Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 décembre 2019 et 28 août 2020, la SCEA Champ Bouquetot, représentée par Me Corouge, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le montant de l'indemnité pour perte d'exploitation a été calculé lors de l'expertise du Crédit foncier expertise (CFE) qui comporte une estimation du fonds de commerce de la société à responsabilité limitée (SARL) Haras de Bouquetot ; il a été fixé par un expert immobilier indépendant ; l'absence de concours de la SARL Haras de Bouquetot à la mission de l'expert ne réduit pas la portée démonstrative de l'expertise ;
- l'indemnité pour perte d'exploitation a été calculée en fonction du contexte de la résiliation du bail rural ; elle est cohérente au regard de l'existence du prêt à usage et de l'activité agricole de la SARL Haras de Bouquetot, qui ne peut être réputée avoir cessé ou changé d'activité ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas fondée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juin 2020 et 15 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SCEA Champ Bouquetot ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Geffray,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 novembre 2012, la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Champ Bouquetot, propriétaire des terres et herbages sur une surface de 116,5 hectares, et la société à responsabilité limitée (SARL) Ile Bouquetot, propriétaire du manoir, dépendances et parc sur une surface de 3,5 hectares, ont vendu leurs biens à la société civile immobilière (SCI) Haras de Bouquetot. Compte tenu de cette vente, le bail rural et le bail à construction consentis à la SARL Haras de Bouquetot, exploitant des activités équestres, ont été résiliés le 19 novembre 2012 par la SCEA Champ Bouquetot. Celle-ci a déduit de l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'année 2012 une charge exceptionnelle correspondant à une indemnité pour perte d'exploitation d'un montant de 3 470 000 euros qu'elle a versée à la SARL Haras de Bouquetot. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 30 novembre 2013, l'administration fiscale, par proposition de rectification du 29 juillet 2014, a remis en cause cette charge et réintégré son montant dans les bases de l'impôt sur les sociétés. La SCEA Champ Bouquetot a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012. Par un jugement du 16 octobre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. La SCEA Champ Bouquetot relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés :
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ".
3. Si, en vertu des règles gouvernant la dévolution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
4. Pour justifier du principe et du montant de la charge qu'elle a entendu déduire de son résultat imposable, la société requérante se prévaut principalement d'une expertise du Crédit Foncier Expertise du 17 septembre 2012. Toutefois, cette expertise porte sur la valorisation d'une indemnité d'éviction au titre de la résiliation du bail à construction, d'une indemnité d'éviction au titre de la résiliation du bail rural et sur la ventilation du prix de vente entre la SARL Ile Bouquetot et la SCEA Champ Bouquetot, propriétaires des biens vendus, et non explicitement sur une indemnité de perte d'exploitation. Au demeurant, une telle indemnité, tant dans son principe que ses modalités de détermination, n'est prévue ni par les dispositions légales et réglementaires ni par les parties lors de la conclusions des actes.
5. Par ailleurs, le montant retenu dans l'acte de résiliation des baux au titre d'une indemnité pour perte d'exploitation, soit 3 470 000 euros, correspond, sans aucune explication, à une évaluation sur la base de données économiques générales, qui est sans lien avec la réalité de l'activité de la SARL Haras du Bouquetot et de la valeur du fonds de cette dernière, à partir de données issues principalement de l'Institut Français des Courses et de l'Equitation. Cette indemnité versée correspond à cinquante-quatre années du dernier chiffre d'affaires de la SARL Haras du Bouquetot alors que l'expert du Crédit Foncier Expertise avait vainement demandé à la SCEA Champ Bouquetot et à la SARL Ile Bouquetot la communication des conventions de
sous-location et les états des chiffres d'affaires du locataire preneur.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
6. L'administration fait valoir que l'importance du rehaussement constaté par rapport au revenu déclaré et la circonstance que le dirigeant des sociétés Champ Bouquetot et Haras du Bouquetot ne pouvait ignorer que, d'une part, la comptabilisation de la charge litigieuse dans les comptes de la SCEA Champ Bouquetot permettait à celle-ci de diminuer le montant de l'impôt et la comptabilisation du produit dans les comptes de la SARL Haras du Bouquetot permettait l'utilisation d'une partie du déficit reportable et, d'autre part, la SARL Haras de Bouquetot n'exerçait aucune activité agricole d'éleveur et d'entraîneur de chevaux depuis le 23 avril 2009 du fait d'un prêt à usage consenti à une tierce personne et ne pouvait par conséquence prétendre à une indemnité pour perte d'exploitation. Ainsi, l'administration, qui justifie l'intention de soustraire la SCEA à une partie de l'impôt, apporte la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un manquement délibéré justifiant la pénalité au taux de 40 % infligée à la société requérante sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA Champ Bouquetot n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCEA Champ Bouquetot est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile d'exploitation agricole Champ Bouquetot et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 9 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 septembre 2021.
Le rapporteur,
J.E. GeffrayLe président,
F. Bataille
La greffière,
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04798