Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 octobre 2018, le préfet du Calvados demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé qu'il s'était cru en situation de compétence liée pour refuser le titre de séjour sollicité, compte tenu de l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), et que l'arrêté contesté était entaché d'une erreur de droit ; une annulation motivée par des circonstances toutes particulières d'espèce aurait été préférable, ou en tout cas plus compréhensible, à cette annulation pour erreur de droit.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 décembre 2018, Mme A..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que les moyens invoqués par le préfet du Calvados ne sont pas fondés.
Par une décision du 12 novembre 2019, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé, à la demande de Mme A..., l'arrêté du 17 avril 2018 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet du Calvados relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée./ L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ".
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ".
4. Le préfet du Calvados a pris l'arrêté contesté au vu de l'avis du 9 janvier 2018 du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) selon lequel si l'état de santé de son enfant, E... A..., âgée de 6 ans, nécessite une prise en charge médicale et si le défaut de prise en charge peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé au Bangladesh, celle-ci peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et est en état de voyager vers ce pays.
5. Il ne ressort ni des énonciations de l'arrêté contesté ni des autres pièces du dossier que le préfet du Calvados, qui s'en est seulement approprié la teneur, se serait estimé lié par l'avis du collège de médecins de l'OFII et qu'il aurait ainsi méconnu l'étendue de sa propre compétence. Par suite, le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du 17 avril 2018.
6. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Caen.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant de Mme A... souffre d'épilepsie, qu'elle a présenté plusieurs épisodes de convulsions fébriles et suit un traitement quotidien. Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'état de santé de cette enfant nécessite une prise en charge médicale et le défaut de prise en charge peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Les ordonnances émanant du service de pédiatrie médicale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen prescrivent, dans le cas où les convulsions durent plus de 5 minutes, de lui administrer un médicament spécifique et de la conduire aux urgences pédiatriques ou de téléphoner au service des urgences. Il ressort des pièces versées au dossier tant par Mme A... que par le préfet du Calvados en première instance, d'une part, que le taux de couverture des services de santé pour l'ensemble de la population est de 46 %, au Bengladesh, le nombre de médecins s'élevant à 0,356 pour mille habitants et le nombre de lits d'hôpitaux à 0,6 pour mille habitants, d'autre part, que la capitale Dhaka compte un lit d'hôpital pour 10 572 personnes et la ville de Sylhet, où réside une partie de la famille, un lit pour 10 987 personnes. Ces éléments relatifs à l'offre de soins dans le pays dont elle est originaire, qui ne sont pas contestés en appel, sont de nature à remettre en cause l'appréciation du préfet et du collège de médecins de l'OFII quant à la possibilité pour l'enfant de disposer effectivement d'un traitement approprié au Bengladesh. Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, en refusant de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme A..., le préfet du Calvados a méconnu les dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués par Mme A..., que le préfet du Calvados n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé le refus de séjour opposé le 17 avril 2018 à l'intéressée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi et lui a enjoint de délivrer à Mme A... un titre de séjour.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me C..., avocate de Mme A..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Calvados est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme B..., président assesseur,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Lu en audience publique le 6 décembre 2019.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°18NT03761 2