Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 mai 2018 et le 15 novembre 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de première instance.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, les documents d'état civil produits sont de complaisance et ne permettent pas d'établir les liens de filiation allégués ; ceux-ci ne peuvent pas davantage être établis par possession d'état ;
- les refus de visa sont légalement justifiés, au regard de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de l'absence de déchéance du père de ses droits parentaux ou de décès de celui-ci ;
- en l'absence de lien familial établi, le tribunal ne pouvait se fonder sur la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 juillet 2018, le 13 novembre 2018, le 23 novembre 2018 et le 4 décembre 2018, MmeC..., représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de rappeler au ministre l'injonction prononcée par le tribunal administratif ou, à défaut, de prononcer à son encontre une astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Mme C...a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 septembre 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de MeB..., représentant MmeC....
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., ressortissante guinéenne née le 1er janvier 1981 et entrée en France en février 2004, bénéficie du statut de réfugié depuis 2005. Elle a sollicité la délivrance de visas d'entrée et de long séjour pour les jeunes D...C...et A...C..., résidant alors au Mali, qu'elle présente comme ses filles. Le 22 juillet 2015, les autorités consulaires françaises à Bamako ont refusé de délivrer les visas sollicités. Le 19 octobre 2015, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé par Mme C...contre la décision consulaire. Les motifs de cette décision ont été communiqués à Mme C...par un courrier du 17 décembre 2015. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 23 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission.
Sur la légalité de la décision contestée:
2. En premier lieu, d'une part, pour contester la réalité des liens de filiation entre Mme C... et les jeunes D...etA..., le ministre de l'intérieur se prévaut des mentions portées par un agent de la direction nationale de l'état civil du ministère guinéen de l'administration du territoire et de la décentralisation (MATD), à qui avaient été soumis pour vérification les extraits d'actes de naissance produits à l'appui des demandes de visa, dont il ressort que ces actes devaient être regardés comme des faux du fait de l'absence de signature par le déclarant et du caractère illisible du numéro de registre, s'agissant de l'extrait d'acte de naissance de la jeuneA..., et de la non-conformité des références, s'agissant de l'extrait d'acte de naissance de la jeuneD.... Toutefois, l'absence de signature par les parents déclarants de l'exemplaire des actes de naissance, qui leur est remis, n'est pas de nature à mettre en doute leur authenticité. En outre, le caractère illisible, sur la copie de l'extrait d'acte de naissance, du numéro du registre dans lequel la déclaration de naissance de la jeune A...a été inscrite, ne saurait par lui-même démontrer le caractère frauduleux du document d'état civil en cause. Au demeurant, il ressort d'une autre copie du même extrait d'acte de naissance, produite devant les premiers juges, que cet acte figure au registre n° 01. Par ailleurs, alors que le ministre ne précise pas au regard de quelles règles régissant l'état civil en Guinée les références portées dans l'extrait d'acte de naissance de la jeune D...seraient " non conformes ", celui-ci ne peut être regardé comme dépourvu de valeur probante. D'autre part, la réalité des liens de filiation mentionnés dans ces extraits d'actes de naissance est corroborée par les jugements supplétifs du tribunal de première instance de Conakry du 7 août 2015 et des extraits du registre de transcription tenant lieu d'actes de naissance délivrés le 12 août 2015. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Ainsi, le ministre ne saurait utilement critiquer les jugements supplétifs considérés au motif qu'ils seraient fondés sur les seules déclarations des personnes directement concernées et non sur des " éléments objectifs garantissant leur véracité ". La circonstance que ces jugements supplétifs aient été rendus en 2015, soit treize et quatorze ans après les naissances qu'ils relatent, à la demande des intéressées afin d'être produits au soutien de leurs demandes de visa d'entrée en France ne révèle, par elle-même, aucune fraude. De même, Mme C...fait valoir, sans être sérieusement contredite, que le droit guinéen autorise la délivrance de jugement supplétif d'acte de naissance, dans le cas où une naissance n'a pas été déclarée dans le délai légal, en application de l'article 193 du code civil, mais également dans les cas où l'acte de naissance détenu par l'intéressé est regardé comme inauthentique. Ainsi, compte tenu du motif opposé le 28 juillet 2015 par les autorités consulaires françaises aux demandes de visa, tiré de ce que les " documents d'état civil présentés présentent les caractéristiques d'un document frauduleux ", le tribunal de première instance de Conakry a été saisi le 6 août 2015 de requêtes tendant à ce soient transcrites dans les registres d'état-civil les naissances de D...etA.... Le ministre fait valoir que ces dernières étaient alors mineures et dépourvues de la capacité juridique, sans toutefois apporter la moindre précision quant aux règles de droit guinéen relatives à la représentation des mineurs en justice ainsi qu'aux mentions censées figurer, en vertu de règles de droit ou d'usages, sur les décisions juridictionnelles guinéennes. Dans ces conditions, la circonstance que les jugements supplétifs du 7 août 2015 visent des requêtes présentées par A...C...et D...C...ne permet pas de douter de leur authenticité. Ainsi, sans qu'il sans besoin d'examiner l'existence d'une possession d'état, en estimant que les liens de filiation entre Mme C...et les jeunes D...et A...n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a commis une erreur d'appréciation.
3. En deuxième lieu, il ressort du courrier que la commission de recours a adressé le 17 décembre 2015 en réponse à la demande de communication des motifs de la décision en litige, qu'après avoir estimé que les liens de filiation allégués n'étaient pas établis, la commission a relevé, au surplus, que Mme C...n'avait pas été en mesure de démontrer qu'elle possédait seule l'autorité parentale sur les enfants au bénéfice desquelles les demandes de visa ont été formées. Toutefois, par un courrier du 20 janvier 2010, le bureau des familles de réfugiés, saisi par Mme C...de la demande de regroupement familial au profit de ses filles, l'a informée qu'il lui appartenait désormais de déposer auprès des services consulaires à Bamako les demandes de visa. Il ressort de la décision de la commission des recours des réfugiés du 6 janvier 2005, reconnaissant à Mme C...la qualité de réfugié, que son époux a été " accusé d'avoir participé à une tentative de coup d'Etat manqué " et était recherché par les autorités de son pays. La requérante soutient que son époux a disparu en 2002 et que ses filles et elle-même ont, depuis lors, perdu tout contact avec lui. Les seules déclarations d'un tiers, lors de son audition par les services de police maliens, le 28 janvier 2014, selon lesquelles lors de sa rencontre avec Mme C... celle-ci lui aurait " laissé entendre qu'elle était venue au Mali pour chercher le visa de séjour français pour ses deux (02) filles qui sont avec leur père au Mali " ne sauraient à elles seules remettre en cause la véracité des déclarations de la requérante. Dès lors, le moyen tiré de ce que les refus de visa en litige sont légalement justifiés, au regard des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vertu desquelles les étrangers mineurs pouvant bénéficier du regroupement familial sont ceux dont la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux doit, en tout état de cause, être écarté.
4. En troisième lieu, il ressort de la motivation du jugement attaqué que les premiers juges ont seulement relevé, pour apprécier si, en dépit de l'illégalité entachant le premier motif de la décision contestée, tiré de l'absence de lien de filiation, la commission aurait pris la même décision en se fondant sur celui tiré de ce que Mme C...ne justifiait pas détenir seule l'autorité parentale sur ses enfants, que, alors que la demanderesse contestait ce motif au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'administration n'avait pas présenté d'observations sur ce moyen. Ce faisant, les premiers juges n'ont pas fondé l'annulation qu'ils ont prononcée sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni sur celui de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal ne pouvait se fonder sur la méconnaissance de ces articles doit être écarté comme inopérant.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Le tribunal a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes D...et A...C...un visa d'entrée et de long séjour en France. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme C... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B...de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B...la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme M'E...C....
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président de chambre,
Mme Brisson, président-assesseur,
Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 décembre 2018.
Le rapporteur,
K. BOUGRINE
Le président,
A. PEREZLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01965