Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 mai 2019, M. F... I... N..., représenté par Me Fayein-Bourgois de la SCP Bouquet - K... - Wadier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 février 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, à l'administration de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la SCP Bouquet - Fayein-Bourgois - Wadier en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation quant au caractère inauthentique des actes d'état civil présentés à l'appui des demandes de visa alors qu'il justifie, en outre, par les pièces qu'il a produites, de la possession d'état ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la possession d'état n'est pas établie et s'en remet à ses écritures de première instance.
M. F... I... N... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. L'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... I... N..., né le 31 décembre 1966, de nationalité somalienne, a déclaré être entré en France en décembre 2008 où il s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 26 février 2010. Le 22 août 2011, il a sollicité la venue en France de Mme G... L... ainsi que de M... F... I..., P... F... I..., R... F... I..., Q... F... I... et O... F... I... qu'il présente comme son épouse et ses enfants. Par une décision qui n'a été portée à sa connaissance que le 12 avril 2016, les autorités consulaires de l'ambassade de France à Djibouti ont implicitement rejeté les demandes de visa formées pour les intéressés. Par un recours enregistré le 4 mai 2016, M. I... N... a contesté cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Dans la présente instance, M. I... N... doit être regardé comme relevant appel du jugement du 28 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 30 juin 2016 qui a confirmé la décision de refus de délivrance des visas.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, le I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose que : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...). Le II du même article dispose que : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".
3. D'autre part, l'article L. 721-3 du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. / Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. / Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre. ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 à 4 que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
En ce qui concerne la demande de visa effectuée par Mme C... D... :
6. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour refuser à Mme G... L... le visa qu'elle sollicitait, sur le motif tiré de ce que le certificat de mariage du 14 décembre 1998 qu'elle présentait avait été établi sur des bases déclaratives, ce qui ne serait pas de nature à établir en lui-même l'existence du lien matrimonial allégué. Toutefois, M. I... N... produit le certificat que le directeur de l'OFPRA lui a délivré le 25 juin 2010, conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant de son mariage en 1968 à Mahdeye (Somalie) avec Mme G... L..., née le 31 décembre 1970. Dès lors qu'il n'est pas établi, ni même allégué que le certificat du directeur de l'OFPRA a été obtenu par fraude, le requérant justifie, pour l'application du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du lien matrimonial l'unissant avec la personne qu'il souhaitait faire venir en France. Par ailleurs, la seule circonstance qu'aucun acte de naissance n'ait été produit, alors qu'au surplus la demande de visa contenait un passeport établi au nom de Mme G... L... née le 31 décembre 1970, ce qui concorde au demeurant avec les mentions apposées dans le certificat de mariage de l'OFPRA, n'est pas de nature à remettre en cause l'identité de cette dernière. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en refusant de délivrer un visa de long séjour à Mme G... L... au motif que l'identité et le lien familial allégué n'étaient pas établis en l'absence de production d'un acte de naissance.
En ce qui concerne la demande de visas effectuée au nom des enfants :
7. Le requérant produit les certificats de naissance dressés le 27 février 2009 par le General registration office de Mogadiscio ainsi que les passeports des cinq enfants M... F..., P... F..., R... F..., Q... F... et O... F... I..., nés respectivement les 2 octobre 1994, 14 février 1996, 16 mai 1999, 1er septembre 2002 et 17 mai 2004, issus, pour les trois premiers, de son union avec Mme G... L..., et pour les deux derniers, de son union avec Mme J..., dont il ressort des écritures de première instance du ministre de l'intérieur, qu'il s'agit de sa seconde épouse dont il aurait divorcé en 2007. Il est constant que les mentions relatives à l'identité, aux dates et lieux de naissance des enfants concordent avec les déclarations faites à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par M. I... N... lors du dépôt de sa demande d'asile ainsi qu'avec les mentions indiquées sur les passeports des intéressés. Si le ministre soutient que les certificats de naissance doivent être regardés comme apocryphes dès lors qu'ils ont été dressés par une municipalité différente de celle de naissance des intéressés, que la procédure de reconstitution des actes n'a pas été respectée et qu'ils ne comportent pas certaines mentions réglementaires, il n'apporte au soutien de ses allégations aucun élément de nature à établir qu'à la date de leur délivrance, ces actes n'auraient pas été rédigés conformément aux règles régissant l'état-civil en Somalie, ni qu'ils seraient falsifiés ou non conformes à la réalité. Par ailleurs, eu égard aux dysfonctionnements du service d'état-civil somalien, la circonstance que les actes d'état-civil ont été rédigés sous l'en-tête de l'ancienne République démocratique de Somalie ne saurait leur ôter leur caractère authentique. Il suit de là, et sans que le ministre puisse utilement faire valoir que les actes de naissance ont été délivrés tardivement dès lors qu'ils ont été sollicités à l'occasion de la demande de visa formée au nom des enfants, l'identité des demandeurs et leur lien de filiation avec M. I... N... doivent être regardés comme établis, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de la possession d'état.
8. L'administration peut, toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Le ministre de l'intérieur invoque, dans son mémoire en défense communiqué à M. I... N..., en s'en remettant à ses écritures de première instance, lesquelles avaient été également communiquées à l'intéressé par le tribunal administratif, un autre motif tiré de ce que les jeunes Q... F... et O... F... I... ne peuvent bénéficier de la procédure de réunification familiale en l'absence de production d'un jugement de délégation d'autorité parentale ou d'un jugement de divorce prévoyant les modalités de garde de ces enfants. Il résulte des dispositions précitées du I. de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que seuls les enfants non mariés du couple composé du réfugié et de son conjoint ou concubin peuvent prétendre à rejoindre leur parent réfugié au titre de la réunification familiale. Il est constant, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des actes de naissance et des passeports des intéressés, que les jeunes Q... F... et O... F... I... ne sont pas nés de l'union entre M. I... N... et Mme G... L... et qu'aucun justificatif n'a été produit attestant que le requérant a la garde de ces enfants. Dès lors, ils n'entrent pas dans le champ de la réunification familiale définie à l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Par ailleurs, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Dès lors qu'il n'est pas établi, ni même allégué que les jeunes Q... F... et O... F... ne sont pas sous la garde de leur mère, laquelle n'a pas vocation à rejoindre le requérant, M. I... N... ne saurait faire valoir que la décision contestée a été prise, s'agissant de ces deux derniers enfants, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant. Il y a lieu, par suite, de procéder à la substitution de motifs demandée en ce qui concerne ces deux enfants.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... N... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande en tant qu'elle concerne Mme G... L... ainsi que les jeunes M... F... I..., P... F... I... et R... F... I....
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Le présent arrêt implique pour son exécution, eu égard au motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme G... L... ainsi qu'aux jeunes M... F... I..., P... F... I..., R... F... I... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. M. I... N... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me K..., avocat de M. I... N... de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 février 2019 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. I... N... en ce qu'elle concerne Mme G... L... ainsi que M... F... I..., F... F... I... et R... F... I....
Article 2 : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 30 juin 2016 est annulée en tant qu'elle concerne Mme G... L... ainsi que les jeunes M... F... I..., P... F... I... et R... F... I...
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme G... L... et aux jeunes M... F... I..., P... F... I... et R... F... I... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me K... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le surplus de la requête de M. I... N... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... I... N..., à Mme G..., à M. M... F... I... L..., à M. E... F... I..., à M. B... F... I... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 octobre 2019.
Le rapporteur,
M. H...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01676