Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 mars 2020, M. D... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 octobre 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 octobre 2019 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais et de renouveler son attestation de demandeur d'asile dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté de transfert :
- il n'est pas suffisamment motivé en droit ;
- il est entaché d'un défaut de base légale faute de mentionner les dispositions ayant permis de fonder la responsabilité des autorités autrichiennes ;
- l'arrêté est intervenu en méconnaissance de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il était fiancé à la date de l'arrêté à une ressortissante afghane avec laquelle il entretenait une relation stable au sens de l'article 2 g) du même règlement avant leur union traditionnelle intervenue le 15 février 2020 ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, et d'une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à sa situation familiale ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'arrêté de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2020, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au non-lieu à statuer.
Il soutient qu'il n'y a plus lieu à statuer sur la requête de M. A... dès lors que la France va examiner sa demande d'asile.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan né en 1992, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 15 août 2019, selon ses déclarations, et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine le 21 août suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités autrichiennes. La préfète d'Ille-et-Vilaine a alors adressé aux autorités autrichiennes une demande de prise en charge de l'intéressé, que ces mêmes autorités ont explicitement acceptée le 12 septembre 2019 sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 10 octobre 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine a, d'une part, ordonné la remise de M. A... aux autorités autrichiennes et, d'autre part, l'a assigné à résidence. M. A... relève appel du jugement du 17 octobre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur l'étendue du litige :
En ce qui concerne la décision de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle est notifié à l'administration le jugement par lequel le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet pour procéder à l'exécution de la décision de transfert du requérant vers l'Autriche a été interrompu par la saisine du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter de la notification à l'administration, le 17 octobre 2019, du jugement attaqué. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas non plus reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, l'arrêté en cause est caduc à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile de l'intéressé, sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du requérant relatives à l'annulation de l'arrêté prononçant son transfert vers l'Autriche.
En ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. L'arrêté portant assignation à résidence de l'intéressé ayant été exécuté et ayant produit des effets, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à son annulation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. M. A... invoque, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté portant assignation à résidence, l'illégalité de la décision du même jour portant transfert auprès des autorités autrichiennes.
7. L'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ".
8. L'arrêté de la préfète d'Ille-et-Vilaine du 10 octobre 2019 portant transfert de M. A... auprès des autorités autrichiennes s'il vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de Genève, la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers, se borne à viser le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans préciser les dispositions constituant le fondement légal du transfert de M. A... en Autriche. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêté du 10 octobre 2019 est insuffisamment motivé en droit et à en invoquer, pour ce motif, l'illégalité.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à invoquer l'illégalité de la décision portant transfert auprès des autorités autrichiennes et à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 octobre 2019 décidant son assignation à résidence.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
10. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert attaquée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par M. A..., le présent arrêt, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de Me C... au titre des frais exposés dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... aux fins d'annulation de la décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du 17 octobre 2019 portant transfert auprès des autorités autrichiennes.
Article 2 : Le jugement n° 1905079 du 17 octobre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes, en tant qu'il rejette les conclusions de M. A... dirigées contre la décision du 10 octobre 2019 portant assignation à résidence, et la décision du 10 octobre 2019 de la préfète d'Ille-et-Vilaine portant assignation à résidence de M. A..., sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me C..., avocat de M. A..., au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2020.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00749