Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2020, M. B... D... et Mme I... G..., en leurs noms personnels et pour le compte des enfants mineurs E... D..., Mohamed Lamine D... et Lansana D..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer les visas sollicités, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, subsidiairement, à défaut d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur profit d'une somme du même montant, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les refus de visa sont entachés d'erreur de droit au regard des articles L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil ;
- le jugement n'a pas statué spécifiquement sur la situation de E... ;
- les liens familiaux sont établis par possession d'état ;
- les refus de visa méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ils sont contraires aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- ils sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en rapporter à ses écritures de première instance.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme H... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... D..., ressortissant guinéen, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 5 février 2018. Par une décision du 4 septembre 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les refus opposés par les autorités consulaires françaises aux demandes de visa présentées, en qualité de membres de famille de réfugié, par Mme I... G... et les enfants E... D..., Mohamed Lamine D... et Lansana D.... M. D... et Mme G... relèvent appel du jugement du 4 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, le I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose que : " I - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans (...) ". Le II du même article dispose que : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721 3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
3. D'autre part, l'article L. 721-3 du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 à 4 que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa de long séjour, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques, laquelle fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
En ce qui concerne Mme I... G... :
6. Il ressort du certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil ainsi que des mentions portées en marge du certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil délivrés à M. D... par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que l'intéressé a épousé à Dubreka le 12 août 2006 Mme I... G..., née le 28 octobre 1985 à Conakry de Youssouf G... et de M'J.... Ces documents qui, en vertu de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont valeur authentique, font obstacle à ce que l'administration en conteste les mentions, sauf en cas de fraude. Ils font ainsi foi en ce qui concerne le lien matrimonial invoqué entre M. D... et Mme G..., le ministre de l'intérieur n'établissant pas, en l'espèce, l'existence d'une fraude en se bornant à opposer la circonstance que lors d'une précédente demande de visa, avait été produit un acte de mariage portant une mention inexacte relative à la date du mariage. Au demeurant, cet acte a été annulé par un jugement du tribunal de première instance de Kaloum du 21 janvier 2021.
7. Ensuite, s'il ressort des pièces du dossier que Mme G... a produit en 2019 un acte de naissance différent de celui qu'elle avait produit en 2015 au soutien d'une précédente demande de visa, les discordances observées ne portent pas sur son identité. En outre, Mme G..., qui a obtenu l'annulation par le tribunal de première instance de Dixinn de l'acte produit en 2015, verse à l'instance un procès-verbal de constat d'huissier faisant état de l'existence dans les registres d'état civil des naissances archivés au centre d'état civil central de Conakry de l'acte produit au soutien de la demande en 2019. Ce dernier n'est ainsi pas dépourvu de valeur probante.
8. Enfin, la photographie apposée sur le passeport de Mme G... permet à l'administration de s'assurer que la personne formant la demande de visa est bien celle mentionnée sur le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil.
En ce qui concerne l'enfant E... D... :
9. Il ressort de la copie intégrale de l'acte de naissance n° 00914/2005 délivrée le 8 janvier 2019 que l'enfant E... D... est née le 31 décembre 2005 à la maternité de Matam de M. B... D... né en 1987 et de Mme I... G... née en 1985. Il n'est ni établi ni même allégué par l'administration que ce document serait inauthentique. Par suite, l'identité de la jeune E... et son lien de filiation avec M. D... doivent être tenus pour établis.
En ce qui concerne l'enfant K... D... :
10. Les requérants produisent la copie délivrée le 13 octobre 2009 de l'extrait d'acte de naissance n° 085/2009 dressé le 26 mars 2009 par l'officier d'état civil de Matam, Conakry ainsi que la copie intégrale de ce même acte délivrée le 27 juin 2019, laquelle a été certifiée conforme le 22 juillet 2020 par les services du ministère des affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger. Ces documents font état de la naissance de l'enfant K... D... survenue le 18 mars 2009 à la maternité de Matam dont le père est M. B... D... né en 1987 et Mme I... G... née en 1985. Si, à l'appui d'une précédente demande de visa, a été produit un acte de naissance établi dans le centre d'état civil d'une autre commune de la ville de Conakry portant un numéro différent et mentionnant un établissement de santé autre que la maternité de Matam, cette circonstance ne suffit pas, en l'espèce, alors que l'acte irrégulier a été annulé par un jugement du tribunal de première instance de Dixinn, à priver l'acte n° 085/2009 de sa valeur probante.
En ce qui concerne l'enfant F... D... :
11. Il ressort des pièces du dossier que la levée d'acte diligentée par les autorités consulaires concernant l'acte de naissance produit en vue d'établir l'identité de l'enfant F... D... a conduit à la production d'un acte de naissance concernant un individu de sexe féminin né le 19 mai 2013. Toutefois, la copie intégrale de l'acte de naissance dont se prévalent les requérants a été authentifiée par les services du ministère des affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger. Dans ces conditions, eu égard à l'ensemble des pièces du dossier et alors que les défaillances des services en charge de l'état civil en Guinée ont pu conduire à des défauts dans la transcription de la naissance, l'identité et la filiation de l'enfant F... D... né le 31 janvier 2013 à Matam de M. B... D... né en 1987 et de Mme L... G... née en 1992 doivent être tenues pour établies.
12. Il suit de là qu'en maintenant les refus de visa opposés à Mme I... G... et aux jeunes E... D..., Mohamed Lamine D... et Lansana D... au motif que les identités et les liens familiaux revendiqués n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. D... et Mme G... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
14. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à Mme I... G... et aux jeunes E... D... et Mohamed Lamine D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
15. En revanche, est seul versé aux débats un acte notarié autorisant Lansana D... à voyager avec son père et lui déléguant l'exercice de l'autorité parentale alors que l'article L.411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile exige une décision d'une juridiction étrangère. Dans ces conditions, il y a seulement lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer, à la lumière des motifs du présent arrêt, la demande de visa présentée pour l'enfant F... D..., dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il appartiendra au ministre de l'intérieur, dans le cadre de ce réexamen, de tenir compte des éléments nouveaux produits, le cas échéant, devant lui.
Sur les frais liés au litige :
16. M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 100 euros à Me C....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 juin 2020 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 4 septembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, d'une part, de délivrer à Mme I... G... et aux jeunes E... D... et Mohamed Lamine D... un visa de long séjour, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, d'autre part, de procéder, dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, au réexamen de la demande de visa présentée pour le jeune F... D....
Article 3 : L'Etat versera à Me C... la somme de 1 100 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., Mme I... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme A..., présidente assesseur,
- Mme H..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 février 2021.
Le rapporteur,
K. H...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02889