Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 mai 2019, 30 janvier 2020 et 12 novembre 2020, M. et Mme C..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales restant à leur charge au titre des années 2010 et 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif de Nantes, dans son jugement n° 1607564 du 28 mars 2019 relatif à la SARL Chorus, a considéré que cette société n'avait pas commis d'acte anormal de gestion en rachetant les créances en compte courant détenues par M. C... sur la société Faunus ; cette absence d'acte anormal de gestion emporte l'absence de distribution occulte ;
- l'administration fiscale ne démontre ni l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur réelle des créances, ni l'existence d'une intention, pour l'acquéreur, d'octroyer une libéralité au vendeur ; l'administration fiscale ne démontre donc pas l'existence d'une rémunération occulte au sens du c de l'article 111 du code général des impôts.
Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés les 9 décembre 2020, 20 octobre 2020 et 4 décembre 2020, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. et Mme C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.
- et les observations de Me B..., représentant M. et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Chorus, dont M. C... est l'associé majoritaire et le gérant, exerce une activité de conseil, notamment en matière de gestion patrimoniale. Le 15 mai 2008, M. C... a cédé à la SARL Chorus, pour un euro, les 2 000 parts qu'il détenait dans la SARL Faunus. A cette même date, il a cédé à la SARL Chorus une partie de son compte courant qu'il détenait au sein de la SARL Faunus, pour 131 000 euros. Les 31 mars 2010 et 31 janvier 2011, il a de nouveau cédé des créances en compte courant qu'il détenait sur la SARL Faunus, pour des montants de 169 000 euros et 100 000 euros. La SARL Chorus a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos en 2010, 2011 et 2012. Au cours du contrôle, le vérificateur a constaté qu'une provision pour créance douteuse, d'un montant de 419 028 euros, avait été constituée pour faire face au risque d'irrécouvrabilité de créances détenues sur la SARL Faunus. A l'issue du contrôle, le vérificateur a remis en cause cette provision au motif que l'acquisition de ces créances constituait un acte anormal de gestion. La SARL Chorus a contesté les impositions mises à sa charge à l'issue du contrôle, devant le tribunal administratif de Nantes, et celui-ci a fait droit à sa demande, par un jugement n° 1607564 du 28 mars 2019, au motif que l'administration fiscale ne démontrait pas l'existence d'un acte anormal de gestion. A la suite du contrôle de la société, M. et Mme C... ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces de leurs déclarations de revenus des années 2010 et 2011. L'administration fiscale a estimé que l'acquisition par la SARL Chorus, le 31 mars 2010 et le 31 janvier 2011, des créances que M. C... détenait sur la SARL Faunus pour respectivement 169 000 euros et 100 000 euros devait s'analyser comme des libéralités consenties de manière occulte par la SARL Chorus à son dirigeant et imposables, en tant que revenus distribués, entre les mains de M. et Mme C..., sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts. Le service a également appliqué la majoration pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts. La cession de créance du 15 mai 2008, pour un montant de 131 000 euros, n'a pas donné lieu à rectification, l'année 2008 étant prescrite. Après rejet de leur réclamation et mise en recouvrement, M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à leur charge au titre des années 2010 et 2011. Par un jugement n° 1609649 du 28 mars 2019, le tribunal administratif a conclu au non-lieu à statuer en ce qui concerne les sommes dont le dégrèvement a été prononcé en cours d'instance (article 1er) et rejeté le surplus de leur demande (article 2). M. et Mme C... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
2. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes. ". En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minorée, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions de l'article 111 c du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession, sans ce que cet avantage ne soit assorti d'une contrepartie.
3. Pour démontrer l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale des créances cédées par M. C... à la SARL Chorus en 2010 et 2011, l'administration fiscale fait valoir que la SARL Faunus rencontrait des difficultés financières dès 2008, et qu'il existait donc, dès cette époque, un risque important d'irrécouvrabilité des créances en compte courant cédées par M. C... à la SARL Chorus. M. et Mme C... font valoir, pour leur part, que les difficultés financières ne sont intervenues qu'en janvier 2012, lorsque la filiale de la société Faunus, qui lui livrait des meubles, a brutalement cessé toute relation commerciale. Pour établir l'existence de difficultés financières avant 2012, l'administration fiscale fait référence à un contrôle de la SARL Faunus au titre des années 2004 à 2006. Cependant, si, lors de ce contrôle, l'administration fiscale a constaté que la SARL Faunus avait consenti des avances sans intérêt à ses filiales, un telle circonstance ne saurait caractériser l'existence de difficultés financières. L'administration fiscale fait également référence aux dettes des filiales de la SARL Faunus. Toutefois, s'il est vrai qu'en 2007, les dettes des deux filiales de la SARL Faunus envers cette dernière s'élevaient respectivement à 100 000 euros et 310 000 euros, la dette de la filiale Faunus Ukraine est restée stable les années suivantes, et la dette de 310 000 euros de la société BFB a été ramenée à 210 000 euros en 2010, avant d'augmenter de nouveau pour atteindre 280 000 euros en 2011. Ces chiffres ne sauraient dès lors caractériser une situation financière délicate pour la SARL Faunus au cours des années 2010 et 2011. L'administration fiscale invoque ensuite l'existence d'une marge anormalement basse de la part de la société Faunus. Toutefois, cette marge, comprise entre 2,7 et 8,3% entre 2005 et 2011, s'explique par le fait que cette société avait pour activité l'achat et la revente des meubles fabriquées par ses filiales ukrainiennes. En outre, cette marge est restée globalement stable entre 2005 et 2011. Elle était, à la date des cessions de créance, de 2,75% en 2010 et 4,05% en 2011. De même, le chiffre d'affaires de la société Faunus est également resté stable entre 2005 et 2011. L'administration fiscale met également en avant le fait que la dette bancaire de la société représentait moins de 30% de l'endettement total de la société Faunus. Elle ajoute que M. C... s'est porté caution personnelle pour les emprunts contractés par la SARL Faunus et qu'il avait réalisé un apport en compte courant important, de plus de 400 000 euros. Toutefois, de telles circonstances, qui relèvent d'un schéma de financement propre à la société, ne sauraient caractériser l'existence de difficultés économiques pour la SARL Faunus. Ainsi que le font valoir M. et Mme C..., les échéances bancaires ont en outre été respectées par la société Faunus. En octobre 2009, le crédit mutuel a accordé à la SARL Faunus les sommes de 30 000 euros de facilités de caisse et 200 000 euros de ligne d'escompte commercial. En juillet 2011, cette même banque a également accordé un prêt de 120 000 euros à la société Faunus au titre du fonds de roulement. Ainsi, les éléments mis en avant par l'administration fiscale ne permettent pas de démontrer l'existence de difficultés économiques survenues avant 2012. Dès lors, si l'administration fait valoir qu'au moment de leur cession en 2010 et 2011, les créances en compte-courant cédées par M. C... avaient une valeur quasi-nulle, elle n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la réalité de cette allégation. En l'absence de preuve d'un écart significatif entre le prix convenu et le montant de la cession de créance, le service ne pouvait qualifier les sommes perçues par M. C... à l'occasion de ces cessions de rémunérations ou avantages occultes au sens du c de l'article 111 du code général des impôts. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions à fin de décharge présentées par M. et Mme C....
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le surplus de leur demande.
Sur les frais liés au litige :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C... et non compris dans les dépens
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1609649 du 28 mars 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : M. et Mme C... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux restant à leur charge au titre des années 2010 et 2011.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 25 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. A..., premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
Le rapporteur,
H. A...Le président,
J.-E. Geffray
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 19NT020652