Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 avril 2015, M. C...B...E..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 13 novembre 2014 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros à raison du préjudice moral subi du fait de la méconnaissance de son droit à être incarcéré dans un établissement pénitentiaire permettant le maintien effectif de ses liens familiaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le sens des conclusions du rapporteur public, mis en ligne la veille de l'audience, qui se bornait à mentionner le rejet de sa demande sans autre motivation, ne répond pas aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et méconnaît le droit à un procès équitable ;
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ; la minute de ce jugement n'est pas signée ;
- le refus opposé à sa demande de transfert dans un centre pénitentiaire guyanais lui permettant de maintenir les liens l'unissant à sa famille résidant au Brésil porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le prive de toute possibilité de réinsertion et lui cause un préjudice moral qu'il évalue à 25 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B...E...n'est fondé.
Par une ordonnance du 19 avril 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 19 mai 2016 en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
Par ordonnance du 19 mai 2016, la clôture d'instruction a été reportée au 30 juin 2016 à 12h00.
M. B... E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 février 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966 ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
1. Considérant que M. B...E..., ressortissant brésilien né en 1976, est incarcéré depuis le 7 mars 2003 pour violence sur personne dépositaire de l'autorité publique et condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle le 10 mai 2005 pour viol commis sous la menace d'une arme ; qu'initialement écroué au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly en Guyane, il a, après son évaluation par le centre national d'orientation de Fresnes, été affecté à la maison centrale de Saint-Maur, puis a fait l'objet de divers transferts par mesures d'ordre et de sécurité en raison de nombreux incidents disciplinaires ; qu'il a été détenu, entre le 12 juin 2013 et le 25 février 2014, au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe ; que la demande présentée par l'intéressé le 2 avril 2013 tendant à son transfert en Guyane a été rejetée le 27 mai 2013 au motif que cet établissement dans lequel il venait d'être transféré était adapté à son profil pénal et pénitentiaire ; qu'après avoir présenté au garde des sceaux, ministre de la justice, une demande préalable d'indemnisation, il a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation de l'État à l'indemniser du préjudice subi du fait de la méconnaissance de son droit à être incarcéré dans un établissement pénitentiaire permettant le maintien de ses liens familiaux ; qu'il relève appel du jugement du 13 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " ; que la procédure d'instruction conduite n'a pas permis de vérifier que la minute du jugement attaqué comportait les signatures requises par les dispositions précitées ; qu'il y a lieu, par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, d'annuler ce jugement et de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par M. B...E...devant le tribunal administratif de Caen et devant la cour ;
Sur les conclusions indemnitaires :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; qu'aux termes de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. (...) 3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social (...) " ; qu'aux termes de l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009 : " Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine " ; qu'aux termes de l'article D. 80 du code de procédure pénale : " Le ministre de la justice dispose d'une compétence d'affectation des condamnés dans toutes les catégories d'établissement (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 82 du même code : " L'affectation peut être modifiée soit à la demande du condamné, soit à la demande du chef de l'établissement dans lequel il exécute sa peine. / (...) L'affectation ne peut être modifiée que s'il survient un fait ou un élément d'appréciation nouveau " ; qu'aux termes des dispositions de l'article D. 71 du même code : " les maisons centrales et les quartiers maison centrale comportent une organisation et un régime de sécurité renforcée dont les modalités internes permettent également de préserver et de développer les possibilités de réinsertion sociale des condamnés " ; qu'aux termes de l'article D. 74 du même code : " La procédure d'orientation consiste à réunir tous les éléments relatifs à la personnalité du condamné, son sexe, son âge, ses antécédents, sa catégorie pénale, son état de santé physique et mentale, ses aptitudes, ses possibilités de réinsertion sociale et, d'une manière générale, tous renseignements susceptibles d'éclairer l'autorité compétente pour décider de l'affectation la plus adéquate. / L'affectation consiste à déterminer, sur la base de ces éléments, dans quel établissement le condamné doit exécuter sa peine " ;
4. Considérant que les décisions de changement d'affectation entre établissements de même nature ainsi que les refus de faire droit à ces demandes ne constituent pas des mesures susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ; qu'en l'espèce, M. B...E...qui soutient que le refus opposé par l'administration pénitentiaire à sa demande de transfert au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly en Guyane, où il serait géographiquement moins éloigné de sa famille résidant au Brésil, met en cause la violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale ; que cette décision est, par suite, susceptible de lui faire grief ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...E..., qui n'établit ni même n'allègue disposer d'attaches dans le département de la Guyane, n'a jamais eu aucun contact avec sa famille résidant au Brésil durant sa période de détention au centre de Rémire-Montjoly de 2003 à 2006, et ne démontre pas, par la seule production d'une attestation de d'hébergement rédigée par sa mère, du maintien effectif de ses liens familiaux ; qu'il ressort du bilan médico-psychologique effectué le 29 juin 2006 et du bilan de détention effectué du 21 mai 2006 au 2 juillet 2006 que M. B...E...n'a aucune relation avec l'extérieur ni amis ni famille, qu'il ne reçoit ni n'émet de courrier attestant d'un lien amical ou familial extérieur ; qu'il est constant, par ailleurs, qu'aucun établissement pénitentiaire de Guyane ne dispose du régime de détention de maison centrale, alors que tant le bilan de détention effectué par le centre national d'observation pour la période comprise entre le 21 mai et le 2 juillet 2006 que les comptes-rendus des divers incidents disciplinaires qui se sont déroulés en détention témoignent du comportement agressif et insoumis de l'intéressé justifiant son maintien dans ce régime de détention en maison centrale ; que M. B...E...n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le refus opposé par le directeur de l'administration pénitentiaire à sa demande de transfert aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porterait à ses libertés et des droits fondamentaux une atteinte qui excède les contraintes inhérentes à sa détention ; que, par ailleurs, M. B...E...ne saurait utilement soutenir que la décision refusant son transfert le prive de toute possibilité de réinsertion dès lors que la méconnaissance des objectifs d'insertion et de réinsertion attachés aux peines subies par les détenus ne font pas partie des libertés et droits fondamentaux de ces derniers et que M. B...E..., détenu en établissement de peine, ne témoigne pas d'un comportement permettant d'envisager des activités de réinsertion de sorte qu'il n'est pas plus fondé à soutenir que les stipulations de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques auraient été méconnues, ni que sa détention en métropole constituerait une peine au sens de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de toute illégalité fautive, les conclusions indemnitaires présentées par M. B...E...devant le tribunal administratif de Caen doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. B... E...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1302007 du tribunal administratif de Caen en date du 13 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...E...devant le tribunal administratif de Caen et ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...E...et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Gauthier, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 14 avril 2017.
Le rapporteur,
F. Lemoine
Le président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. D...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT01199