Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 février 2020, M. F... E... et Mme C... E..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 novembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'annuler la décision du 18 janvier 2019 de l'autorité consulaire française à Mutsamadu-Anjouan (Comores)
4°) d'enjoindre, sous astreinte, à l'autorité administrative de délivrer un visa de long séjour à Mme C... E... dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
le jugement attaqué est irrégulier pour être insuffisamment motivé en tant qu'il écarte la possession d'état pour justifier du lien de filiation ;
En ce qui concerne la décision de l'autorité consulaire :
cette décision est entachée d'un vice de procédure en l'absence d'information de la mise en oeuvre de vérifications auprès de l'autorité étrangère compétente en méconnaissance des dispositions de l'article 22-1 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000, ce qui entache, par suite, la décision de la commission de recours ;
En ce qui concerne la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
la décision implicite de la commission de recours a été prise par une autorité incompétente ;
l'administration ne saurait remettre en cause, sans commettre d'erreur de droit, la valeur probante du jugement supplétif à défaut d'établir son caractère frauduleux ;
pour avoir écarté la valeur probante des actes d'état civil et du jugement supplétif, la décision est entachée d'erreur d'appréciation ;
la possession d'état est établie par les pièces versées au dossier ;
la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le lien de filiation est établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête de M. E... n'est fondé en s'en remettant notamment à ses écritures de première instance.
M. F... E... n'a pas été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 2 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
la loi n°91-647 du 10 juillet 1991
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... E..., née le 12 août 2001 et de nationalité comorienne, a déposé le 8 janvier 2019, une demande de visa de long séjour auprès de l'autorité consulaire à Mutsamadu-Anjouan, en qualité de descendante d'un ressortissant français, en l'occurrence M. F... E..., né le 5 juillet 1997. L'autorité consulaire a refusé de lui délivrer le visa sollicité par une décision du 18 janvier 2019. M. E... a exercé auprès de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France un recours contre la décision consulaire, qui a été enregistré le 4 février 2019. Une décision implicite de rejet, née du silence gardé sur ce recours, est intervenue à compter du 4 avril 2019. M. F... E... et Mme C... E... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 novembre 2019 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation tant de la décision de l'autorité consulaire à Mutsamadu-Anjouan que celle de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ".
3. En vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le refus implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est substitué à la décision du 18 janvier 2019 par laquelle l'autorité consulaire à Mutsamadu-Anjouan a refusé de délivrer le visa sollicité. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions de la demande dirigées contre cette décision. Le jugement attaqué n'est donc pas entaché d'irrégularité sur ce point.
En ce qui concerne la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
4. D'une part, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
7. En premier lieu, aux termes de l'article 100 du code de la famille comorien : " La filiation d'un enfant né hors mariage ne crée aucun lien de parenté vis-à-vis du père et ne produit, d'une façon générale aucun des effets prévus à l'article 99 ci-dessus. Par contre cette filiation entraîne vis-à-vis de la mère les mêmes effets que la filiation d'un enfant né dans les liens du mariage ". Aux termes de l'article 104 du même code : " Toute naissance doit être déclarée dans le délai légal / Toutefois si la naissance n'a pas été déclarée, la légitimité de l'enfant se déduit d'un jugement supplétif d'acte de naissance selon les dispositions de la loi sur l'Etat Civil, à condition que le mariage des présumés parents ne soit pas contesté. / Si le mariage n'est pas prouvé, il doit être rendu un jugement sur la filiation de l'enfant. A l'inverse, si le mariage est prouvé, la preuve de la qualité de légitime de l'enfant résulte notamment de 1 'aveu du père ou de son acte de naissance. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... E..., enfant naturel, née de l'union hors mariage de M. F... E... avec Mme B... H..., a présenté une expédition certifiée conforme à l'original du jugement supplétif n°973 de l'acte de naissance rendu le 19 août 2013 par le tribunal de justice musulmane de Domoni et un acte de naissance dressé le 20 août 2013 en transcription de ce jugement par l'officier de l'état civil de la commune de Domoni, lesquels respectent la procédure rappelée au point précédent. Pour contester la valeur probante du jugement supplétif présenté, le ministre ne saurait utilement faire valoir l'absence de signature sur ce document dès lors qu'a été présentée une expédition certifiée conforme à l'original mentionnant notamment que les signatures suivent. En outre, la circonstance que l'acte de naissance délivré au vu du jugement supplétif a été dressé tardivement douze ans après l'événement et peu de temps après le prononcé du jugement sur lequel il se fonde n'est pas de nature à établir son caractère inauthentique dès lors que cet acte est destiné à suppléer, selon la procédure instituée par la loi comorienne, un acte qui n'a pas été déclaré dans le délai légal. Il suit de là que les documents produits à l'appui de la demande de visa doivent être regardés comme établissant le lien de filiation allégué.
9. En deuxième lieu, outre les documents d'état civil mentionnés au point précédent, était joint à la demande de visa le passeport de l'intéressée. Par suite, le ministre ne saurait alléguer que l'identité de la demanderesse ne serait pas établie.
10. Enfin, il n'est pas contesté qu'a été présenté à l'appui de la demande de visa le jugement n°008/18 du 8 mai 2018 portant acte de consentement à la délégation d'autorité parentale rendu par le tribunal de première instance de Mutsamudu qui porte, outre la signature du juge, celle de la mère qui a consenti la délégation de l'autorité parentale. Le ministre n'établit pas en quoi ce jugement devait, en outre, contenir la signature du père, bénéficiaire de la mesure, ni, en tout état de cause, le caractère frauduleux de ce jugement, ce qui ne saurait résulter de cette absence de signature.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. F... E... et Mme C... E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle portait sur l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt implique pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme C... E... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. F... E... et Mme C... E... et non compris dans les dépens.
D É C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 novembre 2019 en tant qu'il porte sur la demande d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulé.
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme C... E... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. F... E... et à Mme C... E... la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à Mme C... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
Mme Douet, président-assesseur,
M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
M. G...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
2
N° 20NT00435