Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 mai 2018 M. H... E..., M. A... E... et Mme G... E..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 mars 2018 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à la demande indemnitaire de Mme K... E... ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Bretagne Sud à leur verser la somme de 74 268 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bretagne Sud la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Bretagne Sud doit être confirmée ;
- il y a lieu de porter leurs indemnités à 20 040 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, à 8 750 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, à 3 500 euros au titre du préjudice esthétique, à 25 000 euros au titre des souffrances endurées et à 15 000 euros au titre du préjudice d'établissement.
Par des mémoires enregistrés les 3 mai et 22 juillet 2019 la Mutuelle UNEO, représentée par Me J..., demande à la cour :
1°) de condamner le centre hospitalier de Bretagne Sud à lui rembourser la somme de 6 832,24 euros qu'elle a exposée au bénéfice de Mme K... E... ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bretagne Sud la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Bretagne Sud aux entiers dépens.
Elle soutient que sa demande est recevable et que la somme de 6 832,24 euros qu'elle réclame correspond à des prestations qui sont en lien direct avec les fautes commises par le centre hospitalier de Bretagne Sud.
Par des mémoires enregistrés les 17 juin et 1er août 2019 le centre hospitalier de Bretagne Sud, représenté par Me I..., conclut au rejet de la requête des consorts E... et des conclusions de la mutuelle UNEO et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réduire à de plus justes proportions les sommes de 8 500 euros et 12 000 euros allouées par les premiers juges aux titres du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées.
Il soutient que :
- les requérants ne sont pas fondés à demander une indemnisation qui ne tient pas compte du taux de perte de chance de 50% retenu par les premiers juges ;
- le tribunal administratif a mal évalué les indemnités dues aux titres du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées ;
- le préjudice d'établissement n'est pas justifié ;
- la demande de la mutuelle UNEO, présentée pour la première fois en appel, n'est pas recevable ; en tout état de cause, les documents qu'elle produit ne permettent pas de vérifier la réalité des dépenses qu'elle indique avoir exposées et leur lien avec les fautes commises.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme K... E..., alors âgée de 72 ans, a été admise le 23 novembre 2009 au service des urgences du centre hospitalier de Bretagne Sud après s'être fracturé le fémur droit. Une intervention chirurgicale en vue d'une ostéosynthèse par pose d'un clou centro-médullaire a été réalisée le 24 novembre 2009 dans le service d'orthopédie de ce centre hospitalier. Des radiographies de contrôle réalisées le 6 mai 2010 ont montré une impaction du foyer de fracture et une ébauche de fissure au niveau du fragment proximal, imputables à une rupture d'une vis de verrouillage. Une nouvelle intervention a alors été programmée, afin de retirer les deux vis de verrouillage inférieur et de transformer l'ostéosynthèse statique en ostéosynthèse dynamique. Cette intervention a été réalisée le 28 mai 2010. Mais, le 26 juillet 2010, Mme E... a ressenti de violentes douleurs en raison de la rupture du clou centro-médullaire. Une nouvelle intervention le 3 août 2010 a permis de remplacer le clou cassé. En dépit de ces interventions successives, la consolidation de la fracture s'est accompagnée d'une varisation et d'une impaction du foyer de fracture, entraînant un raccourcissement du membre inférieur droit. Après avoir obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Rennes la désignation d'un expert, lequel a remis son rapport le 22 avril 2016, Mme E... a saisi le 29 juin 2016 ce même tribunal d'une demande indemnitaire à hauteur de 74 268 euros. Mme E... est décédée en cours d'instruction, le 23 avril 2017. Par un jugement du 22 mars 2018, le tribunal a accordé à ses héritiers (M. H... E..., M. A... E... et Mme G... E...) la somme de 26 000 euros, sous déduction d'une provision de 16 235 euros déjà perçue. Les consorts E... relèvent appel de ce jugement. Le centre hospitalier de Bretagne Sud, par la voie de l'appel incident, demande la réduction des sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées. La mutuelle UNEO demande le remboursement des frais qu'elle a exposés pour Mme E....
Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Bretagne Sud :
2. Il résulte de l'instruction que, appelée à la cause en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale par le tribunal administratif de Rennes, la mutuelle UNEO n'a pas produit avant la clôture de l'instruction. Ayant ainsi été mise à même de faire valoir ses droits devant ce tribunal administratif mais ayant omis de lui demander en temps utile le remboursement des frais exposés, la mutuelle UNEO n'est plus recevable à le faire en appel. Il y a donc lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Bretagne Sud.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
4. Il résulte de l'instruction que si la décision de procéder au retrait des deux vis de verrouillage inférieur en vue de transformer l'ostéosynthèse statique en ostéosynthèse dynamique était légitime, le chirurgien qui a conduit l'intervention du 28 mai 2010 n'a procédé qu'à l'ablation de deux fragments de vis cassés, et non de l'intégralité de ces vis, ce qui n'a pas permis d'obtenir la dynamisation du montage attendue. Il résulte également de l'instruction que lors de l'intervention du 3 août 2010, ce même chirurgien a choisi un diamètre d'alésage du fragment proximal inférieur au diamètre recommandé et qu'il a omis de réduire la fracture. Ainsi que l'a relevé l'expert, ces deux interventions n'ont donc pas été réalisées conformément aux bonnes pratiques médicales. La responsabilité pour fautes du centre hospitalier de Bretagne Sud, qui n'est d'ailleurs pas contestée en appel, doit donc être confirmée.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne le taux de perte de chance :
5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
6. Sur la base des conclusions de l'expert, le tribunal administratif de Rennes a fixé à 50% la chance perdue par Mme E... d'obtenir une amélioration de son état de santé en raison des fautes commises par le centre hospitalier de Bretagne Sud lors des interventions des 28 mai et 3 août 2010. Ce taux n'est pas infirmé par l'instruction et est admis par les parties. Il y a donc lieu de le confirmer en appel.
7. Pendant la période indemnisable, qui court du 30 mai 2010 au 24 février 2014, date de consolidation de l'état de santé de Mme E..., l'expert a évalué le déficit fonctionnel temporaire à 100% du 26 juillet au 14 août 2010, du 4 janvier au 4 février 2011 et du 7 au 12 novembre 2012, à 75 % du 30 mai au 25 juillet 2010, du 15 août 2010 au 3 janvier 2011 et du 5 février 2011 au 2 février 2012, et à 50% du 3 février au 6 novembre 2012 et du 13 novembre 2012 au 24 février 2014. Sur la base d'une indemnité journalière comprise entre 6,50 euros et 13 euros selon le taux de déficit fonctionnel appliqué, l'indemnité de 8 500 euros allouée en première instance à Mme E... doit être plus justement évaluée à la somme de 6 000 euros.
8. L'expert a évalué les souffrances endurées par Mme E... strictement imputables aux fautes commises par le centre hospitalier de Bretagne Sud à 1,5 sur 7. Dans les circonstances de l'espèce, pour tenir compte de la longue période pendant laquelle Mme E... a subi ce préjudice, celui-ci pourra être évalué à la somme de 4 000 euros, qui est d'ailleurs admise en défense. En application de ce qui a été dit au point 5, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rennes, il y a lieu d'appliquer à ce montant le taux de perte de chance de 50% pour évaluer l'indemnité due aux consorts E.... Par suite, la somme de 12 000 euros que les premiers juges ont condamné le centre hospitalier de Bretagne Sud à verser aux consorts E... doit être ramenée à 2 000 euros.
9. Le déficit fonctionnel permanent subi par Mme E... a été évalué à 10% par l'expert. Sur cette base et en tenant compte de l'âge de l'intéressée à la date de consolidation de son état de santé, soit 77 ans, il y a lieu de confirmer la somme de 3 500 euros allouée aux requérants par les premiers juges et qui n'est d'ailleurs pas contestée par le centre hospitalier de Bretagne Sud.
10. Le préjudice esthétique de Mme E... a été évalué à 2,5 sur 7 par l'expert. Sur cette base, la somme de 2 000 euros accordée en première instance devra être ramenée à 1 000 euros après application du taux de perte de chance de 50%.
11. Il résulte de ce qui précède que la somme de 26 000 euros que le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Bretagne Sud à verser aux consorts E... doit être ramenée à 12 500 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu de mettre définitivement à la charge du centre hospitalier de Bretagne Sud les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 10 mai 2016 du président du tribunal administratif de Rennes à la somme de 2 956,20 euros.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Bretagne Sud, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, verse aux consorts E... la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 26 000 euros que le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Bretagne Sud à verser aux consorts E... sous déduction de la provision déjà accordée est ramenée à 12 500 euros.
Article 2 : Les conclusions présentées par les consorts E... et par la mutuelle UNEO sont rejetées.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 956,20 euros sont mis à la charge définitive du centre hospitalier de Bretagne Sud.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E..., à M. A... E..., à Mme G... E..., épouse B..., au centre hospitalier de Bretagne Sud et à la Mutuelle UNEO.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme L..., présidente-assesseure,
- M. D..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2019.
Le rapporteur
E. D...La présidente
N. L...
Le greffier
M. F...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01914