Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mars 2018, Mme B...H...et M. D... C..., représentés par MeF..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2017 en tant qu'il concerne M. D...C...;
2°) d'annuler la décision du 27 février 2015 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse de délivrer un visa de long séjour à M. D...C...;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à M. D...C..., dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement, de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai d'un mois;
4°) de mettre à la charge de l'Etat au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Ils soutiennent que :
la décision contestée qui refuse de délivrer le visa demandé pour M. D...C... est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que les actes d'état civil présentés à l'appui de la demande de visa ne relèvent pas d'incohérences et sont authentiques ;
la possession d'état à l'égard de M. D...C...est établie par les pièces du dossier ;
le père de M. D...C...ne vit plus avec ses enfants et réside en France ;
la décision contestée a été prise en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990.
Mme H...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...'hirondel,
- et les observations de MeE..., substituant MeF..., représentant Mme H...et M.C....
Considérant ce qui suit :
1. MmeH..., ressortissante congolaise née le 9 février 1978, est entrée en France le 5 septembre 2009 et s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 20 juin 2013. Elle a demandé le bénéfice d'un regroupement familial pour ses enfants allégués Assa Lupetu, Esther Lubuele et RubbenC..., nés respectivement en 1995, 1997 et 1999 et qui résident en République démocratique du Congo. Par une décision du 22 octobre 2014, l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo a refusé de délivrer les visas d'entrée et de long séjour sollicités pour ces enfants. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté par une décision du 27 février 2015, le recours formé contre ce refus. Mme B...H...et M. D...C...relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juillet 2017 en tant qu'il rejette leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours en ce qu'elle concerne M. D...C....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il résulte de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Si cet article prévoit que les actes d'état civil faits en pays étranger et selon les formes usitées dans ce pays font foi, il n'en va toutefois pas ainsi lorsque d'autres actes ou pièces, des données extérieures ou des éléments tirés de ces actes eux-mêmes établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que ces actes sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
3. Pour refuser un visa d'entrée en France à M. D...C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur la tardiveté de l'acte de naissance et du jugement supplétif présentés à l'appui de la demande de visa, sur l'absence de conformité de l'acte d'état-civil à la loi locale, sur les incohérences et les invraisemblances que ces actes comportent, sur l'intérêt supérieur de l'enfant de demeurer auprès de l'autre parent resté dans le pays d'origine et sur l'absence de possession d'état.
4. D'une part, aux termes de l'article 106 du code de la famille congolais : " Le défaut d'acte de l'état civil peut être suppléé par jugement rendu par le tribunal de grande instance sur simple requête présentée au tribunal du lieu où l'acte aurait dû être dressé. / L'initiative de l'action appartient à toute personne intéressée et au ministère public. Lorsque celle-ci n'émane pas du ministère public, la requête lui est communiquée. / Lorsque le défaut d'un acte de l'état civil est constaté par l'officier de l'état civil parce que les déclarants se sont présentés après l'expiration du délai légal, l'officier de l'état civil, après avoir vérifié la réalité des déclarations à faire et les motifs du retard, envoie sans délai un rapport au ministère public qui saisit le tribunal. / Le tribunal, après vérification et enquête éventuelle, statue par décision motivée. / La transcription en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée en marge des registres, à la date du fait. / L'officier de l'état civil, dans le cas où cette transcription intéresse un fait d'une année antérieure à l'année en cours, avertit, dans les huit jours, le greffier du tribunal de grande instance et le bureau central des actes de l'état civil près le ministère de la justice à Kinshasa de la mention à faire en marge des registres, à la date des faits. ". Aux termes de l'article 108 de ce même code : " Les jugements supplétifs et rectificatifs d'actes de l'état civil ainsi que la rectification d'office sont opposables à tous ". Selon l'article 109 de ce code : " Les jugements supplétifs et rectificatifs des actes de l'état civil peuvent être frappés d'appel par le ministère public ou par toute personne intéressée. ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 129 du code de la famille congolais relatif aux actes de naissance : " Les copies et extraits d'acte de naissance sont délivrés conformément à l'article 99 relatif aux dispositions générales. / Toutefois, à l'exception du chef du parquet local de l'enfant, de ses ascendants et descendants en ligne directe, de son conjoint, de son tuteur ou de son représentant légal, nul ne peut obtenir une copie conforme d'un acte de naissance autre que le sien, si ce n'est en vertu d'une autorisation délivrée par le juge du lieu où l'acte a été reçu et sur la demande écrite de l'intéressé (...) ". L'article 99 de ce code prévoit que " sauf dispositions spéciales prévues aux règles propres à chacun des actes de l'état civil, toute personne peut, moyennant paiement des frais, se faire délivrer des copies des actes qui sont inscrits aux registres de l'état civil. / Les copies délivrées certifiées conformes au registre portent la date de leur délivrance, énoncée en toutes lettres et sont revêtues du sceau de l'autorité qui les a délivrées. / Elles doivent être, en outre, légalisées lorsqu'il y a lieu de les produire devant les autorités étrangères. (...) ".
6. En premier lieu, à l'appui de la demande de visa sollicitée en faveur de M. D...C...a été produit un jugement supplétif d'acte de naissance rendu par le tribunal pour enfants de Kinshasa / siège secondaire de Kinkole le 10 octobre 2013 déclarant l'intéressé être né le 4 avril 1999 à Kinshasa de l'union de Mme B...H... et de M. C...I...et ordonnant à l'officier de l'état civil de la commune de Masina de transcrire le dispositif de ce jugement dans le registre de l'année en cours ainsi que de délivrer l'acte de naissance y afférent à la requérante. Il a également été produit l'acte de naissance de M. D... C..., dressé le 1er novembre 2013 par l'officier de l'état civil de la commune de Masina qui reprend cette filiation en visant, en marge, ce jugement supplétif. L'administration n'établit pas, ni même n'allègue, tant en première instance qu'en appel, le caractère frauduleux du jugement supplétif, lequel ne saurait résulter, pour remettre en cause le lien de filiation retenu dans ce jugement, de la seule note de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 février 2014, qui est insuffisamment circonstanciée, selon laquelle Mme H...aurait déclaré que ses trois premiers enfants sont issus de deux unions différentes alors que les jugements supplétifs les concernant leur attribuent le même père et que M. C...I...atteste de sa paternité envers ces derniers. La circonstance que l'acte de naissance a été émis dans le délai d'appel dont est susceptible d'être frappé ce jugement, n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité des mentions apportées dans ces documents alors, au surplus, que l'article 109 du code de la famille congolais, contrairement à ce qu'allègue le ministre, n'interdit pas la délivrance d'un acte de naissance dans le délai d'appel. La circonstance que les actes de naissance délivrés le même jour aux trois enfants allégués, en particulier celui concernant Assa Lupetu, ne portent pas des numéros successifs n'est pas de nature à faire regarder l'acte de naissance de M. D... C...comme apocryphe alors que, de plus, le bourgmestre de la commune de Masina confirme avoir bien établi l'ensemble de ces actes. La circonstance que le jugement supplétif, qui constate la naissance et les liens de parenté de M. D...C..., et dont l'objet est de pallier l'absence de déclaration à la naissance, ait été rendu tardivement à l'occasion de la demande de visa formée par l'intéressé ne permet pas, à elle seule, d'établir le caractère non probant de ce document. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que les actes d'état civil présentés à l'appui de la demande de visa de M. D...C...attestant de sa filiation avec MmeH... présenteraient un caractère frauduleux.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C...I...réside en France. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer le visa au motif que l'intérêt supérieur de M. D...C...commande qu'il reste auprès de son autre parent resté dans son pays d'origine.
8. Enfin, la filiation étant établie dans les conditions qui viennent d'être dites, la circonstance qu'elle n'est pas démontrée au moyen de la possession d'état est sans incidence sur la solution du litige.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle concerne M. D...C....
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
10. Le présent arrêt, eu égard à ses motifs, et sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, implique la délivrance à M. D...C..., du visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de délivrer à l'intéressé le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme H...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat, MeF..., peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à MeF..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juillet 2017 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 27 février 2015 sont annulés en tant qu'ils concernent la demande de visa de M. D...C....
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D...C..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me F...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...H..., à M. D...C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 29 octobre 2018.
Le rapporteur,
M. G...
Le président,
A. PEREZ Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00954