Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 octobre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande de Mme E... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre soutient que c'est à bon droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu refuser de délivrer un visa de long séjour à Mme E... en qualité de conjointe de français dès lors que le mariage qu'elle a contracté avec M. E... I... est entaché de fraude en l'absence de tout élément permettant de démontrer une relation affective et une communauté de vie effective entre les intéressés avant ou après le mariage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2020, Mme B... H... épouse E..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête du ministre, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer le visa de long séjour sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou subsidiairement et à ce qu'il procède, à l'intérieur du même délai, à un réexamen de sa demande et, en toute hypothèse, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- et les observations de Me F..., substituant Me C..., représentant Mme B... H... épouse E....
Des pièces complémentaires, présentées pour Mme B... H... épouse E..., ont été enregistrées le 28 avril 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... H..., ressortissante congolaise (République démocratique du Congo) née le 28 décembre 1977, a sollicité le 6 janvier 2016 auprès des autorités consulaires françaises à Kinshasa un visa de long séjour afin de pouvoir s'établir en France après son mariage avec M. D... E... I..., de nationalité française, célébré le 2 juillet 2015 à Kinshasa. Par une décision du 2 juin 2017, les autorités consulaires ont refusé de lui délivrer ce visa. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté, par une décision du 28 septembre 2017, le recours qu'elle a formé contre cette décision. A la demande de l'intéressée, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 28 juillet 2020, a annulé la décision de la commission de recours du 28 septembre 2017 et a enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La demande d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois donne lieu à la délivrance par les autorités diplomatiques et consulaires d'un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande. / Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. La durée de validité de ce visa ne peut être supérieure à un an. / (...) Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article. (...) ".
3. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa.
4. Pour refuser de délivrer à Mme E... le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce qu'il existait un faisceau d'indices suffisamment précis et concordants attestant d'une absence de maintien des liens matrimoniaux et du caractère complaisant du mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale dans le seul but de faciliter l'établissement en France de la demanderesse dès lors qu'il n'était pas produit suffisamment de preuves probantes du maintien d'échanges réguliers et constants de quelque nature que ce soit entre les époux et qu'il n'était pas établi que le couple avait un projet de vie commune ni que Mme E... participait aux charges du mariage selon ses facultés propres. Elle a également relevé que l'intéressée avait sollicité, sous une autre identité, un visa auprès du consulat d'Espagne à Kinshasa.
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de la sincérité de son mariage, Mme E... a produit de nombreux justificatifs de bons de commande alimentaires dont elle a bénéficié de la part de M. E... I... et qui lui ont été adressés entre août 2015 et janvier 2017 puis à compter de cette dernière date, des sommes d'argent que lui a versées son mari jusqu'en novembre 2017, pour un montant total de 1 320 euros, ce qui couvre la période allant du mariage jusqu'à la date de la décision contestée. Elle a également communiqué les relevés des communications électroniques échangées avec son époux dont il résulte, contrairement à ce que soutient le ministre, qu'elles lui étaient bien adressées, sa photographie apparaissant en qualité de contact. De plus, il est constant, ainsi qu'il ressort des copies du passeport de M. E... I... et de billets d'avion que ce dernier s'est rendu en République démocratique du Congo en 2015, 2016 et 2017. Enfin, l'intimée a transmis des photographies de son mariage dont la réalité de la célébration n'est pas remise en cause par l'administration ainsi que le contrat de bail en date du 5 janvier 2015 conclu par M. E... I... pour un appartement situé dans la commune de Kasa-Vubu et qui correspond à l'adresse déclarée par l'intimée. Ces justificatifs sont confirmés par des attestations de proches, dont plusieurs émanent des enfants de M. E... I..., qui précisent que leur père prend en charge le loyer de son épouse et se rend régulièrement à Kinshasa pour lui rendre visite.
6. D'autre part, alors que les services consulaires de l'ambassade de France à Kinshasa avaient informé M. E... I..., par un courrier du 27 avril 2017, qu'ils avaient saisi le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes d'une action en nullité du mariage sur le fondement des dispositions des articles 184 et 186 du code civil, l'autorité judiciaire, ainsi qu'il résulte de son courrier du 13 septembre 2019, n'a, en réalité, était saisie, d'aucune demande en ce sens de sorte que, selon cette autorité, " l'acte de mariage (...) est exploité normalement. / Ce dossier est désormais clos à mon parquet ".
7. Le ministre, pour contester la sincérité du mariage, fait valoir l'existence d'une contradiction dans les déclarations des époux et de leur conseil quant à la date exacte de leur première rencontre. Toutefois, il est constant que les époux s'accordent à reconnaître qu'ils se sont rencontrés la première fois à Brazzaville (République du Congo) où l'intimée travaillait dans un salon de coiffure. M. E... I... a indiqué l'avoir alors rencontrée en août 2012, ce qui est compatible avec la copie du billet d'avion communiquée pour un voyage aller et retour Paris - Brazzaville entre le 20 août 2012 et le 19 septembre 2012. Pour contester la réalité de cette rencontre, le ministre ne saurait sérieusement opposer la circonstance que M. E... I... était à cette période uni par les liens du mariage à une autre femme dont il n'a divorcé que le 20 décembre 2012. Si lors d'un entretien devant les services consulaires le 7 janvier 2016, Mme E... a déclaré avoir rencontré son mari en 2011, cette circonstance n'est pas de nature à établir que les déclarations de son mari seraient inexactes compte tenu du caractère laconique de l'entretien et du délai écoulé entre cet entretien et l'évènement relaté. De même, les écritures du conseil devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France relèvent de l'erreur de plume dès lors que si elles indiquent une rencontre en 2010, elles précisent aussitôt que la liaison amoureuse, qui n'a duré que quelques mois, a donné naissance à un enfant en 2013. Par ailleurs, le ministre ne saurait faire grief à l'intimée de ne pas pouvoir présenter de justificatifs quant aux relations du couple avant le mariage, ni à M. E... I... de ne pas avoir déclaré lors de sa demande d'acquisition de la nationalité française l'enfant qui était alors âgé de quatre mois dès lors que Mme E... indique que son couple a traversé une période " de froid " et de ne pas avoir informé immédiatement son mari de la naissance. En tout état de cause, une telle circonstance est sans incidence sur la sincérité du mariage à la date à laquelle il a été célébré. De même est sans incidence pour apprécier cette sincérité, la circonstance que Mme E... aurait tenté d'obtenir, en 2014 et sous une fausse identité, un visa de court séjour pour se rendre en Espagne, ce que dément au demeurant l'intéressée qui explique que l'erreur n'a été commise que sur son année de naissance en raison de la date erronée mentionnée sur son passeport de l'époque. Enfin, si M. E... I... a déclaré, lorsqu'il se rend en République démocratique du Congo, résider dans un appartement qu'il loue, il a été communiqué ainsi qu'il a été dit au point précédent, le contrat de bail qu'il a conclu en date du 5 janvier 2015 et qui correspond à l'adresse déclarée par l'intimée.
8. Par ailleurs, aux termes de l'article 214 du code civil : " Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. (...) ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E... aurait bénéficié de revenus propres lui permettant de participer financièrement aux charges du mariage alors que son mari, ainsi qu'il résulte des pièces énoncées au point 5, subvenait à ses besoins.
9. Il résulte de ce qui précède que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de délivrer à Mme E..., par la décision contestée, le visa qu'elle sollicitait en qualité de conjointe de français. Par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
10. Si Mme E... demande qu'il soit enjoint au ministre de lui délivrer le visa de long séjour qu'elle a sollicité, une telle injonction a déjà été prononcée par le tribunal administratif de Nantes par le jugement que la cour a confirmé aux points 2 à 9 du présent arrêt. Ces conclusions sont, par suite, sans objet et doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B... H... épouse E... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... H... épouse E... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... H... épouse E....
Délibéré après l'audience du 27 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.
Le rapporteur,
M. G...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03290