Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 janvier 2020 sous le n°20NT00214, Mme D... K..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 novembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. M... I... H..., à Mme A... E... et aux enfants G... L... H... et Ted Mabidi H... dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à défaut de réexaminer la demande dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en estimant que les actes d'état civil de son concubin et de ses enfants étaient dépourvus de caractère probant l'administration a inexactement apprécié les fait de l'espèce ;
- le lien de filiation est également établi par les éléments de possession d'état ;
- elle s'est rendue à Brazzaville pour voir sa famille et y a épousé M. I... H... le 22 mars 2019.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... K... ne sont pas fondés.
Un mémoire, enregistré le 15 février 2021, a été présenté pour Mme A... E..., par Me F..., à titre de régularisation de sa demande de première instance et de la requête d'appel.
Par un courrier du 17 février 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen d'ordre public relevé d'office, tiré de la méconnaissance, par l'auteur de la décision contestée, du champ d'application de la loi, l'administration ayant fait à tort application des dispositions du 1° de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que M. M... I... H... a été déclaré comme le concubin de Mme D... K....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... K..., ressortissante de la République démocratique du Congo, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de la cour nationale du droit d'asile du 11 janvier 2013. Le 17 mai 2018, M. M... I... H... et les enfants G... L... H... et Ted Mabidi H..., nés respectivement le 10 décembre 2005 et le 10 mai 2007, qu'elle présente comme son concubin et leurs enfants, ainsi que Mme A... E..., sa fille née le 12 décembre 2000 d'une précédente union, ont présenté des demandes de visas de long séjour dans le cadre de la réunification familiale. Par une décision du 17 décembre 2018, l'autorité consulaire française à Kinshasa a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Le silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours formé contre la décision consulaire a fait naître une décision implicite de rejet, dont Mme D... K... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes. Mme D... K... et Mme E... relèvent appel du jugement du 13 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. La délivrance des visas de long séjour a été refusée par l'autorité consulaire au motif que le dossier de demande de visas ne contenait aucune preuve d'une vie familiale stable et continue des demandeurs avec Mme D... K.... Le recours administratif préalable obligatoire formé contre cette décision a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France. En cas de décision implicite et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont la décision se substitue à celle des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par ces autorités.
3. Pour établir que la décision attaquée était légale le ministre de l'intérieur invoque toutefois dans ses écritures l'absence de lien matrimonial antérieurement à la reconnaissance de la qualité de réfugiée de Mme D... K..., le caractère frauduleux des documents d'état civil produits et l'absence d'éléments de nature à attester d'une communauté de vie avec sa famille alléguée.
4. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ".
5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'ont été produits, à l'appui des demandes de visas présentées pour les trois enfants de Mme D... K..., des actes de naissance établis le 12 septembre 2017 par l'officier d'état civil Kinshasa / Lemba sur transcription de jugements supplétifs rendus par le tribunal pour enfants J... le 24 août 2017 et le 8 septembre 2017. La circonstance que ces jugements supplétifs aient été établis tardivement après la naissance de intéressés et quatre ans après la reconnaissance de la qualité de réfugiée de Mme D... ne suffit pas à remettre en cause leur valeur probante. Si le ministre de l'intérieur soutient que les actes de naissance transcrits d'après ces jugements supplétifs sont irréguliers en ce qu'ils comportent des mentions supplémentaires, à savoir les dates de naissance, lieux de naissances, nationalité et professions des parents de chacun des enfants, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. À cet égard, il ne ressort pas des dispositions du cinquième alinéa de l'article 106 du code de la famille congolais, selon lesquelles " la transcription " du jugement supplétif " en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée en marge des registres, à la date du fait ", que seul le dispositif du jugement supplétif doive être transcrit et qu'il soit interdit à l'officier d'état civil d'apporter des mentions supplémentaires sur l'acte de naissance dressé par transcription. Par ailleurs, la circonstance que les naissances des enfants aient été déclarées par une tierce personne ne permet pas davantage de conclure à une fraude dès lors que l'article 117 du code de la famille congolais permet la déclaration par le père, la mère ou à défaut par les ascendants et les proches parents de l'enfant ou encore par un mandataire porteur d'une procuration. Enfin, la circonstance invoquée par le ministre qu'ont été produits les volets n° 2 des actes de naissance alors qu'en application de l'article 87 du code de la famille congolais seuls les volets n° 1 sont destinés au déclarant, ne permet pas de remettre en cause les mentions de ces actes dès lors que les éléments du dossier n'établissent pas que les jugements supplétifs seraient inauthentiques ou que le lien de filiation qu'ils énoncent ne correspondrait pas à la réalité.
7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. I... H... a déposé une demande de visa en faisant valoir son lien de concubinage avec Mme D... K.... Il ressort des jugements supplétifs et actes de naissance évoqués au point précédent qu'il est le père déclaré des enfants G... L... H... et Ted Mabidi H..., nés en 2005 et 2007. Mme D... K... l'a désigné comme son concubin lors de ses déclarations à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 7 mars 2013. Au vu de ces éléments, et alors même que le ministre de l'intérieur invoque en appel un nouveau motif tiré de la postériorité du mariage des intéressés à la reconnaissance de la qualité de réfugiée de Mme D... K..., nonobstant le caractère relativement récent du soutien matériel apporté à M. I... H... par la requérante, dans les circonstances de l'espèce, c'est par une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission a estimé que le lien de concubinage entre Mme D... K... et M. I... H... n'était pas stable et continu.
8. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Mme D... K... et Mme E... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs, que le ministre de l'intérieur, délivre à M. I... H..., à Mme A... E... et à Ermine L... H... et Ted Mabidi H... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme globale de 1 200 euros à Mme D... K... et Mme E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 novembre 2019 et la décision par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision refusant un visa de long séjour à M. I... H..., Mme A... E..., Ermine L... H... et Ted Mabidi H... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. I..., à Mme E..., à Ermine L... H... et Ted Mabidi Bukaba des visas d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme globale de 1 200 euros à Mme D... K... et à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... K..., à M. M... I... H..., à Mme A... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 février 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme C..., présidente assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2021.
Le rapporteur,
H. C...
Le président,
A. PÉREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT214