I. Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2020 sous le n° 20NT03049, la commune de la Turballe, représentée par la Selarl Cornet-Vincent-Ségurel, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal par l'association de défense du patrimoine turballais ;
3°) de mettre à la charge de l'association de défense du patrimoine turballais une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'association de défense du patrimoine turballais était dépourvue d'intérêt à agir ;
- la cession a été consentie au prix du marché.
II. Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2020 sous le n° 20NT03122, la société civile immobilière (SCI) Le Plan B, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal par l'association de défense du patrimoine turballais ;
3°) de mettre à la charge de l'association de défense du patrimoine turballais une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le tribunal s'est fondé sur un moyen qui n'était pas soulevé devant lui ;
- l'évaluation du service des domaines est erronée ;
- la cession présente un intérêt général et comporte des contreparties effectives.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- les observations de Me C..., représentant la commune de La Turballe et les observations de Me A..., représentant la SCI Le Plan B.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 19 décembre 2017, le conseil municipal de la Turballe (Loire-Atlantique) a décidé de céder à la société civile immobilière (SCI) Le Plan B le local commercial, situé 11 place du marché dans cette commune et appartenant au domaine privé de cette dernière, au prix de 125 000 euros. L'association de défense du patrimoine turballais a formé un recours gracieux contre cette délibération qui a été rejeté par une décision du 9 mars 2018. La commune de la Turballe, d'une part, et la SCI Le Plan B, d'autre part, relèvent appel du jugement du 1er juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de l'association de défense du patrimoine turballais, annulé la délibération du 19 décembre 2017 et la décision du 9 mars 2018 portant rejet du recours gracieux. Ces deux requêtes sont dirigées contre un même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, pour annuler la délibération litigieuse, le tribunal a notamment relevé que si le projet porté par la cessionnaire était de nature à répondre à des motifs d'intérêt général, le caractère effectif des contreparties attendues n'était garanti par aucun engagement concret de celle-ci. Ce faisant, alors même qu'il n'a pas précisé les raisons pour lesquelles il a considéré qu'aucun engagement concret ne ressortait des pièces du dossier, il a suffisamment motivé son jugement.
3. En second lieu, il ressort du dossier de procédure que, devant les premiers juges, l'association de défense du patrimoine turballais a non seulement soulevé un moyen tiré de l'insuffisante motivation de la délibération du 19 décembre 2017 mais également soutenu que la cession consentie à un prix inférieur au prix du marché n'était pas justifiée. Dès lors, en annulant cette délibération au motif que le local avait été cédé à un prix inférieur à sa valeur sans contreparties effectives pour la commune, le tribunal ne s'est pas saisi d'office du moyen sur lequel il s'est fondé pour prononcer l'annulation.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
4. Il ressort des pièces du dossier que l'association de défense du patrimoine turballais a pour objet statutaire la défense des intérêts des contribuables de la commune de la Turballe. Cet objet, qui est suffisamment précis, lui confère un intérêt lui donnant qualité pour contester la délibération du conseil municipal décidant d'aliéner une dépendance du domaine privé de la commune alors même que, eu égard au prix de cession, les finances locales ne seraient pas significativement impactées. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir tirée par la commune de ce que cette association était dépourvue d'intérêt à agir doit être écartée.
Sur les motifs d'annulation retenus par les premiers juges :
5. Pour déterminer si la décision par laquelle une collectivité publique cède à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur est, pour ce motif, entachée d'illégalité, il incombe au juge de vérifier si elle est justifiée par des motifs d'intérêt général. Si tel est le cas, il lui appartient ensuite d'identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c'est-à-dire les avantages que, eu égard à l'ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s'assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité. Il doit, enfin, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé.
6. Par un avis du 31 août 2017, le service des domaines de la direction régionale des finances publiques des Pays de la Loire a estimé le local ayant fait l'objet de la cession litigieuse, d'une surface de 492 mètres carrés dont 354 de surface utile, situé place du marché dans le centre-ville de la Turballe, au prix de 175 000 euros. S'il ressort des pièces du dossier que la cessionnaire a entrepris de nombreux travaux de rénovation, aucun élément au dossier ne permet d'établir que le service des domaines, qui a fait état dans son avis de la date et des matériaux de construction ainsi que du caractère peu aménagé du local et du faible nombre d'ouvertures, n'aurait pas tenu compte de l'état du bien dans son évaluation. La circonstance que la SCI Le Plan B a présenté une offre en fonction des moyens financiers et de la capacité d'emprunt de ses associées est sans incidence sur la valeur vénale du local. Si elle critique la méthode par comparaison utilisée, elle ne propose pas de méthode plus fiable. De même, les éléments produits par la commune de la Turballe relatifs à trois cessions réalisées en 2015 et 2017 de locaux industriels ou commerciaux situés dans le centre de la Turballe ne permettent pas, en l'absence de précisions utiles quant à leur consistance et leur état, d'infirmer l'évaluation du service des domaines. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la SCI Le Plan B a manifesté auprès de la commune son intérêt pour le local avant même que le conseil municipal approuve le principe de la vente. Si la commune a procédé à des mesures de publicité afin de permettre à d'autres acquéreurs de soumettre une offre, seules deux parutions entre le 6 octobre et le 20 octobre 2017 puis deux autres entre le 24 novembre et le 8 décembre 2017 dans un hebdomadaire local et deux parutions, le 29 novembre 2017 et le 6 décembre 2017, dans deux journaux quotidiens régionaux, ont été organisées tandis que la date limite de dépôt des offres était fixée au 11 décembre 2017. Il ressort, par ailleurs, des procès-verbaux de séances du conseil municipal qu'une autre personne avait informé le maire de son souhait d'acquérir le bien pour le prix de 175 000 euros. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que le prix de la cession de 125 000 euros, qui correspond à celui proposé par la SCI Le Plan B, seule à avoir présenté une offre d'achat dans le cadre de l'appel évoqué ci-dessus, reflèterait le prix du marché. Dès lors, la cession en litige doit être regardée comme ayant été consentie à un prix inférieur à la valeur vénale du bien.
7. Il ressort de la délibération du 19 décembre 2017 que le conseil municipal a décidé d'accepter l'offre d'achat de la SCI Le Plan B en vue de permettre le maintien d'un commerce en centre-ville, de favoriser le dynamisme commercial de la commune et de permettre la diversification de l'offre commerciale. A l'appui de son offre d'achat, la SCI Le Plan B a présenté le projet, porté par ses associées, d'ouverture d'un café-épicerie de produits " locaux, biologiques et assimilés ", " ouverte sur un café-bar favorisant le lien social " et offrant un espace à mutualiser par la mise à disposition de particuliers, d'associations ou d'entreprises en vue d'en faire un " lieu de vie et d'économie locale ". Elle a souligné l'intérêt d'une ouverture à l'année dans une commune accueillant un nombre important de résidences secondaires et d'une offre de " produits qualitatifs, valorisant le territoire et son terroir " de nature à accroître l'attractivité touristique de la commune. Cette activité, telle que décrite dans le document de synthèse, est de nature à contribuer à l'intérêt général qui s'attache à l'animation de la vie urbaine pour les habitants de la Turballe ainsi qu'à une offre commerciale complémentaire. Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la cession aurait été assortie de mesures de nature à garantir à la commune que ces objectifs seraient déclinés par la mise en oeuvre effective d'actions concrètes, d'ailleurs non précisées à ce stade, de nature à lui procurer les avantages annoncés. Si la SCI Le Plan B se prévaut du succès de l'entreprise et fait état, devant le juge, de ses réalisations ainsi que de la création d'emplois, ces éléments ne permettent pas pour autant de regarder la cession comme ayant comporté des contreparties effectives.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de la Turballe et la SCI Le Plan B ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la délibération du conseil municipal du 19 décembre 2017 et la décision portant rejet du recours gracieux du 9 mars 2018.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'association de défense du patrimoine turballais, laquelle n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demandent la commune de la Turballe et la SCI Le Plan B au titre des frais qu'elles ont respectivement exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de la Turballe et la requête de la SCI Le Plan B sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de la Turballe, à la société civile immobilière Le Plan B et à l'association de défense du patrimoine turballais.
Une copie sera adressée pour information au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président de chambre,
Mme Douet, président assesseur,
Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 avril 2021.
Le rapporteur,
K. B...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03049, 20NT03122