Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2018 et le 22 mai 2019, M. B... E...et M. D...E...H..., représentés par MeF..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 10 mars 2016;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à M. D... E...H..., dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article 47 du code civil selon lesquelles les actes d'état civil établis à l'étranger bénéficient d'une présomption de validité, faute pour l'administration d'établir le caractère inauthentique des actes présentés. En particulier, s'agissant de l'acte de naissance du jeune D...E...H..., l'administration ne saurait soutenir que la procédure de reconstitution de l'acte prévue à l'article 82 du code de la famille congolais n'a pas été respectée dès lors qu'il a été délivré en application du dernier alinéa de l'article 45 du même code concernant les déclarations tardives de naissance ;
elle méconnaît les dispositions des articles 46 et 311-4 du code civil sur la possession d'état qui est reconnue par le droit congolais, laquelle est justifiée par les pièces versées au dossier ;
la décision contestée a été prise en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu du lien de filiation unissant les requérants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et s'en remet, pour le surplus, aux écritures qu'il a déposées en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...E..., ressortissant congolais (République du Congo) né le 2 novembre 1981, est entré en France, selon ses déclarations, en 2006. Il a déposé, le 24 février 2015, une demande de regroupement familial en faveur du jeune D...E...H..., né le 20 janvier 1998 à La Bouanza (République du Congo) qu'il présente comme son fils, laquelle a été acceptée par le préfet de la Gironde suivant une décision du 20 juillet 2015. La délivrance du visa de long séjour sollicitée dans le cadre de cette procédure a été refusée, le 13 novembre 2015, par le consul général de France à Pointe-Noire. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France par une décision du 10 mars 2016. M. B...E...et M. D...E...H...relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 septembre 2018 rejetant leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours.
2. En premier lieu, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Pour refuser un visa d'entrée en France au jeune D...E...H..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur la circonstance que l'identité du demandeur et le lien familial allégué ne pouvaient être établis aux motifs, d'une part, que l'acte de naissance du père, M. B...E..., n'existe pas dans le registre primata et, d'autre part, que l'acte de naissance du jeune D...E...H..., établi tardivement, sans explications circonstanciées, n'est pas conforme à la loi locale ayant été transcrit le jour même du jugement supplétif, sans respect des délais d'appel.
5. D'une part, s'agissant de M. B...E...ont été présentés à l'appui de la demande de visa deux actes de naissance, le premier, portant le n°244, dressé par l'officier d'état civil du centre d'état civil d'Ouenze le 15 mars 2010 et le second portant le n°1198 en date du 21 décembre 2015 émanant du centre principal de la commune de Brazzaville, transcrivant le jugement du tribunal d'instance de Poto-Poto du 10 mai 2013. Il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance n°244 a été déclaré " non conforme à nos archives " par les autorités locales. Alors que le second acte de naissance, rédigé sur une feuille de format A4, ne constitue pas le volet n°1 du registre qui est, en principe, remis au déclarant en application de l'article 33 du code de la famille congolais, les requérants ne produisent pas le jugement du tribunal d'instance de Poto-Poto sur le fondement duquel l'acte aurait été dressé, ni n'apportent d'explications sur les conditions de son établissement alors qu'ils avaient produit l'acte de naissance n°244 du 15 mars 2010 qui lui est antérieur. Par suite, c'est sans erreur d'appréciation que la commission a pu constater l'inexistence de l'acte de naissance du père du demandeur. Du fait de ces irrégularités, le passeport délivré à M. B...E..., le 11 avril 2010, ne présente pas, non plus, en l'espèce, une force probante suffisante.
6. D'autre part, aux termes de l'article 45 du code de la famille congolais : " Déclaration de naissance. / Toute naissance doit être déclarée à l'Officier de l'Etat-Civil dans le délai franc d'un mois. (...). / Les déclarations peuvent émaner du père ou de la mère, d'un ascendant ou d'un proche parent, du médecin, de la sage-femme, de la matrone ou de toute personne ayant assisté à la naissance ou encore lorsque la mère a accouché hors de son domicile, de la personne chez qui elle a accouché./ Lorsqu'une naissance n'aura pas été déclarée dans le délai imparti, l'Officier de l'Etat-Civil pourra néanmoins en recevoir une déclaration tardive pendant un délai de trois mois sur réquisition du Procureur de la République. / Le déclarant devra produire à l'appui de sa déclaration un certificat émanant d'un médecin ou d'une sage-femme ou faire attester la naissance par deux témoins majeurs. En tête de l'acte dressé tardivement devra être mentionné " inscription de déclaration tardive ". Cette mention devra également figurer sur le répertoire alphabétique de l'année en cours prévu par l'article 34 du présent code. Mention de la déclaration tardive et de son numéro est portée en marge de l'acte de naissance antérieur le plus proche en date. / (...) Passé le délai de trois mois après la naissance, l'Officier de l'Etat-Civil ne peut dresser l'acte de naissance que s'il y est autorisé par une décision du Président du Tribunal Populaire de Village-Centre ou de Quartier rendue dans les conditions prévues par le Chapitre III du présent titre. / Le Procureur de la République peut, à toute époque et en dehors des délais ci-dessus prévus, faire la déclaration d'une naissance dont il aurait eu connaissance et qui n'aurait pas été constatée à l'Etat Civil. ". Aux termes de l'article 80 du même code contenu au chapitre III visé à l'article 45 : " Lorsqu'un acte de naissance, de décès ou de mariage n'aura pas été dressé ou que la demande d'établissement aura été présentée tardivement, le Président du Tribunal Populaire de Village-Centre ou de Quartier dans le ressort duquel l'acte aurait dû être reçu pourra, par jugement, en autoriser l'inscription par l'Officier de l'Etat-Civil. Le Juge saisi sur requête des personnes dont l'acte de l'Etat-Civil doit établir l'état, de leurs héritiers et légataires, des personnes autorisées ou habilitées à procéder à la déclaration de l'événement, ou du Ministère Public. / Si la requête n'émane pas de lui, elle est obligatoirement communiquée au Procureur de la République qui procède conformément aux dispositions de l'article 208 du Code de Procédure Civile, Commerciale, Administrative et Financière. Le droit de faire appel est reconnu dans tous les cas. / La requête n'est recevable s'il n'y est pas joint un certificat de non inscription de l'acte, délivré par l'Officier de l'Etat-Civil qui aurait dû le recevoir. / le Président du Tribunal examine toutes les pièces justificatives de l'événement à inscrire ; à défaut de pièces, il procède ou fait procéder à une enquête. Il adresse le dossier au Procureur de la République pour ses conclusions. / Il statue à charge d'appel, le délai d'appel qui est toujours suspensif prend effet à compter du jour où le Procureur de la République a eu connaissance du jugement intervenu (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance du jeuneD..., présenté à l'appui de la demande de visa, a été dressé le 20 mars 2013, soit quinze ans après la date de naissance dont fait état ce document, alors que l'article 45 du code civil congolais prévoit que la naissance doit être déclarée dans un délai d'un mois. Si, ainsi que le font valoir les requérants, cet acte de naissance a pu être régulièrement établi sur réquisition du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Madingou du même jour, lequel peut, à toute époque, sur le fondement du même article, faire la déclaration d'une naissance dont il aurait eu connaissance et qui n'aurait pas été constatée à l'état civil, il est toutefois constant que la réquisition n'a été rendue que sur le fondement de la requête de M. B...E...enregistrée le jour-même sans viser aucun des documents également requis par cet article qui doivent normalement être produits à l'appui de la demande, ni procéder, en leur absence, à une enquête. Une telle inscription tardive ne pouvait au surplus intervenir, selon les dispositions de l'article 80 du code de la famille congolais, qu'après qu'ait été produit un certificat de non-inscription de l'acte, document dont la réquisition ne fait pas mention. Dès lors, en estimant que cet acte irrégulier n'est pas de nature à établir la filiation entre M. B...E...et le jeuneD..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
8. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que c'est également à tort que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté leur demande de visa dès lors qu'ils peuvent se prévaloir de l'existence d'une situation de possession d'état.
9. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les versements d'argent effectués par M. B... E..., qui ne remontent qu'à compter d'avril 2012 alors qu'il indique être entré en France courant 2006, ne sont pas de nature à établir à son profit l'existence d'une possession d'état, laquelle se doit de présenter notamment un caractère continu. M. B...E...ne produit, en outre, aucun élément démontrant qu'il maintenait effectivement, depuis son arrivée en France, un contact régulier avec le jeuneD..., tel par exemple, des photographies, des échanges téléphoniques ou épistolaires ou, encore, par les réseaux sociaux. Ni le certificat de scolarité le mentionnant comme le père de l'enfant, ni les courriers de sa mère et les attestations de ses proches, insuffisamment circonstanciés sur ce point, ne sauraient apporter cette preuve. Par suite, M. B...E..., contrairement à ce que soutiennent les requérants, ne peut être regardé comme justifiant d'une possession d'état à l'égard du jeuneD....
10. En dernier lieu, le lien familial allégué n'étant pas établi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...E...et M. D...E...H...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également, par voie de conséquence, être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B...E...et de M. D...E...H...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...E..., à M. D...E...H...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
M. L'hirondel, premier conseiller,
M. Giraud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
M. L'HIRONDELLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04146