Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2020, Mme C... E... et M. B... G..., représentés par Me H..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 septembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 18 décembre 2018 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... le visa sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
le jugement attaqué est irrégulier pour avoir omis de statuer sur le moyen tiré de l'erreur de droit relative au risque de détournement de l'objet du visa ;
la motivation de la décision contestée est insuffisante, laquelle procède d'un défaut d'examen de leurs situations ;
la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant au risque de détournement de l'objet du visa ;
la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas) ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...'hirondel,
et les observations de Me F..., substituant Me H..., représentant Mme E... et M. G...
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... E..., de nationalité haïtienne née le 27 avril 1964, a sollicité auprès des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince, la délivrance d'un visa de court séjour afin de rendre visite à son fils, M. B... G..., ressortissant français né le 15 février 1988. Par une décision du 25 juillet 2017, les autorités consulaires ont refusé de délivrer le visa sollicité. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le 26 octobre 2017 le recours formé contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 7 décembre 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande. Par une décision du 18 décembre 2018, le ministre de l'intérieur a maintenu le refus de visa. Mme C... E... et M. B... G... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 septembre 2019 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du ministre.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / (...) ". En vertu de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". Il incombe à l'administration, lorsqu'elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête introduite devant un tribunal administratif, d'établir que l'intéressé a régulièrement reçu notification de la décision attaquée.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la décision contestée du 18 décembre 2018 notifiée à Mme E... le 28 décembre suivant ne comportait pas la mention des voies et délais de recours prévus par les dispositions précitées du code de justice administrative. Dès lors, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que la demande de Mme E... et de M. G..., enregistrée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2019, était tardive.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article 32 du code communautaire des visas : " Sans préjudice de l'article 25, paragraphe 1, le visa est refusé: / (...) s'il existe des doutes raisonnables sur l'authenticité des documents justificatifs présentés par le demandeur ou sur la véracité de leur contenu, sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé ". Selon l'annexe II de ce code : " Liste non exhaustive de documents justificatifs / Les justificatifs visés à l'article 14, que les demandeurs de visa doivent produire, sont notamment les suivants : (...) / Documents permettant d'apprécier la volonté du demandeur de quitter le territoire des états membres : / 1) un billet de retour ou un billet circulaire, ou encore une réservation de tels billets; 2) une pièce attestant que le demandeur dispose de moyens financiers dans le pays de résidence; 3) une attestation d'emploi: relevés bancaires; 4) toute preuve de la possession de biens immobiliers; 5) toute preuve de l'intégration dans le pays de résidence: liens de parenté, situation professionnelle. "
5. Pour rejeter la demande de visa formée par Mme E..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le risque sérieux de détournement de l'objet du visa sollicité à des fins migratoires faute pour l'intéressée d'établir avoir, en Haïti, des attaches professionnelles, matérielles ou familiales susceptibles de constituer des garanties solides de retour.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... E... vit, à Haïti, en concubinage avec M. J..., né le 31 décembre 1960 avec lequel elle a eu trois enfants : Wilnette, Jesula et Alêne nées respectivement les 6 février 1991, 23 septembre 1995 et 15 novembre 1999. Elle produit, par ailleurs, les attestations de scolarité de ses filles D... et Alêne ainsi qu'une attestation de loyer selon laquelle elle s'acquitte régulièrement des loyers et des charges de l'appartement qu'elle occupe depuis 2013. Eu égard à ses fortes attaches familiales dans son pays d'origine, alors qu'il n'est pas établi, ni même allégué que l'intéressée ait manifesté son souhait de se maintenir irrégulièrement sur le territoire français, il ne ressort pas des mêmes pièces du dossier que Mme E... ait l'intention de s'établir durablement en France. Par suite, en se fondant sur un risque de détournement de l'objet du visa sollicité à des fins migratoires, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, ni les autres moyens de la requête, que Mme E... et M. G... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard à ses motifs et à ceux du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 décembre 2018, devenu définitif, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... le visa sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de procéder à cette délivrance, sous réserve d'une évolution des circonstances de fait ou de droit, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 septembre 2019 et la décision du ministre de l'intérieur du 18 décembre 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, sous réserve d'une évolution des circonstances de fait ou de droit, de délivrer à Mme C... E..., le visa de court séjour qu'elle a sollicité dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme E... et à M. G... la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme C... E..., à M. B... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
Mme Douet, président-assesseur,
M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
M. I...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00064