Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er juillet et 2 juillet 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement.
Il soutient que la décision fixant le pays de destination n'a pas été prise en méconnaissance des articles L. 511-1 et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par des mémoires en défense enregistrés les 24 août 2020 et 8 octobre 2020, Mme E..., représentée par Me F..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 3 du jugement attaqué ;
3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande de délivrance d'un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler dans l'attente de ce réexamen et dans un délai de deux jours à compter de la même notification ;
4°) à la mise à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à Me F... en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi sur l'aide juridique.
Elle fait valoir que :
- aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé ;
- le jugement est irrégulier en raison d'une insuffisante motivation dès lors que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur son accès aux soins dans le pays de destination ;
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision méconnait le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en étant entachée d'une erreur de droit ;
- sa demande n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnait les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise en méconnaissance des stipulations articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante de la République démocratique du Congo, née le 28 décembre 1971 à Kinshasa, est entrée en France le 24 octobre 2016 sous couvert d'un visa d'entrée de court séjour valable du 23 octobre au 13 novembre 2016. Sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par une décision du 29 décembre 2017 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Cette décision a été confirmée par un arrêt du 5 juillet 2018 de la Cour nationale du droit d'asile. Elle a, par la suite, sollicité du préfet de la Loire-Atlantique la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 juillet 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a pris à son encontre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré ou tout autre pays pour lequel elle établit être admissible. L'intéressée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 9 juin 2020, le tribunal a annulé l'article 4 de l'arrêté du 19 juillet 2019 en tant qu'il rend possible l'éloignement de Mme E... à destination de la République démocratique du Congo (article 1er), enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de procéder à un nouvel examen de la situation administrative de Mme E... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 2) et rejeté le surplus de sa demande (article 3). Le préfet relève appel de l'article 1er du jugement tandis que Mme E..., par la voie de l'appel incident, demande l'annulation de l'article 3 du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les conclusions d'appel incident de Mme E... :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Pour écarter le moyen tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les premiers juges ont considéré, au point 9 du jugement attaqué, que l'élément produit par Mme E... ne suffisait pas à remettre en cause l'avis rendu le 7 juin 2019 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que s'était approprié le préfet de la Loire-Atlantique, qui avait estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dès lors, les premiers juges n'avaient pas à se prononcer sur l'accès aux soins de Mme E... dans le pays de destination qui avait été fixé. Par conséquent, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter les moyens tirés de l'erreur de droit au regard des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du défaut d'examen particulier de la situation de la requérante, soulevés à l'encontre de la décision de refus de titre de séjour, et le moyen tiré de l'inexacte application par le préfet des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile soulevé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Sur les conclusions d'appel principal du préfet de la Loire-Atlantique portant sur la décision fixant le pays de destination :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nantes :
4. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a produit une lettre émanant du diaconat protestant de Nantes et comportant en pièces jointes un courriel du 19 août 2019 d'un de ses enfants, contenant des photographies non datées, une attestation sur l'honneur d'hébergement de ses enfants et petits-enfants, depuis décembre 2016, par un pasteur de Libreville, datée du 29 février 2020, une photographie de Mme E... qui aurait été prise au Gabon, datée de 2015, une carte de séjour de la République gabonaise au nom de Mme E... expirant le 11 juillet 2017, une carte bancaire gabonaise dont était titulaire la requérante, expirant en 2013, et une carte professionnelle de l'intéressée au Gabon non datée, ainsi que le passeport gabonais de la mère de Mme E..., émis le 3 mars 1997 et expirant le 2 mars 2000. Cependant, cette lettre était postérieure à l'arrêté contesté et il n'est pas établi que les éléments joints avaient été portés à la connaissance du préfet de la Loire-Atlantique préalablement à l'arrêté contesté, la requérante se bornant à faire état du formulaire qu'elle a rempli pour sa demande d'asile devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans sa demande de délivrance d'un titre de séjour, Mme E... mentionne la présence de ses enfants au Gabon mais sans l'établir, en ne produisant que leurs actes de naissance. Dès lors, en se prononçant sur les liens familiaux de Mme E... uniquement dans son pays d'origine, la République démocratique du Congo, et non au Gabon, le préfet n'a pas entaché la décision fixant le pays de destination d'un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision fixant le pays de destination en tant qu'elle rend possible l'éloignement de Mme E... à destination de la République démocratique du Congo.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... à l'encontre de la décision fixant le pays de destination tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme E... à l'encontre de la décision fixant le pays de destination :
7. En premier lieu, l'arrêté en cause a été signé par Mme B..., directrice des migrations et de l'intégration de la préfecture de la Loire-Atlantique. Par un arrêté du 2 avril 2019 publié le jour même au recueil des actes administratifs de la préfecture de ce département, le préfet lui a donné délégation à l'effet de signer notamment les décisions portant refus de titre de séjour assorties ou non d'une mesure d'obligation de quitter le territoire. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait.
8. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de destination comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle se réfère notamment à la nationalité congolaise de l'intéressée et à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'absence de justification par l'intéressée de l'existence d'une menace personnelle en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation qui révèlerait un défaut d'examen particulier de la situation de Mme E... constitutif d'une erreur de droit doit être écarté.
9. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que l'avis du collège des médecins de l'Office français de protection de l'immigration et de l'intégration a été pris au terme d'une procédure irrégulière est sans influence sur la légalité de la décision fixant le pays de destination.
10. En quatrième lieu, il résulte du point 3 que le moyen tiré de ce que l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour et de la décision portant obligation de quitter le territoire français entache d'illégalité la décision fixant le pays de destination doit être écarté.
11. En cinquième lieu, la décision fixant le pays de destination mentionne que Mme E... pourra être reconduite d'office à la frontière à destination de son pays d'origine ou de tout autre pays pour lequel elle établit être admissible. Contrairement à ce que soutient la requérante, aucune disposition législative ou réglementaire, et notamment l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'impose au préfet de la Loire-Atlantique de désigner nominativement un pays de destination.
12. En sixième lieu, les pièces jointes à la lettre émanant du diaconat protestant de Nantes et mentionnées au point 5 ne sont pas suffisamment probantes, au regard de leurs contenus et de leurs dates, pour établir la présence des enfants de Mme E... au Gabon à la date de l'arrêté contesté. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté préfectoral serait entaché d'une erreur de fait doit être écarté.
13. En septième lieu, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 12, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être, en tout état de cause, écarté.
14. En huitième et dernier lieu, les éléments médicaux et notamment le certificat médical du 11 avril 2018 qui se borne à faire état d'un " suivi psychiatrique dans le cadre d'un vécu traumatique qui serait survenu en République démocratique du Congo en 2014 " ne suffisent pas à établir la réalité de risques auxquels Mme E... serait personnellement exposée en cas de retour vers la République démocratique du Congo. Dans ces conditions, le préfet de la Loire-Atlantique n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en fixant le pays de destination.
15. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er et 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'article 4 de l'arrêté du 19 juillet 2019 en tant qu'il rend possible l'éloignement de Mme E... à destination de la République démocratique du Congo et enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la situation administrative de Mme E... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, d'autre part, que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal a rejeté le surplus de sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions présentées pour Mme E... à fin d'injonction sous astreinte et au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1909271 du 9 juin 2020 du tribunal administratif de Nantes sont annulés.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées pour Mme E..., ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et sa demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes et dirigée contre la décision fixant le pays de destination sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... E....
Copie en sera adressée au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 25 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. Brasnu, premier conseiller,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
La rapporteure,
P. D...
Le président,
J-E. GeffrayLa greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01806