Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 octobre 2019, Mme D... I..., M. C... J... et M. H... E... agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs allégués Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo, représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juin 2019 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 6 octobre 2016 ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de lui enjoindre, dans les mêmes conditions, de réexaminer les demandes de visa ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée est irrégulière pour être insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation. En particulier, pour Mme D... I..., sont produits le livret de mariage et le certificat de mariage établis par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui n'ont fait l'objet d'aucune procédure en inscription de faux alors que son identité est établie. Pour les actes présentés pour M. C... J... et pour les jeunes Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo ont été présentés des jugements supplétifs d'acte de naissance qui sont conformes au droit congolais ;
- la possession d'état est établie par les pièces versées au dossier ;
- la décision contestée porte atteinte au droit à la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'aux intérêts supérieurs de l'enfant en violation des articles 3-1 et 9-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une lettre du 2 octobre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 6117 du code de justice administrative, de ce que de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que M. H... E... n'est pas recevable, en application des dispositions de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, à relever appel, en son nom personnel, du jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2017 faute, pour lui, d'avoir été une partie dans l'instance portée devant ce tribunal.
Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été enregistré le 2 octobre 2020 pour Mme D... I... et autres.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...'hirondel,
les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
et les observations de Me B..., substituant Me F..., représentant M. E... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... E... K..., ressortissant congolais né le 27 août 1975, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 29 août 2011. Le 4 février 2016, Mme D... I..., qui se présente comme son épouse, née le 14 août 1980, et leurs enfants allégués Salif J..., Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo, nés respectivement les 10 mai 2001, 17 décembre 2003 et 31 janvier 2010, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Par une décision du 22 juin 2016, les autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) ont rejeté leurs demandes. Par une décision du 6 octobre 2016, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. E... K... contre cette décision consulaire. Les requérants relèvent appel du jugement du 13 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance (...). "
3. Il ressort du dossier de première instance que M. H... E... K... n'était pas partie à l'instance devant le tribunal administratif de Nantes. Par suite, il n'est pas recevable, en application des dispositions précitées de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, à relever appel, en son nom propre, du jugement attaqué.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'acte de notoriété supplétif à un acte de naissance délivré à Mme D... I... a été établi 35 ans après sa naissance et 15 ans après son mariage allégué avec le regroupant et que les actes de naissance de M. C... J..., Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo ont tous été établis tardivement suivant le même jugement supplétif, rendu par une juridiction non compétente, respectivement, 14 ans, 12 ans et 5 ans après leur naissance et postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par M. H... E... K..., sans explications circonstanciées, ce qui leur ôte tout caractère probant, de sorte que l'identité des demandeurs et, partant, leur lien familial allégué avec le réfugié, ne sont pas établis.
5. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue / (...) Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".
En ce qui concerne la demande présentée par Mme D... I... :
6. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".
7. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
8. Il résulte des dispositions citées aux points 3 à 5 que les actes établis par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
9. Il ressort des pièces du dossier que l'OFPRA a délivré le 22 novembre 2012, en application de l'article L. 721-3 précité, un livret de famille mentionnant le mariage de M. H... E... K... avec Mme D... I..., célébré le 12 août 2000 à Kinshasa ainsi qu'un certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil délivré le même jour comportant les mêmes mentions. Dans ces conditions, et quels que soient les doutes que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ait pu émettre quant à la valeur probante de l'acte de notoriété supplétif à un acte de naissance délivré à l'intéressée présenté à l'appui de la demande de visa, les actes établis par l'OFPRA sur le fondement de l'article L. 721-3 précité ont valeur d'acte authentique établissant le lien matrimonial allégué à défaut, pour l'administration, d'établir l'existence d'une fraude.
10. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2111 du même code : " Un arrêté du ministre chargé de l'immigration détermine la nature des documents prévus au 1° de l'article L. 211-1 sous le couvert desquels les étrangers sont admis à franchir la frontière (...) ". Le 2ème alinéa de l'article 4 de l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France dispose que " 2. Tout étranger souhaitant entrer en France dans le but d'y séjourner pendant une période d'une durée supérieure à trois mois doit se faire préalablement délivrer par une autorité française sur son document de voyage un visa pour un long séjour, valide pour ce territoire. ". En application de ces dispositions, et ainsi qu'il résulte du courrier du bureau des familles de réfugiés du 9 janvier 2013 adressé à M. E... K..., outre la copie intégrale des actes d'état civil, les membres de sa famille déclarés à l'OFPRA qu'il souhaitait faire venir en France devaient notamment produire un passeport. Ce document est ainsi de nature à permettre de contrôler l'identité du demandeur. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité du demandeur n'était pas établie.
En ce qui concerne M. C... J... et les jeunes Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo :
11. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.
12. Aux termes de l'article 106 du code de la famille congolais : " Le défaut d'acte de l'état civil peut être suppléé par jugement rendu par le tribunal de grande Instance sur simple requête présentée au tribunal du lieu où l'acte aurait dû être dressé. / L'initiative de l'action appartient à toute personne intéressée et au ministère public. Lorsque celle-ci n'émane pas du ministère public, la requête lui est communiquée. / (...) Le tribunal, après vérification et enquête éventuelle, statue par décision motivée. / La transcription en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée en marge des registres, à la date du fait. (...) ". Aux termes de l'article 99 de la loi congolaise n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant: " Le tribunal pour enfants est seul compétent pour connaître des matières dans lesquelles se trouve impliquer l'enfant en conflit avec la loi. / Il connaît également des matières se rapportant à l'identité, la capacité, la filiation, l'adoption et la parenté (...) ". Selon l'article 200 de cette même loi : " Les tribunaux de paix et les tribunaux de grande instance restent compétents pour connaître respectivement en premier et second ressort des affaires qui relèvent de la compétence des tribunaux pour enfants qui seront installés et fonctionneront au plus tard dans les deux ans qui suivent la promulgation de la présente loi. "
13. Pour justifier du lien de filiation entre M. C... J..., Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo avec M. H... E... K... a été notamment produit le jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 30 juillet 2015 par le tribunal de grande instance de Kinshasa siégeant en matières civile et gracieuse. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a écarté ce jugement comme non probant au motif qu'il a été rendu par une juridiction incompétente qui, selon les écritures de première instance du ministre, devait être, pour les mineurs, le juge des enfants. Toutefois, à supposer même que le tribunal de grande instance de Kinshasa se soit mépris sur sa compétence pour rendre le jugement supplétif, cette circonstance, qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, ne permettrait pas par elle-même d'établir le caractère frauduleux de ce jugement.
14. De même, les circonstances que le jugement supplétif, dont l'objet est de suppléer l'absence d'actes de naissance, a été dressé 14 ans, 12 ans et 5 ans après la naissance des intéressés et postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par M. E... K... et que les copies intégrales d'actes de naissance présentées en première instance devant le tribunal administratif comportent des mentions supplémentaires portant sur la nationalité du déclarant et le prénom du père qui n'apparaissent pas sur le volet n°1 de ces actes présentés à l'appui de la demande des visas, n'établissent pas le caractère frauduleux du jugement supplétif. Il en est ainsi, également, de l'absence de similitude des signatures apposés sur les actes de naissance. Au demeurant, M. E... K..., le 5 novembre 2012, lors de l'établissement de la fiche familiale de référence devant l'OFPRA, a mentionné l'existence de ses enfants en mentionnant les mêmes informations que celles figurant sur le jugement supplétif quant à l'identité, à la date et à leur lieu de naissance.
15. Enfin, et pour le même motif que celui énoncé au point 10, la commission a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce en retenant comme motif l'absence de justificatif de l'identité des demandeurs.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a inexactement apprécié les faits de l'espèce en estimant que ni l'identité ni les liens familiaux unissant Mme D... I..., M. C... J... et les jeunes Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo à M. H... E... K... n'étaient établis. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance à Mme D... I..., à M. C... J..., et aux jeunes Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo, d'un visa d'entrée et de long séjour en France. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu, en l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
18. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme D... I... et autres et non compris dans les dépens.
D É C I D E:
Article 1er : La requête est rejetée en tant qu'elle est présentée par M. H... E... K... en son nom propre.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juin 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 6 octobre 2016 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme D... I..., à M. C... J... et aux jeunes Christivie Leka Nsenga et Akhenaton E... Kongo dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme D... I... et autres la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... I..., à M. C... J..., à M. H... E... K... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme Douet, président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.
Le rapporteur,
M. G...Le président,
O. COUVERT-CASTÉRA
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04194