Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2020, et un mémoire, enregistré le 16 juin 2020, le préfet de la Sarthe demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 janvier 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. D....
Il soutient que :
- la fin de non-recevoir opposée par M. D... doit être écartée ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il n'avait pas à entendre M. D... entre, d'une part, l'intervention de la décision de la Cour nationale du droit d'asile rejetant le recours de celui-ci contre la décision de refus d'asile que lui avait opposé l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, d'autre part, l'adoption de son arrêté portant obligation de quitter le territoire français ;
- le surplus des moyens présentés en première instance par le requérant est infondé.
Par un mémoire, enregistré le 2 avril 2020, M. D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors, d'une part, qu'elle ne contient l'exposé d'aucun moyen précis et, d'autre part, qu'il n'est pas établi que son signataire ait qualité pour ce faire.
- les moyens soulevés à l'appui de la requête d'appel ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 octobre 2019, dont le bénéfice a été expressément maintenu par une décision du 6 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 5 novembre 2014 dans l'affaire C166/13 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me C..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant arménien né le 11 mai 1991, est entré en France le 16 octobre 2017 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a, le 15 décembre suivant, formé une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 28 février 2019, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 18 juillet suivant. Par un arrêté du 2 août 2019, le préfet de la Sarthe lui a notamment fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en application des 1° et 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 3 janvier 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté. Le préfet de la Sarthe relève appel de ce jugement.
Sur les fins de non-recevoir opposées par M. D... :
2. D'une part, dans sa requête d'appel, le préfet de la Sarthe fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, son arrêté n'a pas méconnu le droit de M. D... d'être entendu. Ainsi, cette requête contient l'exposé d'au moins un moyen, ainsi que l'exige l'article R. 411-1 du code de justice administrative, dont les dispositions sont applicables à la procédure d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code.
3. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le signataire de la requête d'appel, chef du bureau de l'asile, de l'éloignement et du contentieux de la préfecture de la Loire-Atlantique, avait reçu délégation du préfet de ce département pour signer les mémoires devant la cour administrative d'appel en cas d'absence ou d'empêchement du directeur de la citoyenneté et de la légalité. Or il n'est pas établi que ce dernier n'ait pas été absent ou empêché. Par suite, l'auteur de la requête était compétent pour la signer, contrairement à ce qui est allégué par M. D....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger (...), à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. (...) ".
5. Le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise consécutivement au refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus définitif de ces mesures de protection. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
6. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance du statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ainsi que les titres de séjour associés à ces différentes formes de protection, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour en qualité de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire et à présenter tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande d'asile, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise consécutivement à un tel refus.
7. Il ressort des pièces du dossier qu'antérieurement à l'arrêté contesté, du 2 août 2019, M. D... a pu exposer, notamment au cours de l'audience qui s'est tenue devant la CNDA le 11 juillet 2019, les motifs s'opposant à son retour dans son pays d'origine. Par suite, le droit de l'intéressé d'être entendu a été satisfait avant que n'intervienne le refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié et du bénéfice de la protection subsidiaire, qui lui a été opposé par la décision de la CNDA du 18 juillet 2019. C'est donc à tort que le premier juge a annulé la décision contestée au motif qu'elle ne respectait pas le droit d'être entendu.
8. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur le surplus des moyens soulevés devant le tribunal administratif et la cour.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français mentionne les dispositions législatives sur lesquelles elle repose ainsi que les faits pris en considération par l'autorité administrative. Elle répond ainsi à l'exigence de motivation fixée par le I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorité administrative aurait manqué d'examiner la situation particulière de l'intéressé avant d'adopter l'arrêté contesté.
11. En troisième lieu, en adoptant l'obligation de quitter le territoire français contestée sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet s'est borné à tirer les conséquences du rejet définitif de la demande de l'intéressé tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugié et au bénéfice de la protection subsidiaire. Contrairement à ce qui est soutenu, il n'a pas méconnu l'étendue de sa propre compétence en agissant de manière " automatique " à la suite de la décision précitée de la CNDA.
12. En quatrième lieu, ainsi qu'il ressort de ce qui a été dit au point 7 ci-dessus, M. D... doit, en tout état de cause, être regardé comme ayant bénéficié, préalablement à l'adoption de l'arrêté contesté, d'une procédure contradictoire telle que celle exigée par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.
13. En cinquième lieu, le requérant soutient que l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, d'une part, si, ainsi que l'a reconnu la CNDA, le requérant a pu subir, en 2017, des faits de harcèlement et de rackets, dus à l'action d'un oligarque arménien, l'existence de risques actuels n'est, compte tenu notamment du décès de cet oligarque en 2018, pas établie par les pièces versées au dossier. D'autre part, plus généralement, il ne ressort pas des pièces du dossier que des motifs exceptionnels ou humanitaires s'opposeraient à l'éloignement du requérant. Ainsi, ce moyen doit être écarté.
14. En sixième lieu, compte tenu de la brièveté du séjour du requérant en France à la date d'adoption de l'arrêté contesté, de la faiblesse de ses liens sur le territoire, et de la présence dans son pays d'origine d'attaches familiales, le préfet ne saurait être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. En septième lieu, aux termes du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français " l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". En l'espèce, il ressort certes des pièces du dossier que le requérant fait l'objet d'un suivi médical mensuel. Toutefois, aucun élément du dossier ne permet d'estimer que l'arrêt de ce suivi aurait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ni de considérer qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un tel suivi en Arménie. Par conséquent, le moyen tiré d'une méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le délai de départ :
16. Eu égard à ce qui vient d'être dit, l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, soulevée à l'appui de la contestation de la décision fixant le délai de départ volontaire, ne peut qu'être écartée.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
17. Eu égard à ce qui vient d'être dit, l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, soulevée à l'appui de la contestation de la décision fixant le pays de destination, ne peut qu'être écartée.
18. Pour les motifs exposés au point 13 ci-dessus, le moyen tiré d'une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de remise du passeport et obligation de présentation :
19. En premier lieu, par un arrêté du 2 janvier 2019, régulièrement publié, le préfet de la Sarthe a donné délégation au directeur de la citoyenneté et de la légalité, signataire de l'arrêté contesté, pour signer notamment les obligations de quitter le territoire français et les décisions connexes à ces obligations. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté, en ce qu'il porte obligation de remise du passeport et obligation de présentation, doit être écarté.
20. En deuxième lieu, l'arrêté contesté mentionne l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, il comprend une décision portant obligation de quitter le territoire français qui, ainsi qu'il a été dit, est suffisamment motivée tant en droit qu'en fait. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet arrêté, en tant qu'il porte obligation de remise du passeport et obligation de présentation, ne peut qu'être écarté.
21. En troisième lieu, eu égard à ce qui vient d'être dit, l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, soulevée à l'appui de la contestation de la décision portant obligation de remise du passeport et obligation de présentation, ne peut qu'être écartée.
22. En quatrième lieu, compte tenu des risques de non-exécution de la mesure d'éloignement, le préfet a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation ni au demeurant porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir du requérant, l'assigner à résidence sur le fondement de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, à ce titre, l'obliger à remettre son passeport et à se présenter périodiquement aux services préfectoraux.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Sarthe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 28 février 2019, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 800 euros à Me C.... Par suite, ce jugement doit être annulé et la demande de première instance, de même que les conclusions présentées en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1909442 du 3 janvier 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. B... D... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par Me C... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2020.
Le rapporteur,
T. A...Le président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00253
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