Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 février 2021 sous le n°21NT00558 et un mémoire en réplique enregistré le 13 septembre 2021, Mme A..., Mme D... C... et M. B... C..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 janvier 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 2 octobre 2018 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas d'entrée et de long séjour sollicités dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande de visas dans les mêmes conditions d'astreinte et de délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui n'a pas répondu à tous les arguments du recours administration préalable obligatoire, notamment ceux relatifs à la possession d'état, n'a pas procédé à un examen sérieux de leur demande ;
- en s'abstenant d'examiner le lien de filiation par possession d'état, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur de droit ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation du lien de filiation ; aucun des motifs retenus par la commission ne permet d'ôter toute valeur aux actes présentés et encore moins d'en déduire une intention frauduleuse ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et s'en remet, pour le surplus, à ses écritures de première instance.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Douet,
- et les observations de Me Nève, substituant Me Pollono, représentant Mme A... et M. et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne qui déclare être entrée en France le 6 mars 2015, est bénéficiaire de la protection subsidiaire depuis le 31 décembre 2015. Les demandes de visa de long séjour présentés le 11 novembre 2018 pour ses enfants allégués D... C... et B... C... ont été rejetées par des décisions de l'autorité française en Guinée du 1er juin 2018. Par une décision implicite née le 8 octobre 2018, dont les motifs ont été communiqués à Mme A... le 3 décembre 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours administratif préalable formé le 8 août 2018 contre cette décision. Mme A..., Mme C... et M. C... relèvent appel du jugement du 11 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
2. La décision contestée de la commission de recours a été prise aux motifs que les informations communiquées par Mme A... à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides concernant l'âge des enfants ont varié et que les actes de naissance produits, non conformes au droit local et discordants avec les déclarations de Mme A..., sont dépourvus de caractère probant et n'établissent ni l'identité des jeunes D... C... et B... C... ni leur lien de filiation avec la réunifiante. En première instance, le ministre a reconnu que ces motifs étaient erronés et a sollicité une substitution de motifs tirée de ce que le lien de filiation entre Mme A... et les demandeurs de visa n'est établi ni par les jugements supplétifs produits ni par la possession d'état, alors que les déclarations de Mme A... concernant la date de naissance des enfants ont fluctué.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Pour justifier de l'identité des demandeurs de visas et du lien de filiation, la requérante a produit des preuves de transferts d'argent, des certificats de scolarité et des photographies. L'ensemble de ces éléments, associés à la constance des déclarations de Mme A... sur l'existence de ses deux enfants, attestent du lien familial entre les demandeurs de visas et la bénéficiaire de la protection subsidiaire. Enfin, ont été produits les passeports de Mme D... C... et M. B... C... qui permettent de tenir leur identité pour établie. Il ressort il est vrai des pièces du dossier que les déclarations de Mme A... quant à l'âge de ses enfants ne concordent pas avec les dates de naissance indiquées dans les jugements supplétifs n°1308 du 26 mai 2017 et n°1309 du 26 mai 2017, rendus par le tribunal de première instance de Mamou (Guinée) et produits à l'appui des demandes de visas, selon lesquels les jeunes D... C... et B... C... sont nés respectivement le 4 janvier 2000 et le 10 septembre 2002, alors que, lors du dépôt de sa demande d'asile du 15 juillet 2015 et dans sa fiche familiale de référence datée du 21 janvier 2016, Mme A... a indiqué qu'Alsine C... était né le 10 septembre 1997 et D... C... le 4 janvier 1999. Elle a également mentionné, lors de son entretien avec l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 5 novembre 2015, effectué en langue peule avec l'aide d'un interprète qu'elle a confirmé comprendre, que sa fille " devait avoir environ 17 ans à cette date " ce qui correspondrait à une naissance antérieure à 1999. Mme A..., qui impute ces déclarations à son anxiété et se borne à soutenir qu'étant analphabète ses démarches auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ont été effectuées avec l'aide de tiers, n'apporte pas d'explications probantes quant à ces discordances, notamment à l'écart de cinq ans concernant la date de naissance de son fils entre ses déclarations et le jugement supplétif du 26 mai 2017. Dans ces conditions, la production des jugements supplétifs ne permet pas de considérer que les dates de naissance qui y sont indiquées correspondraient à la réalité.
5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a vécu jusqu'en 2015 en Guinée avec ses deux enfants, qu'elle élevait seule. Ses réponses hésitantes lors de son entretien à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides peuvent accréditer le fait qu'elle ignore leur date de naissance exacte. Mme D... C... et M. B... C... soutiennent qu'ils n'ont plus de famille proche en Guinée, que la situation sécuritaire y est préoccupante, notamment pour Mme C... qui a fait l'objet d'une agression et d'une tentative de viol, et qu'ils se trouvent dans une situation de grande précarité. Dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision de la commission de recours porte au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A..., Mme C... et M. C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
7. Le présent arrêt implique nécessairement, pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme D... C... et M. B... C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
8. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 janvier 2021 et la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visas d'entrée et de long séjour en France de Mme D... C... et de M. B... C... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... C... et M. B... C... des visas de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera au conseil des requérants, la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A..., à M. B... C..., à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2022.
La rapporteure,
H. DOUET
Le président,
A. PÉREZ
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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