Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2020, Mme E... B..., représentée par Me Leudet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de la demande de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
le jugement attaqué est irrégulier pour avoir omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les motifs de la décision implicite ont été communiqués tardivement à l'expiration du délai prévu à l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;
la décision contestée est insuffisamment ou tardivement motivée en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-5 et L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration
elle entachée d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle refuse de reconnaître le lien de filiation dès lors, d'une part, que l'acte de naissance produit à l'appui de la demande de visa présente un caractère authentique et, d'autre part, que la possession d'état est établie ;
l'acte de décès du père de l'enfant est authentique alors qu'en tout état de cause, elle bénéficie de l'exercice de l'autorité parentale sur le jeune H... B... suivant un jugement rendu par le tribunal de première instance de Boké du 25 avril 2014 ;
elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
elle méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Mme B... été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 août 2020
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. L'hirondel ;
et les observations de Me Lietavova, substituant Me Leudet, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B..., ressortissante guinéenne née le 1er janvier 1969, a obtenu par décision du 8 février 2017 du préfet de Lot-et-Garonne le bénéfice du regroupement familial pour le jeune H... B..., né le 1er février 2006, qu'elle présente comme son enfant. Le 8 novembre 2017, le jeune H... B... a sollicité auprès de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) un visa de long séjour au titre du regroupement familial qui lui a été refusé par une décision du 21 mai 2018. Le 17 juillet 2018, Mme B... a formé un recours contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Une décision implicite née du silence gardé par la commission sur ce recours est intervenue à compter du 17 septembre 2018. La commission a communiqué à Mme B..., sur sa demande, les motifs de sa décision par un courrier du 17 décembre 2018. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Il ressort des pièces du dossier que selon une note du ministre de l'administration du territoire et de la décentralisation du 19 mai 2014, dans le cadre de la mise en oeuvre des passeports biométriques, un numéro d'identification national unique a été élaboré, lequel est composé de quinze chiffes dont les 11ème, 12ème et 13ème chiffres doivent correspondre à ceux portés sur l'acte de naissance présenté à l'appui de la demande du document de voyage. La note précise que les actes de naissance servant à l'élaboration de ce numéro doivent être authentifiés par la division des affaires administratives et juridiques de la direction nationale de l'état civil, responsable de la gestion de ce numéro auprès de la police de l'air et des frontières au ministère de la sécurité et de la protection civile, selon un ordre de mission du 19 mai 2014. En l'espèce, pour justifier du lien de filiation allégué a été présenté à l'appui de la demande de visa, le volet n°1 de l'extrait d'acte de naissance du jeune H... B... dressé à sa naissance suivant la déclaration du père, M. D... I... B..., né en 1960 par l'officier de l'état civil de la ville de Boké et portant le n°022. Il est constant que le numéro d'identification national unique porté sur le passeport de l'enfant comporte ces trois chiffres en 11ème, 12ème et 13ème position. Par suite, l'acte de naissance présenté à l'appui de la demande de visa doit être regardé, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, comme celui ayant permis l'établissement du passeport et ainsi avoir été préalablement authentifié par les autorités guinéennes. Dans ces conditions, la circonstance qu'à l'occasion d'une précédente demande de visa de court séjour formée en 2013 pour le jeune H... B... a été présentée une carte nationale d'identité au nom de M. D... J... B..., présentant une date de naissance et une signature différentes que celles figurant sur l'extrait d'acte de naissance présenté à l'appui de la demande de visa de long séjour, ne saurait établir le caractère inauthentique de ce dernier document. En l'absence de tout caractère probant de la carte nationale d'identité pour établir l'identité du père de l'enfant, l'administration ne saurait davantage invoquer le caractère non probant de l'acte du décès du père de l'enfant au seul motif que les mentions concernant la date de naissance et le lien de filiation du défunt ne correspondent pas à celles apposées sur la carte nationale d'identité. Il suit de là que l'extrait d'acte de naissance produit à l'appui de la demande de visa établit le lien de filiation entre Mme E... B... et le jeune H... B....
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré au jeune H... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa à l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Leudet dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune H... B..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Leudet la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience 14 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- M. L'hirondel, premier conseiller ;
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2021.
Le rapporteur,
M. L'HIRONDEL Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02231