Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mai 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme C...devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que M.C..., eu égard aux dernières fonctions qu'il a exercées, n'a pas été exposé à des risques particuliers et que les justificatifs qu'il a produits ne sont pas probants pour établir le risque auquel il serait actuellement exposé alors qu'il n'a pas sollicité sa protection auprès des autorités afghanes. En outre, M. C...a fait l'objet de la part du ministère de la défense d'un avis sécuritaire défavorable, de sorte que sa présence en France est susceptible de présenter une menace pour l'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., qui est de nationalité afghane, a sollicité, le 16 juillet 2015, auprès de l'autorité consulaire française à Kaboul (Afghanistan), la délivrance d'un visa de long séjour pour lui, son épouse et leurs deux enfants dans le cadre du dispositif de réinstallation des personnels civils de recrutement local (PCRL) employés par l'armée française dans le cadre de son intervention en Afghanistan. Sa demande a été rejetée par les autorités consulaires par une décision notifiée le 8 octobre 2015. Le recours contre cette décision, formé le 9 décembre 2015 par M. et MmeC..., a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 30 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de M. et Mme C..., a annulé cette décision implicite et a sursis à statuer sur leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'autorité administrative de leur délivrer les visas sollicités dans l'attente de la production, par le ministre, des documents ayant servi à fonder l'avis de sécurité défavorable du 14 mai 2013 émis par la direction de la protection et de la sécurité de la défense et a mis une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais liés au litige.
Sur la légalité de la décision contestée :
2. Pour justifier la décision de refus de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, le ministre de l'intérieur soutient que M. C...ne pouvait prétendre à la délivrance des visas qu'il sollicitait dès lors qu'il n'entrait pas dans le cadre du dispositif arrêté par les autorités françaises au bénéfice d'ex-Personnels Civils de Recrutement Local (PCRL) de l'armée française lors de son intervention en Afghanistan. Selon le ministre, trois critères cumulatifs doivent être remplis pour prétendre à la délivrance d'un visa dans le cadre de ce dispositif : la qualité des services rendus, l'exposition à une menace particulière au regard de la nature et de la durée de l'emploi exercé ainsi que du temps écoulé depuis la fin du contrat avec les forces françaises et l'absence de menace à l'ordre public. Toutefois, dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures sans que l'intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif. Il s'ensuit que les orientations générales arrêtées par les autorités françaises en vue de l'accueil en France de certains personnels civils recrutés localement pour servir auprès des forces françaises en Afghanistan ne peuvent être invoquées à l'appui d'un recours devant le juge administratif.
3. L'administration commettrait, cependant, une erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer un visa à un PCRL qui court, en raison de ses anciennes fonctions auprès de l'armée française, un risque réel d'atteinte à son existence ou sa personne. En l'espèce, il n'est pas contesté que M. C...a été recruté, du 10 septembre 2006 au 1er août 2010 comme interprète, dans le cadre de la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité (FIAS) par les forces françaises présentes en Afghanistan. Il a ainsi été amené à travailler, ainsi que le précise le ministre, au profit de deux compagnies d'infanterie et à participer à des patrouilles dans les provinces de Kaboul et de Kapisa. Il a notamment été affecté au sein des sections de combat dans les missions de patrouille de zone au sein de l'UZBIN lors des opérations " Bataillon " au cours desquelles, selon la lettre de félicitations qui lui a été décernée le 20 juin 2009, il a fait preuve d'un très grand professionnalisme au profit des forces françaises, leur permettant ainsi de maîtriser le terrain et de gagner le coeur de la population et s'est, par ailleurs, très bien comporté lors du TIC du 11 Juin 2009 à Rodbar, aux côtés de la quatrième section. Dès lors, et alors même qu'il a été ensuite recruté, du 1er septembre 2010 au 1er juin 2013, en qualité d'interprète pour la formation des cadets de l'armée nationale afghane, dans le cadre du programme " EPIDOTE ", dans le cadre des missions qui lui ont été confiées, M. C... a été exposé à des contacts avec des compatriotes.
4. M. C...a, par ailleurs, fait valoir lors de sa demande de visa, ainsi qu'il ressort de la note sur laquelle se sont fondés les services du ministère de la défense pour émettre le 14 mai 2013, un avis de sécurité défavorable, avoir fait l'objet de menaces dont la réalité n'est pas totalement exclue par cette note qui ne fait état que des " doutes " de son rédacteur. M. C... a également produit, en première instance, alors même qu'elle n'aurait pas été présentée lors de la demande de visa, une copie de la lettre de menace qu'il a reçue. L'intéressé affirme, enfin, avoir été dans l'obligation de déménager pour se réfugier à Kaboul. La circonstance, pour fâcheuse qu'elle soit, que l'intéressé se soit affiché sur les réseaux sociaux en tenue militaire n'est pas de nature à contredire ses affirmations sur les menaces dont il a fait l'objet. Aussi, et dans les circonstances de l'espèce, alors que la situation en Afghanistan s'est dégradée avec une recrudescence des violences qui exposent à des risques élevés les ressortissants afghans qui ont accordé leur concours à des forces armées étrangères, M. C...doit être regardé comme ayant suffisamment démontré la réalité des menaces auxquelles il est exposé du fait de son recrutement par les autorités françaises alors même qu'il n'en aurait pas fait état auprès des autorités afghanes.
5. Le ministre se prévaut, toutefois, de l'avis de sécurité défavorable émis le 14 mai 2013 par la direction de la protection et de la sécurité de la défense sur le fondement d'une " note blanche " selon laquelle les investigations menées à l'occasion de la demande de visa de M. C..., ont mis en évidence, lors de la consultation des archives du service, qu'un des oncles de l'intéressé était lié aux talibans et membre du Hezb-el-Islami. Toutefois, ainsi que le précise ensuite cette note, les liens qu'entretiendrait M. C...avec son oncle n'ont pu être précisés. Dans ces conditions, et alors que M. C...affirme ignorer les liens unissant son parent avec ces organisations compte tenu de sa situation financière et familiale, de sa maladie ainsi que de ses positions pro-américaines, cette note n'est pas de nature à établir que la présence en France de M. C...constituerait une menace pour l'ordre public.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. et Mme C...et de leurs enfants. Le ministre de l'intérieur n'est dès lors pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé cette décision.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E... C...et à Mme B...C....
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur
- M.A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 décembre 2018.
Le rapporteur,
M. D...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02749