Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2019, Mme G..., M. A... F... et M. D... H..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2019 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, de réexaminer les demandes de visa ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont commis une erreur de fait relative aux dates de transcription du jugement supplétif, laquelle erreur révèle, en outre, un défaut d'examen sérieux du dossier par la juridiction et notamment l'absence de prise en considération des explications apportées devant elle dans un mémoire en réplique ;
- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions ;
- elle est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ces stipulations.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 novembre 2019 et le 7 février 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 21 février 2020 par une ordonnance du 5 février 2020 prise en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire en production de pièces, présenté par Mme G... et les autres requérants, a été enregistré, postérieurement à la clôture de l'instruction, le 24 août 2020.
Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 août 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les observations de Me C..., représentant Mme G....
Considérant ce qui suit :
1. Mme G..., ressortissante de la République démocratique du Congo, est entrée en France en 2012. Le 24 février 2014, la qualité de réfugiée lui a été reconnue. Le 18 mai 2015, des demandes de visa de long séjour ont été déposées par Steve F... N'Dom et Samuel H... que Mme G... présente comme ses deux fils, nés à Kinshasa, respectivement, le 22 août 1996 et le 19 octobre 1997. Par une décision du 27 octobre 2016, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a maintenu les refus de visa opposés à ces demandes au motif que les documents d'état civil produits n'étaient pas conformes à l'article 60 du code civil congolais et que, par suite, l'identité et le lien familial entre les demandeurs et Mme G... n'étaient pas établis. Mme G..., M. A... I... et M. D... H... relèvent appel du jugement du 13 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes, a rejeté la demande tendant à l'annulation de cette décision du 27 octobre 2016.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - (...) / Les membres de la famille d'un réfugié sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / (...), ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. A l'appui de leurs demandes de visa, M. A... I... et M. D... H... ont produit les copies intégrales des actes de naissance dressés le 3 avril 2015, lesquels transcrivent un jugement collectif supplétif d'actes de naissance rendu le 8 janvier 2013 par le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe. A l'appui du recours formé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, les intéressés ont également produit la copie d'actes de naissance dressés cette fois le 15 janvier 2013 et établis sur le fondement du même jugement supplétif du 8 janvier 2013.
5. D'une part, ainsi que l'a reconnu le ministre de l'intérieur devant les premiers juges, le motif sur lequel s'est fondée la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, tiré de la non-conformité des actes de naissance établis le 15 janvier 2013, évoqués au point précédent, à " l'article 60 du code civil congolais " est erroné dès lors qu'il est constant que ce texte étranger n'existe pas. Le ministre de l'intérieur a, au soutien d'une demande de substitution de motifs, fait valoir que ces actes étaient dépourvus de valeur probante, la transcription ayant été réalisée avant l'expiration du délai d'appel de trente jours prévu par l'article 67 du code de procédure civile de la République démocratique du Congo, dont il a versé des extraits aux débats. Toutefois, cette circonstance ne permet pas, par elle-même, de mettre en cause l'exactitude des mentions relatives à l'identité des intéressés ou à leur filiation et figurant aussi bien dans le jugement supplétif que dans les actes de naissance du 15 janvier 2013 le transcrivant. Au demeurant, si l'article 74 du code de procédure civile mentionné ci-dessus prévoit que l'appel est suspensif, le ministre n'apporte aucun élément permettant de démontrer que, en République démocratique du Congo, les jugements rendus en matière civile seraient, même en l'absence d'appel, dépourvus de caractère exécutoire jusqu'à l'expiration du délai d'appel.
6. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 4 du présent arrêt, le jugement collectif supplétif d'actes de naissance du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe du 8 janvier 2013 a fait l'objet de deux transcriptions, l'une dans les registres de l'année 2013, conformément à l'article 106 du code de la famille de la République démocratique du Congo, et l'autre dans les registres de l'année 2015. Les requérants expliquent que, afin de constituer les dossiers de demande de visa, lesquels ont été déposés le 18 mai 2015, ils ont, à la demande des autorités consulaires, sollicité la délivrance de copies récentes d'acte de naissance et que l'officier d'état-civil ayant reçu leur demande a, à tort, procédé à une nouvelle transcription du jugement supplétif, dans les registres de l'année 2015 et, par suite, à l'établissement de nouveaux actes de naissance en date du 3 avril 2015. Alors que le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément permettant de douter de la sincérité de cette explication, il ressort des mentions parfaitement concordantes portées sur les actes de 2013 et ceux de 2015 que M. A... I... et M. D... H... sont nés à Kinshasa, respectivement, le 22 août 1996 et le 19 octobre 1997 et ont pour mère Mme B... G..., née le 22 janvier 1975 à Mbuji-Mayi. Dans ces conditions, l'irrégularité constatée ne démontre pas l'inexactitude des informations relatives à l'identité et à la filiation de M. A... I... et M. D... H....
7. Enfin, les actes de naissance litigieux mentionnent, contrairement au jugement du 8 janvier 2013, les lieux et date de naissance ainsi que les professions des parents. Néanmoins, le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément de nature à démontrer que, selon le droit et les usages locaux, les actes de naissance dressés sur transcription d'un jugement supplétif d'acte de naissance ne peuvent contenir des informations autres que celles figurant sur ce jugement alors que, par ailleurs, l'article 118 du code de la famille de la République démocratique du Congo exige que " l'acte de naissance énonce : (...) b) les noms, l'âge, les profession et domicile des père et mère ". Surtout, les mentions essentielles, relatives à l'identité et à la filiation des intéressés, portées sur les actes de naissance sont, en l'espèce, la fidèle transcription du jugement du 8 janvier 2013, dont le ministre ne démontre pas le caractère frauduleux en se prévalant de son intervention tardive, seize et quinze ans après les événements qu'il relate et de la circonstance qu'il a été rendu par le tribunal le jour même de sa saisine.
8. Il suit de là qu'en estimant que l'identité et le lien familial entre les demandeurs et Mme G... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3 du présent arrêt.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 27 octobre 2016.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à M. A... I... et à M. D... H.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me C..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 27 octobre 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. A... I... et à M. D... H... un visa de long séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me C... la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... G..., M. A... I..., M. D... H... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, président assesseur,
- Mme E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
K. E...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04046