Par une requête, enregistrée le 5 mars 2020, M. G... M..., représenté par Me I..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le ministre n'a pas procédé à un examen complet et sérieux des demandes ;
- sa décision souffre d'un défaut de motivation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- son lien de paternité avec l'enfant B... F... ne peut être remis en question dès lors qu'il a été admis par le jugement du 26 mars 2019 dont le ministre n'a pas relevé appel ;
- en se fondant sur l'absence de mentions relatives à la profession des parents dans le jugement supplétif concernant ses filles A... et Divine pour estimer que les actes de naissance dressés en transcription n'étaient pas authentiques, le ministre de l'intérieur, qui, en outre, ne démontre pas la méconnaissance des règles régissant l'état-civil en République démocratique du Congo, a commis une erreur de droit ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3 §1 et 10 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La clôture de l'instruction a été fixée au 13 juillet 2020 par une ordonnance du 23 juin 2020.
Le ministre de l'intérieur a présenté un mémoire en défense, enregistré, postérieurement à la clôture de l'instruction, le 26 août 2020.
M. G... M... a présenté de nouvelles pièces, enregistrées, postérieurement à la clôture de l'instruction, le 27 août 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et les administrations ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme H... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... G... M..., ressortissant de la République démocratique du Congo, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 22 octobre 2014. Par une décision du 3 octobre 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les refus opposés par les autorités consulaires françaises aux demandes de visa, présentées en qualité de membres de famille de réfugié, par Mme D... J... et les enfants A... L... G..., Divine O... G... et Fanny F... G... N.... Consécutivement à l'annulation de la décision de la commission, prononcée par le tribunal administratif de Nantes dans son jugement n° 1811059 du 26 mars 2019, le ministre de l'intérieur a réexaminé les demandes et, par une décision du 21 juin 2019, les a rejetées. M. G... relève appel du jugement du 7 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et les administrations : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
3. En l'espèce, la décision contestée, en tant qu'elle concerne les trois enfants que le requérant présente comme ses filles, renvoie de manière générale au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans préciser quelle règle de droit et notamment quelles dispositions de ce code son auteur a entendu appliquer. En outre, pour confirmer les refus de visa opposés à A... L... G... et à Divine O... G..., le ministre de l'intérieur s'est borné à énoncer que " leurs actes de naissance comportent des anomalies qui leur ôtent toute valeur probante et ne permettent pas d'établir leur identité et leur lien de filiation ". Les anomalies sur lesquelles le ministre se fonde ne sont pas identifiées. Une telle motivation ne met pas les destinataires de la décision à même d'en contester utilement la légalité. Dès lors, la décision du ministre de l'intérieur du 21 juin 2019, en tant qu'elle confirme les refus de visa opposés à A... L... G..., Divine O... G... et Fanny F... G... ne satisfait pas à l'exigence de motivation qui résulte des dispositions citées au point précédent.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). ". L'article L. 411-2 de ce code dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". L'article L. 411-3 du même code prévoit : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
6. D'une part, le requérant justifie d'un jugement supplétif d'acte de naissance RCE 2407 du 26 novembre 2015 par lequel le tribunal pour enfants K... siégeant en matière civile et gracieuse a ordonné à l'officier d'état-civil de la commune de Matete de transcrire dans ses registres les naissances de l'enfant A... L... G... et de l'enfant E... O... G..., survenues, respectivement, le 14 juin 2001 et le 18 février 2004 à Kinshasa, dont le père est M. C... G... M... et la mère Mme D... J.... Il ressort des écritures de première instance du ministre de l'intérieur que les anomalies entachant selon lui les actes de naissance des enfants A... L... G... et Divine O... G... et l'ayant conduit à estimer que leur identité et leur lien de filiation avec M. G... M... n'étaient pas établis résident dans la mention sur les actes considérés, établis le 11 janvier 2016, de la profession des parents alors que le jugement supplétif d'acte de naissance au vu duquel ces actes ont été dressés ne comporte pas cette information. Toutefois, cette circonstance, à supposer qu'elle traduise une irrégularité au regard du droit et des usages locaux, ce que le ministre ne démontre pas, n'est pas, par elle-même, de nature à regarder le jugement supplétif comme frauduleux. Les passeports détenus par les intéressées permettaient au ministre de s'assurer que les enfants ayant demandé les visas de long séjour sont bien les enfants concernés par le jugement supplétif. Par suite, en estimant que l'identité des intéressées et leur lien de filiation avec M. G... M... n'étaient pas établis, le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. D'autre part, pour confirmer le refus de visa opposé à l'enfant B... F... G... N..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur l'absence de certificat de décès de la mère ou de jugement de déchéance de l'autorité parentale. Le requérant indique, de manière concordante avec les déclarations faites le 28 juillet 2014 devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qu'il a été informé, alors qu'il se trouvait en France, du décès de la mère de sa fille Fanny F.... Par ailleurs, il ressort d'un jugement du tribunal pour enfant du 20 janvier 2016 que la mère de l'enfant avait délégué l'exercice de l'autorité parentale sur sa fille à son frère. Il ressort de ce même jugement, qui, contrairement aux allégations du ministre, n'a nullement pour objet d'autoriser la délégation de l'autorité parentale par l'oncle de la fillette au père de celle-ci, que la garde et l'exercice de l'autorité parentale sont désormais exclusivement confiés à M. G... M.... Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, en refusant de délivrer, au titre de la réunification familiale, un visa de long séjour à l'enfant B... F... G... M..., le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 752-1, L. 411-2 et L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. G... M... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 21 janvier 2019 en tant seulement que cette décision confirme les refus de visa opposés aux enfants A... L... G..., Divine O... G... et Fanny F... G... N....
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. D'une part, eu égard au motif d'annulation énoncé au point 7 du présent arrêt, l'exécution de celui-ci implique nécessairement la délivrance d'un visa de long séjour à l'enfant B... F... G... N.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
10. D'autre part, dès lors que le requérant ne conteste pas en appel que la mère de sa fille Divine O... n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il ne résulte pas de l'instruction que, à la date du présent arrêt, l'exercice de l'autorité parentale lui aurait été confié par une décision juridictionnelle ni que la mère de cet enfant aurait consenti au départ de cette dernière sans elle, il y a seulement lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer, à la lumière des motifs du présent arrêt, la demande de visa présentée par Divine O..., dans un délai de soixante jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il appartiendra au ministre de l'intérieur, dans le cadre de ce réexamen, de tenir compte des éléments nouveaux produits, le cas échéant, devant lui, comme, par exemple, une décision juridictionnelle confiant, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, l'enfant à M. G... M... ainsi que l'autorisation de la mère de l'enfant.
11. Enfin, eu égard au motif d'annulation énoncé au point 6 et à la circonstance que l'enfant A... L... G... est désormais majeure, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à cette dernière d'un visa de long séjour. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. G... M... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E:
Article 1er : La décision du ministre de l'intérieur du 21 juin 2019 est annulée en tant qu'elle concerne A... L... G..., Divine O... G... et Fanny F... G... N....
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, d'une part, de délivrer, dans le délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt, un visa de long séjour à Fanny F... G... N... et à A... L... G... et, d'autre part, de procéder, dans le délai de soixante jours à compter de la notification du présent arrêt, au réexamen de la demande de visa présentée par Divine O... G....
Article 3 : L'Etat versera à M. G... M... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 février 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... G... M..., Mme D... J..., A... L... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, président assesseur,
- Mme H..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
K. H...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00851