Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 janvier 2020, Mme J... C..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 juillet 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 27 octobre 2016 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration de lui délivrer le visa de long séjour sollicité dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
la copie de l'acte de naissance présentée à l'appui de la demande de visa comporte bien la signature du déclarant contrairement à ce qu'a retenu la commission ;
les autres anomalies dont fait état le ministre tirées de la méconnaissance des dispositions de l'article 136 du code de la famille de la République centrafricaine ne sont pas de nature à ôter à l'acte de naissance présenté son caractère probant ;
en tout état de cause, la copie conforme de l'acte de naissance n°1531, communiquée le 12 novembre 2018 par le président de la délégation spéciale de la commune de Bimbo, établit la réalité du lien de filiation ;
subsidiairement, la possession d'état est, en l'espèce, justifiée par les pièces produites ;
la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé en s'en remettant principalement à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... F..., ressortissante centrafricaine, née le 19 janvier 1974, a épousé le 20 août 2011 à Vénissieux (Rhône) M. B... I..., également de nationalité centrafricaine. Ce dernier a déposé le 4 février 2015 une demande de regroupement familial en faveur, notamment, de Mme J... C..., née le 14 novembre 1999 à Bimbo et de nationalité centrafricaine, qu'il présente comme la fille de sa conjointe issue de son union avec M. G... C.... La demande de regroupement familiale a été accueillie favorablement par le préfet du Rhône suivant une décision du 1er octobre 2015. La demande de visa de long séjour déposée par Mme C... dans le cadre de cette procédure auprès des autorités consulaires françaises à Bangui a été rejetée par ces dernières par une décision du 14 juillet 2016. Le recours formé le 14 septembre 2016 à l'encontre de cette décision a été rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France par une décision du 27 octobre 2016. Mme F... et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par un jugement du 19 juillet 2019, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Mme C... relève appel de ce jugement.
2. En premier lieu, si la venue de Mme J... C... a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait cependant pas obstacle à ce que l'autorité consulaire rejette la demande de visa dont elle est saisie à cette fin pour des motifs d'ordre public, au nombre desquels figure le défaut de valeur probante de l'acte de filiation produit.
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Pour établir le lien de filiation allégué entre Mme J... C... et Mme D... F... ont été produits deux duplicatas de l'acte de naissance n°1531 dressé le 16 novembre 1999 par l'officier d'état civil de la commune de Bimbo.
6. Aux termes de l'article 135 du code de la famille de la République centrafricaine : " L'acte de naissance est rédigé immédiatement et signé du déclarant et de l'Officier de l'Etat Civil. ". Aux termes de l'article 136 même code : " L'acte de naissance doit énoncer le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les nom et prénoms qui lui sont donnés, les nom, prénoms, âge, lieu de naissance, profession et résidence habituelle du déclarant ; (...) ". L'article 169 de ce code prévoit que " toute copie d'état-civil doit être rigoureusement conforme à l'original de l'acte; elle doit porter en outre, toutes les mentions marginales figurant au registre ".
7. Il résulte des pièces du dossier que les deux duplicatas d'acte de naissance présentés à l'appui des demandes de visa présentent entre eux des discordances, celui produit devant les autorités consulaires françaises à Bangui ne mentionnant aucune déclaration de reconnaissance de l'enfant contrairement à celui qui a été produit devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. En outre, en méconnaissance des dispositions de l'article 136 de ce code, les actes ne précisent ni l'heure, ni le lieu de la naissance de l'enfant, ni l'âge des déclarants, en l'espèce, les parents. Ces duplicatas ne comportent pas, non plus, la signature des déclarants. A la date de la décision contestée, la levée d'acte effectuée auprès des services de l'état-civil centrafricain par les autorités françaises à des fins de vérification de l'acte d'état civil produit n'a conduit à la délivrance d'aucun acte permettant de procéder à cette vérification laquelle s'avérait nécessaire compte tenu de ces anomalies. De plus, alors que Mme D... F... a déclaré avoir accouché à la maternité de Bégoua, ce centre médical a attesté, le 25 novembre 2015, que l'intéressée n'avait pas accouché dans son établissement, les duplicatas de l'acte d'état civil produits n'indiquant pas, au surplus, et ainsi qu'il a été dit, le lieu de naissance de l'intéressée. Il ne ressort pas des pièces du dossier, que l'ensemble des anomalies ainsi relevées proviendrait, ainsi que le soutient la requérante, d'un dysfonctionnement des services d'état civil centrafricain. Ainsi, la commission n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en écartant comme non probants ces documents.
8. Par ailleurs, à défaut de justifier les pièces produites pour se voir délivrer un passeport, lequel ne précise pas le lien de filiation allégué, le passeport biométrique de Mme C... ne saurait suppléer aux insuffisances des actes d'état civil produits à l'appui de la demande de visa. De même, l'intéressée ne saurait se prévaloir du jugement du 11 février 2015 du tribunal de grande instance de Bangui déléguant l'autorité parentale à Mme D... F... dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que ce jugement se fonde sur une copie d'acte de naissance qui n'est pas produite dans la présente instance.
9. En cours d'instance devant le tribunal administratif de Nantes, Mme C... a communiqué le courrier du président de la délégation spéciale de la commune de Bimbo transmettant une copie certifiée conforme de l'acte de naissance établie par l'officier d'état civil de la commune de Bimbo le 19 novembre 2018. Toutefois, le document produit, qui contient les mêmes insuffisances que le duplicata d'acte de naissance produit devant la commission, n'est pas de nature, compte tenu de l'ensemble des anomalies relevées au point 7, à établir le lien de filiation allégué.
10. En deuxième lieu, l'article 311-14 du code civil prévoit que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant. Selon l'article 460 du code de la famille de la République centrafricaine : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir. / La possession d'état doit être continue : / Les principes de ces faits sont : / 1°/ que l'individu a toujours porté le nom de ceux dont on le dit issu ; / 2°/ que ceux-ci l'ont traité comme leur enfant et qu'il les a traités comme ses père et mère ; / 3°/ qu'ils ont en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien et à son établissement ; ·/ 4°/ qu'il est reconnu pour tel dans la société et dans la famille, que l'autorité publique le considère comme tel ".
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... F... réside en France depuis 2003 alors que la requérante était âgée de quatre ans. Mme C... n'établit pas qu'à la date de la décision contestée, Mme F... pourvoyait de manière continue à son éducation, à son entretien et à son établissement. En particulier, les quelques transferts d'argent effectués vers la République centrafricaine les 22, 25 et 26 octobre 2018, qui sont au surplus postérieurs à la décision contestée, n'établissent pas une possession d'état continue. Cette prise en charge ne peut résulter des transferts d'argent effectués par M. I... au profit d'un autre enfant resté en Centrafrique, ces transferts étant, en tout état de cause insuffisants dès lors qu'ils n'ont été effectués qu'à compter de 2015. Dans ces conditions, si la requérante produit une attestation de fréquentation scolaire du proviseur du lycée Barthélémy Boaganda de Bangui en date du 25 octobre 2017 selon laquelle elle a suivi dans cet établissement son cursus scolaire depuis l'année 2012-2013 et que sa scolarité a été entièrement prise en charge par Mme F..., elle n'apporte aucun élément permettant à la cour d'apprécier la réalité de cette prise en charge. Par ailleurs, si Mme F... a effectué un voyage en Centrafrique avec son mari, cette circonstance ne saurait être regardée comme établissant qu'elle pourvoyait de manière continue à l'éducation, à l'entretien et à l'établissement de la requérante. Quant aux quelques photographies produites par Mme C..., elles ne sauraient établir une possession d'état au sens des dispositions de l'article 460 du code de la famille de la République centrafricaine. La requérante ne saurait, enfin, se prévaloir des déclarations faites par M. I... lors de sa demande de naturalisation et retranscrites dans un procès-verbal de décembre 2003, selon lesquelles il serait le père de deux autres enfants résidant en Centrafrique, cette circonstance ne permettant pas d'établir le lien de filiation avec Mme F.... De même, la circonstance que cette dernière aurait toujours fait état de son existence dans le cadre de ses demandes auprès de la préfecture du Rhône, ce qui ne ressort au demeurant pas des pièces du dossier, est sans incidence.
12. En dernier lieu, à défaut d'établir le lien de filiation allégué, Mme C... ne peut soutenir que la décision contestée porterait une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
Mme Douet, président-assesseur,
M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
M. H...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00088