Par une requête, enregistrée le 21 août 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juin 2020 et de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- il a sollicité, devant le tribunal, une substitution de motifs qu'il entend réitérer en appel compte tenu des infractions commises par M. B... en Allemagne et pour lesquelles il est recherché par les autorités de ce pays ;
- le mariage est avant tout un moyen détourné pour M. B... de se maintenir hors de son pays d'origine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2020, M. B... et Mme A... E..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, un visa de long séjour à M. B... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils font valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Mme A... E... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 octobre 2020.
Vu :
- l'ordonnance n° 20NT02601 du 25 novembre 2020 statuant sur la demande de sursis à exécution du jugement attaqué ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- et les observations de Me G..., substituant Me D... et représentant M. B... et Mme A... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 9 mars 1987, a épousé, le 6 janvier 2018 à Nice, Mme A... E..., de nationalité française. Les autorités consulaires françaises en poste à Tunis ont refusé le 9 juillet 2018 de délivrer à M. B... le visa de long séjour sollicité en sa qualité de conjoint d'une ressortissante française. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par une décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 31 octobre 2018 au motif que le mariage aurait été contracté à des fins étrangères à l'union matrimoniale dans le seul but de faciliter l'établissement en France de M. B.... A la demande de ce dernier et de Mme A... E..., le tribunal administratif de Nantes a, par le jugement du 26 juin 2020 dont le ministre de l'intérieur relève appel, annulé la décision de la commission et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement.
2. Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. Par ailleurs, des circonstances particulières tenant à des motifs tirés de la nécessité de préserver l'ordre public peuvent être de nature à justifier légalement un refus de visa.
3. Si le ministre de l'intérieur met en cause le caractère sincère de l'union de M. B... et de Mme A... E... en raison de l'entrée et du séjour irréguliers du premier ainsi que de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet en 2013 et des déclarations alors faites par l'intéressé le 6 juin 2013 devant le juge des libertés et de la détention selon lesquelles il ne retournerait pas en Tunisie, il n'établit pas, sur le fondement d'éléments précis et concordants, que le mariage célébré en 2018 ait été contracté dans le but exclusif d'obtenir un visa. La preuve du caractère frauduleux du mariage qui incombe au ministre ne saurait résulter, en l'absence de tels éléments, de la circonstance que les justifications produites devant le juge par M. B... et Mme A... E... seraient insuffisantes et peu probantes. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que ces derniers ont, avant le départ de M. B... pour la Tunisie en vue de solliciter un visa en sa qualité de conjoint d'une ressortissante française, partagé une vie commune et un projet parental. Dès lors, en se fondant, pour confirmer le refus de visa, sur le défaut de sincérité de l'union matrimoniale, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
4. Cependant l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Le ministre de l'intérieur demande que soit substitué au motif illégal censuré au point 3 celui tiré du risque de trouble à l'ordre public que constituerait la présence en France de M. B.... Toutefois, le ministre se borne à se prévaloir du signalement de ce dernier par les autorités allemandes au système d'information Schengen (SIS) motivé, selon la traduction non vérifiée produite par le ministre de l'intérieur, par la circonstance que l'intéressé serait " recherché pour infraction à la législation sur les stupéfiants ", sans apporter la moindre précision quant aux faits qui seraient à l'origine de ce signalement ni aucune autre indication sur les éléments de nature à constituer, selon lui, une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, le motif tiré de ce que la présence de M. B... en France est constitutive d'une telle menace n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée. Il n'y a dès lors pas lieu de procéder à la substitution de motif demandée.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à M. B....
7. Le tribunal administratif de Nantes a, par l'article 2 du jugement attaqué, enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... un visa de long séjour. A supposer qu'en sollicitant de nouveau devant la cour qu'une telle injonction soit prononcée, les requérants aient entendu demander l'exécution de l'article 2 de ce jugement, de telles conclusions, qui relèvent de la compétence exclusive du juge de l'exécution et non du juge de l'appel, ne peuvent qu'être rejetées.
8. Mme A... E... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme demandée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. B... et Mme A... E... à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... B... et Mme H... A... E....
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président de chambre,
M. A...'hirondel, premier conseiller,
Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2021.
Le rapporteur,
K. F...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02602