'est en cause un droit ou une liberté reconnu par cette convention ; que la société requérante n'invoquant, dans ses écritures, la méconnaissance d'aucun autre droit ainsi protégé que ce droit au recours effectif de l'article 13, ce moyen doit être écarté ;
11. Considérant, en quatrième lieu, que le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ; que tel n'est pas le cas, en l'espèce, de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les dispositions du II de l'article 39 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative ont méconnu ce principe doit être écarté comme inopérant ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par la société Le Ster tendant à la restitution de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qu'elle a acquittée au titre de l'année 2011 doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Le Ster des sommes qu'elle demande au titre des frais exposés tant en appel qu'en première instance et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Rennes est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Le Ster devant le tribunal administratif de Rennes et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Le Ster et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- Mme Aubert, président-assesseur,
- Mme Chollet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 décembre 2016.
Le rapporteur,
L. CholletLe président,
F. BatailleLe greffier,
C. Croiger
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 14NT005482