Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 mai et le 17 juillet 2019, M. El Tayeb H... B... et Mme F... El K... épouse H... B..., représentés par Me Nassar Lobna, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 mars 2019 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que le lien de filiation avec leurs enfants est établi par les différents actes d'état civil produits qui ne présentent que des erreurs mineures et ne peuvent être considérés comme apocryphes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme Brisson, président assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Douet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. El Tayeb H... B... et Mme F... El J... épouse H... B..., ressortissants soudanais, relèvent appel du jugement du 22 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Khartoum rejetant leur demande de visas de long séjour au titre de la réunification familiale pour leurs enfants allégués, I... et H... P... Q... H... B....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort du courrier du 11 avril 2018 par lequel la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a communiqué les motifs de sa décision implicite aux époux H... B... que les rejets des demandes de visa de long séjour présentées pour leurs enfants allégués sont fondés sur l'absence de preuve de leur identité et du lien familial avec Mme El K... épouse H... B... en raison, d'une part, de l'établissement tardif des actes de naissance des enfants, le même jour, 5 et 7 ans après leurs naissances respectives et après l'obtention du statut de réfugiée de leur mère alléguée et, d'autre part, de l'absence d'éléments de possession d'état.
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il ressort des pièces du dossier que les requérants ont produit, à l'appui des demandes de visas, des actes de naissance établis le 30 août 2016 soit 7 ans et 5 ans après la naissance des enfants les 9 septembre 2009 et 24 août 2011, puis, dans le cadre de l'instance devant le tribunal administratif, des actes de naissance établis les 10 septembre 2009 et 7 septembre 2011. Pour remettre en cause la valeur probante de ces actes, le ministre de l'intérieur fait valoir que le civil registry act for the year 2011, relatif à l'état civil soudanais, ne prévoit pas la réédition des actes déjà existants et que l'existence de ces deux séries d'actes ôte à ces documents tout caractère probant. Toutefois, il ne cite aucun article et ne verse aux débats qu'une copie en anglais de la loi soudanaise, n'établissant pas ainsi que les actes produits seraient frauduleux. Par ailleurs, si les actes datés de 2016 comportent des informations complémentaires, mais non contradictoires, par rapport aux actes de naissance de 2010 et 2011 concernant les lieux de résidence des parents et le lieu de naissance des enfants, cette circonstance ne permet pas non plus d'écarter les documents d'état civil des jeunes I... et H.... Enfin, les requérants ont également produit des certificats de la direction générale des registres civils soudanaise confirmant, à partir de leur état civil, la nationalité des enfants I... et H... ainsi que des passeports établis le 1erseptembre 2016. Ainsi, en refusant les visas sollicités pour ces motifs, la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
7. Le présent arrêt implique, eu égard au motif d'annulation retenu, que le ministre délivre un visa de long séjour aux deux enfants I... et H.... Il y a lieu, dès lors, de lui enjoindre de leur délivrer les visas demandés dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. et Mme H... B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 mars 2019 et la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants I... et R... des visas de long séjour, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. et Mme H... B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M... El K... épouse H... B..., à M. El Tayeb H... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Douet, président-assesseur,
- M. El'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 octobre 2020.
Le rapporteur,
H. Douet
La présidente,
C. Brisson
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01733