Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er août 2018 et 22 janvier 2020, la SARL LGB, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée restant à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est irrégulière en raison du défaut de motivation de la proposition de rectification ;
- l'administration fiscale ne démontre pas le caractère imposable des sommes inscrites sur le compte " tva à régulariser " ;
- elle est fondée à demander la compensation de la taxe sur la valeur ajoutée grevant des factures d'achat de marchandises auprès de ses fournisseurs ;
- les dépenses de travaux réalisés sur le bâtiment d'exploitation constituent des charges déductibles ; l'existence d'un accord oral entre les parties prévoyant la prise en charge de ces travaux par le locataire est établie par le fait que la société s'est comportée en maître d'oeuvre des travaux ; ces charges peuvent également être admises en déduction en l'absence de convention écrite ;
- l'administration fiscale ne justifie pas du caractère délibéré du manquement.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 15 avril 2019 et 28 février 2020, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SARL LGB ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., pour la SARL LGB.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Le Grand Bazar (LGB) exploite à Guingamp un établissement au sein duquel elle exerce une activité de solderie. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er août 2009 au 31 juillet 2012 en matière d'impôt sur les sociétés, étendue jusqu'au 28 février 2013 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue du contrôle, le service a procédé à des rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les sociétés, et a appliqué la majoration pour manquement délibéré prévue à l'article 1729 du code général des impôts en ce qui concerne le chef de rectification relatif au compte " tva à régulariser ". A la suite de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, le service a abandonné une partie des rectifications. Après mise en recouvrement et rejet partiel de sa réclamation, la société a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er août 2009 au 28 février 2013. En cours d'instance, le service a prononcé un dégrèvement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à concurrence de 2 159 euros en droits et de 302 euros en pénalité. Par un jugement n° 1601690 du 30 mai 2018, le tribunal administratif de Rennes a prononcé un non-lieu à statuer en ce qui concerne ces montants (article 1er) et a rejeté le surplus de la demande (article 2). La société relève appel de l'article 2 de ce jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ".
3. La société fait valoir que la proposition de rectification est insuffisamment motivée en ce qui concerne le chef de rectification relatif à la " tva à régulariser ". Cependant, il ressort de la proposition de rectification que le vérificateur a bien rappelé les dispositions applicables en matière de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée, et notamment les dispositions prévoyant que la taxe devient exigible lors de la livraison des biens. Pour justifier des motifs de cette rectification, le vérificateur a constaté que, sur chacun des exercices vérifiés, le compte 44580000 " tva à régulariser " présentait un solde créditeur. Le vérificateur en a donc déduit que ce solde, duquel il a déduit le solde de l'année précédente, aurait dû donner lieu à une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée. Ce faisant, le vérificateur a mis à même le contribuable de comprendre le raisonnement suivi, afin que ce dernier puisse ensuite discuter utilement des motifs de cette rectification. En outre, le fait que ce chef de rectification soit uniquement fondé sur des constatations comptables ne saurait constituer un défaut de motivation. Enfin, contrairement à ce que soutient la société, cette rectification procédant d'une constatation comptable, aucun calcul n'était nécessaire pour aboutir aux montants rectifiés. Il suit de là que la SARL LGB n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ont été méconnues.
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 269 du code général des impôts : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : a) Au moment où la livraison (...) est effectué [e] ; (...) 2. La taxe est exigible : a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 (...), lors de la réalisation du fait générateur ; (...) ".
5. Pour établir le caractère imposable des sommes de 6 264 euros et 9 887 euros, le service a constaté que le compte 44580000 " tva à régulariser " présentait un solde créditeur à la fin des exercices 2010-2011 et 2011-2012. Le service en a donc déduit que la différence entre le solde de ce compte au titre d'un exercice et le solde de l'année précédente aurait dû faire l'objet d'une déclaration de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que l'indique l'intitulé de ce compte. Ce faisant, le service justifie bien du caractère imposable des sommes en cause. De son côté, la société ne développe aucun argument permettant de remettre en cause le raisonnement suivi par le service à la suite de ces constatations comptables. De même, si la société fait valoir que cette rectification ne pouvait uniquement se fonder sur des constatations comptables, elle n'établit ni même n'allègue que ses propres comptes auraient été entachés d'un défaut de sincérité. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a procédé aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en cause.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. ". L'article L. 205 du livre des procédures fiscales prévoit que : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ".
7. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable pendant la période d'imposition : " I. 1 La TVA qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la TVA applicable à cette opération. (...) / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (...) ".
8. Pour justifier du bien-fondé de la mesure de compensation qu'elle sollicite, la société produit des factures comportant des montants " hors taxes " et " toutes taxes comprises " identiques. Ces factures ne mentionnent donc aucune taxe sur la valeur ajoutée et ne répondent ainsi pas à la condition fixée par l'article 271. Si la société fait valoir que l'absence de mention de la taxe sur la valeur ajoutée ne fait pas nécessairement obstacle à la déductibilité de la taxe, elle n'apporte toutefois aucun élément permettant de démontrer que les conditions de fond posées pour l'exercice du droit à déduction auraient été remplies en l'espèce, notamment la collecte de cette taxe par l'émetteur de la facture. Par suite, la société n'est pas fondée à solliciter une mesure de compensation.
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
9. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
10. La SARL LGB a réalisé, à ses frais, des travaux sur son bâtiment d'exploitation. Elle a ensuite déduit le montant figurant sur deux factures. La première facture, datée du 30 avril 2010, portait comme libellé " Béton et fibre métallique pour dalle béton " pour un montant de 5 679,31 euros hors taxes. La seconde, datée du 19 mai 2010, portait sur des " travaux de couverture (dépose ancienne gouttière, ancien faîtage, remplacement de pannes, pose descente zinc, rallongement de chéneau) et remplacement de 35 tôles. ", pour un montant hors taxes de 5 338 euros. Les conditions générales du bail locatif conclu entre la société LGB et son propriétaire, Mme C..., stipulent que les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil restent à la charge du bailleur.
11. Pour remettre en cause la déductibilité de cette facture, le service a d'abord constaté que les travaux en cause pouvaient être qualifiés de " grosses réparations " au sens de l'article 606 du code civil. Le service en a déduit que, en vertu des stipulations prévues dans le bail, de telles réparations incombaient de ce fait au bailleur. L'administration fiscale fait en outre valoir que la société ne fait état d'aucune contrepartie qui aurait pu justifier qu'elle prenne en charge elle-même ces travaux. Enfin, l'administration précise également qu'il existait une communauté d'intérêts entre la société et le propriétaire des locaux, Mme C..., celle-ci étant l'épouse du gérant de la société LGB et salariée de la société.
12. Si la société LGB fait d'abord valoir que les travaux en litige portaient sur une réfection partielle de la toiture et ne pouvaient donc être qualifiés de " grosses réparations ", elle ne produit aucun élément au soutien de cette allégation. La société fait également valoir qu'elle a conclu un accord oral avec le propriétaire. Elle précise que cet accord aurait été conclu dans l'urgence, à la suite de la tempête Xinthia. Cependant, le seul fait que la société LGB se soit comportée comme le maître d'oeuvre des travaux ne saurait constituer une preuve de l'existence d'un accord oral. En outre, la société ne justifie nullement de l'intérêt qu'elle aurait eu à conclure un tel accord, aucune baisse de loyer n'ayant été convenue entre elle et le propriétaire. Enfin, si la société fait valoir que de telles charges peuvent être admises en déduction en l'absence de convention écrite, ainsi que le prévoit notamment l'instruction administrative BOI-BIC-CHG-40-20-10 n°130 10-6-201, tel n'est pas le cas en l'espèce puisque le bail conclu entre la société et le propriétaire prévoyait expressément la prise en charge des grosses réparations par ce dernier. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le service a remis en cause la déductibilité de ces factures.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
13. Aux termes de l'art 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".
14. Le service a appliqué une majoration de 40 % pour manquement délibéré en ce qui concerne le chef de rectification relatif au défaut de régularisation de la taxe figurant sur le compte de " tva à régulariser ". Pour appliquer cette majoration, le service a tenu compte du fait que cette omission résultait directement de constatations comptables faites lors du contrôle. Le service a également tenu compte du fait que la société ne pouvait de bonne foi ignorer qu'elle était tenue de régulariser le solde de taxe sur la valeur ajoutée figurant sur ce compte, cette insuffisance ayant été communiquée au gérant de la société par le cabinet d'expertise-comptable de la société dans le cadre de la révision annuelle du bilan. L'administration a enfin pris en compte le fait que l'omission avait été répétée sur chacun des exercices contrôlés et que les insuffisances étaient importantes. Dès lors, l'administration apporte la preuve qui lui incombe du caractère délibéré de ce manquement.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL LGB n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le surplus de sa demande. Par conséquent, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL LGB est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée LGB et au ministre des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.
Le rapporteur,
H. A...Le président,
F. Bataille
La greffière,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 18NT029692