Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2015, M.A..., représenté par Me B...et MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 12 mars 2015 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société à responsabilité limitée (SARL) FCM Bat a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, ainsi que la décharge de l'amende pour infraction aux règles de facturation mise à la charge de cette société, au paiement solidaire desquels il a été condamné en application de l'article 1745 du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les poursuites engagées à son encontre sont irrégulières ; le titre exécutoire que constitue le jugement du tribunal correctionnel de Blois du 1er mars 2011 est irrégulier dès lors qu'il ne mentionne pas le montant des sommes dues en principal et en pénalités ; aucun avis de mise en recouvrement ne lui a été notifié ;
- l'administration n'établit pas l'existence de factures de complaisance ; les prestations de sous-traitance n'ont pu être réalisées par les salariés de la société FCM BAT qui ne disposait pas de moyens humains suffisants ;
- il conteste l'existence de manoeuvres frauduleuses ;
- l'amende pour infraction aux règles de facturation n'est ni motivée ni justifiée ;
- elle n'a pas été notifiée à l'aide d'un interprète ce qui est contraire à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen nouveau tiré de l'irrégularité des poursuites n'est pas recevable ;
- les autres moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet,
- les conclusions de M. Jouno, rapporteur public.
1. Considérant qu'à l'issue de deux vérifications de comptabilité ayant porté sur les périodes du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2005 et du 1er janvier au 31 décembre 2006, la société à responsabilité limitée (SARL) FCM BAT, qui exerce une activité de travaux de maçonnerie générale, s'est vu notifier, par deux propositions de rectification des 20 novembre 2007 et 15 avril 2008, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée déductible à raison notamment de factures que l'administration a regardées comme étant de complaisance, ainsi que l'amende prévue par les dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts ; que M.A..., gérant de la SARL FCM BAT, relève appel du jugement du 12 mars 2015 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments d'imposition au paiement solidaire desquels il a été condamné en application de l'article 1745 du code général des impôts ;
Sur les conclusions tendant à la décharge de l'imposition :
En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
2. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services ; que dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance ; que si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération ;
3. Considérant que l'administration a remis en cause la déduction par la SARL FCM BAT de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur des factures de sous-traitance émises par les entreprises Fabati, Erkel, Ucar Bâtiment, Akil Bati, Safirbati, Batimétal et Batim, inscrites au registre du commerce et des sociétés, à concurrence de 65 173 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004, de 99 600 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2005 et de 41 601 euros pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2006, au motif que ces sociétés, auxquelles la SARL FCM BAT s'est adressée en qualité de sous-traitantes, n'avaient pas les moyens humains pour réaliser les prestations qu'elles ont facturées ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour établir l'existence de factures de complaisance, l'administration s'est fondée sur la circonstance que ces sociétés, dont la durée moyenne d'existence a été de vingt-quatre mois, n'ont déposé aucune déclaration annuelle de salaires sur la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, hormis la société Batim qui a déclaré avoir employé un salarié pendant quatre-vingt-dix-huit heures du 29 septembre au 31 décembre 2006 mais ne disposait ainsi d'aucun personnel pour les travaux facturés au titre des mois d'août et septembre 2006 ; que l'administration fait également valoir que des investigations menées auprès de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) lui ont permis de constater que les sociétés Akil Bati et Safirbati n'ont déposé aucune déclaration unique d'embauche entre la date de leur création et la cessation de leur activité, que la société Fabati n'a déposé une telle déclaration que le 7 décembre 2004, alors que sa prestation facturée s'est achevée le 30 octobre 2004, que la société Erkel n'a déclaré que deux salariés le 14 septembre 2004, alors que sa prestation a été facturée le 31 juillet 2004, et que les salariés de la société Ucar Batiment étaient employés par la SARL FCM BAT au cours de la période de réalisation des prestations ; qu'en outre, l'administration a constaté que la SARL FCM BAT a déposé des déclarations uniques d'embauche pour les ouvriers présents sur ses chantiers, que les contrôles des salariés présents sur les chantiers effectués par les donneurs d'ordre n'ont pas permis de constater la présence de personnel qui aurait été employé par les sociétés sous-traitantes et que le dépôt de ces déclarations uniques d'embauche n'a été suivi que très partiellement de la déclaration des salariés qu'elles mentionnent ; que M. A...fait valoir que la SARL FCM BAT ne disposait pas de moyens humains suffisants pour réaliser les prestations qui lui ont été facturées, qu'elle a payé ces factures, que ses propres salariés ont pu être concomitamment employés par les sociétés les ayant émises, qu'il comprend mal le français et ignorait devoir s'assurer des conditions d'emploi de leurs salariés par ses sous-traitants ; que par ces seules allégations, il ne conteste pas utilement les constatations faites par l'administration qui apporte ainsi la preuve de l'existence de factures de complaisance ; que, dès lors, l'administration était fondée à remettre en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur ces factures ;
5. Considérant que les moyens tirés de l'irrégularité du titre exécutoire que constitue le jugement du tribunal correctionnel de Blois du 1er mars 2011 et de l'absence d'envoi d'un avis de mise en recouvrement au nom et à l'adresse du requérant, qui sont relatifs à sa condamnation solidaire au paiement des suppléments d'imposition, ne sont pas utilement invoqués au soutien de conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'ils doivent, dès lors et en tout état de cause, être écartés ;
En ce qui concerne la majoration pour manoeuvres frauduleuses :
6. Considérant que M. A...ne saurait utilement contester des pénalités pour manoeuvres frauduleuses selon lui indûment appliquées par l'administration, dès lors que de telles pénalités envisagées au stade de la proposition de rectification n'ont pas été mises en recouvrement, l'administration ayant renoncé à les appliquer ;
En ce qui concerne l'amende pour factures fictives ou de complaisance :
7. Considérant que les propositions de rectification des 20 novembre 2007 et 15 avril 2008 visent le 1° du I de l'article 1737 du code général des impôts et précisent les faits sur lesquels l'application de l'amende infligée à la SARL FCM BAT sont fondés ; que cette amende est, dès lors, suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales ;
8. Considérant qu'aux termes du I de l'article 1737 du code général des impôts : " I.- Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : / 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients (...) ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom ; / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'administration, lorsqu'elle envisage de mettre en recouvrement l'amende fiscale qu'elles prévoient, d'apporter la preuve que les faits retenus à l'encontre du redevable entrent dans les prévisions de cet article ;
9. Considérant que l'administration a appliqué l'amende de 50 % au montant des factures établies par les sociétés auxquelles la société requérante soutient avoir recouru en qualité de sous-traitantes ; qu'il résulte des faits mentionnés au point 4 du présent arrêt que la SARL FCM BAT ne pouvait pas ignorer que ces sociétés ne disposaient pas du personnel nécessaire pour effectuer les prestations facturées et que la facturation ne portait pas, en conséquence, sur des prestations réalisées par elles ; qu'il suit de là que M. A...n'est pas fondé à demander la décharge de l'amende, alors même que la réalité des prestations est établie ;
10. Considérant qu'aux termes du 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " (...) Tout accusé a droit notamment à : / a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; / (...) " ; que l'amende fiscale prévue au 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts est au nombre des sanctions administratives constituant des " accusations en matière pénale " au sens des stipulations du 3 de l'article 6 de la convention ; qu'un contribuable peut invoquer la méconnaissance de ces stipulations pour contester la procédure d'établissement d'une pénalité fiscale lorsque la mise en oeuvre de cette procédure risque d'emporter des conséquences de nature à porter atteinte de manière irréversible au caractère équitable d'une procédure engagée devant le juge de l'impôt ;
11. Considérant que si M.A..., qui maîtrise mal la langue française, a pu ne pas comprendre la teneur des propositions de rectifications, et notamment les passages relatifs à l'amende de 50 % appliquée en raison de l'existence de factures de complaisance, le seul fait pour l'administration de ne pas avoir mis à sa disposition une traduction en langue turque de ces documents au cours de la procédure d'établissement de l'amende n'était pas de nature à porter une atteinte irréversible au caractère équitable de la procédure ultérieurement engagée devant le juge de l'impôt ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
Sur la décharge de l'obligation solidaire de paiement :
12. Considérant que M. A...peut être regardé comme demandant la décharge de l'obligation solidaire de paiement mise à sa charge sur le fondement de l'article 1745 du code général des impôts aux motifs que le jugement du tribunal correctionnel de Blois du 1er mars 2011, qui constitue le titre exécutoire sur lequel l'administration s'est fondée, ne précise pas le montant des sommes dues en droits et pénalités et qu'il n'a pas été destinataire d'un avis de mise en recouvrement établi à son nom et envoyé à son adresse ; que le ministre soutient sans être contredit que ce jugement, qui n'a fait l'objet d'aucun recours, est devenu définitif ; que M. A...conteste ainsi un jugement ayant force exécutoire et qui constitue de par sa nature même un titre exécutoire suffisant pour fonder les poursuites engagées à son encontre sans que le comptable soit tenu, en application des dispositions de l'article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, de lui notifier un avis de mise en recouvrement ; que, dès lors, les conclusions du requérant tendant à la décharge de l'obligation solidaire de paiement, qui au surplus sont nouvelles en appel, doivent être rejetées ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Aubert, président de chambre,
- M. Delesalle, premier conseiller,
- Mme Chollet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 mars 2017.
Le rapporteur,
L. CholletLe président,
S. Aubert
Le greffier,
C. Croiger
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT01501