I- Par une requête enregistrée le 27 novembre 2018, sous le n° 1804143, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
- d'annuler ce jugement ;
- de confirmer la décision prise par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
- de rejeter la requête de M.B....
Il soutient que :
- une erreur d'appréciation a été commise eu égard au caractère frauduleux des actes d'état civil produits par les demandeurs et à l'absence d'éléments probants de possession d'état ;
- aucune méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peut être constatée.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2019, M. B...et Mme I...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en celui de leurs enfants mineurs DanielleB..., MarieB...et MadeleineB...ainsi qu'R...B..., représentés par MeH..., demandent à la cour :
- de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
- d'enjoindre au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
- de mettre à la charge de l'Etat le versement, au profit de MeH..., d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L 761-1 du code de justice administrative et 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent qu'aucun moyen n'est fondé.
II- Par une requête enregistrée le 27 novembre 2018, sous le n° 1804144, le ministre de l'intérieur demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.
Il soutient que :
- une erreur d'appréciation a été commise eu égard au caractère frauduleux des actes d'état civil produits par les demandeurs et à l'absence d'éléments probants de possession d'état ;
- aucune méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peut être constatée.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2019, M. D...B...et Mme I...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en celui de leurs enfants mineurs DanielleB..., MarieB...et MadeleineB...ainsi qu'R...B..., représentés par MeH..., demandent à la cour :
- de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
- d'enjoindre au ministre de leur délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours ;
- de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros qui sera versée à Me Bourgeoisen application de l'article L 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 5 mars 2019 :
- le rapport de Mme Brisson
- et les observations de MeG..., substituant MeH..., représentant les consortsB....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité guinéenne, a obtenu le 28 septembre 2015 le statut de réfugié en France. Le 13 mai 2016, Mme I...E..., son épouse, et ses quatre enfants ont déposé une demande de visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de famille rejoignante d'un réfugié statutaire. Par une décision du 1er mars 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé à l'encontre de la décision prise par l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) le 28 novembre 2017 refusant de délivrer des visas de long séjour aux membres de la famille de M. B...en qualité de membres de famille de réfugié. Par une première requête, enregistrée sous le n° 1804143, le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 24 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de M.B..., annulé la décision de refus de visa et lui a enjoint de délivrer des visas de long séjour à l'épouse et à ses enfants. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1804144, le ministre de l'intérieur demande le sursis à exécution de ce même jugement. Les deux requêtes présentées par le ministre de l'intérieur sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint et aux enfants mineurs d'un étranger bénéficiant de la protection attachée à la qualité de réfugié les visas qu'ils sollicitent afin de pouvoir mener auprès de ce dernier une vie familiale normale. Elles peuvent toutefois opposer un refus à une telle demande pour un motif d'ordre public. Au nombre des motifs d'ordre public de nature à fonder légalement un tel refus, figure la circonstance que les documents présentés pour établir l'identité du demandeur et son lien de filiation avec l'étranger bénéficiant de la protection subsidiaire seraient, notamment en raison de leur caractère frauduleux, dépourvus de valeur probante.
En ce qui concerne le lien matrimonial avec Mme I...E... :
3. Aux termes de l'article L 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : /1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L 721-3 du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. / Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. ".
4. Les documents établis par le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font foi, en ce qui concerne la procédure de réunification familiale, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue par les articles 303 à 316 du code de procédure civile.
5. M. B...a produit un certificat établi le 26 juillet 2016 par l'Office français de l'immigration et de l'intégration attestant de son mariage, le 28 juin 1998, avec Mme I...E.... En l'absence de mise en oeuvre par le ministre de la procédure d'inscription de faux, ce document fait foi en ce qui concerne l'existence des liens matrimoniaux unissant Mme E...à M. B...alors même que ce dernier a déclaré à l'Office, être séparé de son épouse depuis 2011 et que, comme l'allègue le ministre, le mariage aurait été célébré en Guinée, en l'absence d'actes de naissance des intéressés.
6. Il suit de là que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a annulé le refus de délivrance d'un visa de long séjour à MmeE....
En ce qui concerne le lien familial avec les enfants R...P..., U...L..., S... O...et T...N... :
7. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état-civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
8. L'administration est en droit de refuser la délivrance de visas de long séjour à des personnes se disant membres de la famille d'une personne à laquelle a été reconnu en France le bénéfice du statut de réfugié lorsque le lien familial ou de filiation, n'est pas établi, notamment en raison de l'absence de caractère probant des documents d'état civil présentés pour établir ce lien.
9. Alors qu'il est constant que l'ambassade de France à Conakry a demandé aux intéressés de produire des actes de naissance récents, les actes transcrivant les jugements supplétifs d'actes de naissance rendus le 16 février 2016 par le tribunal de première instance de Fria pour les jeunes R..., U..., S... et T...B..., comportent des numéros d'acte de naissance différents de ceux figurant sur les passeports qui leur ont été délivrés le 8 février 2016 et ne comportent pas toutes les mentions requises par l'article 196 du code civil guinéen. Il ressort cependant des pièces du dossier et notamment des actes de naissance des enfants, volet n°1, établis quelques jours après leurs naissances respectives, que les numéros d'acte figurant sur ces documents sont conformes à ceux apparaissant sur leurs passeports et que les mentions figurant sur les actes de naissances des enfants relatives à leurs noms et prénoms, date, heure et lieux de naissance ainsi que les mentions relatives à l'identité, à l'âge, à la profession et domicile des parents sont toutes complétées et ne comportent aucun élément de variation.
10. Par ailleurs si les jugements supplétifs mentionnent qu'ils ont été pris sur la requête de M.B..., alors qu'en sa qualité de réfugié statutaire ce dernier ne pouvait entrer en relation avec les autorités guinéennes, ces indications n'établissent pas, contrairement à ce qu'allègue le ministre, que le requérant se serait rendu dans son pays d'origine. De même, si les jugements supplétifs ne précisent pas la profession exercée par les parents des enfants lors de leurs naissances, ces irrégularités ne sont pas de nature à établir que les actes de naissance établis dans les jours suivant la naissance des enfants seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité de sorte que ces actes ne feraient pas foi au sens de l'article 47 du code civil.
11. De même si le ministre fait valoir que les autorités de police guinéennes ont légalisé la signature apposée sur les autorisations de sortie du territoire des enfants mineurs, il ressort cependant du rapprochement de la signature figurant sur ces documents, au demeurant assortie de la mention " s/c " que cette signature diffère radicalement de celle figurant sur les documents relatifs aux transferts de fonds opérés par M. B...ou sur des documents de formation professionnelle, ne permettant pas d'établir que ce dernier serait bien le signataire de ces demandes.
12. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. B...justifie faire, régulièrement, depuis 2014, parvenir des fonds au profit de MmeB..., échanger, par l'intermédiaire notamment des réseaux sociaux avec son épouse et ses filles et qu'il fournit des documents médicaux et scolaires concernant les enfants.
13. Dans ces conditions, le lien de filiation entre M. B...et les quatre enfants doit être regardé comme établi.
14. Par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
15. La cour statue par le présent arrêt sur les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement attaqué. Il s'ensuit que sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt implique que le ministre délivre à Mme I...E..., Mme EmmanuelleP...B..., Mme DanielleL...B..., Mme MarieO...B...et Mme MadeleineN...B...les visas d'entrée et de long séjour demandés. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à cette délivrance dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt et ce sous astreinte de 50 par jour de retard à compter de cette date.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à Me Bourgeoisdans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du ministre de l'intérieur enregistrée sous le n° 1804144
Article 2 : La requête du ministre de l'intérieur enregistrée sous le n° 1804143 est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour demandés à Mme I...E..., Mme EmmanuelleP...B..., Mme DanielleL...B..., Mme MarieO...B...et Mme MadeleineN...B...en qualité de membres de famille de réfugié, dans le délai de 15 jours à compter de la notification du présent jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de cette date.
Article 4 : L'Etat versera à Me Bourgeoisune somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D...B..., à Mme I...E...et à Mme EmmanuelleB....
Délibéré après l'audience du 5 mars 2019, où siégeaient :
- M Perez, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- MA...'hirondel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 22 mars 2019.
Le rapporteur,
C. BRISSONLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 18NT04143-18NT04144