Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2014, la SCP Despres, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Eco-Bio concept et de la Sarl Delonglée, représentée par Me Lahalle, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n°1200805 du 28 mai 2014 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de condamner 1'État à lui verser la somme de 5 132 033,17 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande indemnitaire, ces intérêts étant eux mêmes capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la responsabilité pour faute de 1'État est engagée du fait de l'illégalité du décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité pour une durée de trois mois et du décret du 4 mars 2011 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat ; ces décisions ont méconnu le principe de confiance légitime qui s'applique également aux dispositions ne relevant pas du droit communautaire ; les textes contestés sont intervenus dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive 2001/77/CE du 27 septembre 2001 et de la directive n°2009/28/CE du 23 avril 2009 relatives à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, de sorte qu'ils devaient respecter ce principe du droit de l'Union Européenne ;
- la suspension de l'obligation d'achat de l'électricité issue de l'énergie radiative du soleil et les changements tarifaires d'achat ont eu lieu en méconnaissance des attentes légitimes qu'a pu faire naître l'État au profit de la société Eco-Bio Concept ; diverses mesures ou rapports laissaient présager un maintien de l'effort de l'État vis-à-vis de l'investissement concernant l'énergie solaire, ce qui a conduit la société Eco-Bio Concept à faire de nouveaux investissements et la Sarl Delonglée à investir dans cette société ; la société Eco-Bio Concept, dont l'activité était la vente et l'installation de produits photovoltaïques aux entreprises et exploitation agricoles, ne pouvait, quand bien même les changements tarifaires auraient été prévisibles, changer radicalement d'activité dans le laps de temps durant lequel la réglementation a été remise en cause ; aucun mécanisme transitoire ne lui a permis en temps utile d'anticiper et de préparer la mesure de suspension de l'obligation d'achat et de baisse des tarifs ;
- le changement de réglementation a méconnu le principe d'espérance légitime prévu à l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ce principe trouve à s'appliquer car ce changement a fait disparaître la clientèle de la société Eco-Bio Concept ;
- le principe de sécurité juridique imposait que des mesures transitoires soit prises pour les installateurs et revendeurs de produits photovoltaïques ; les seules mesures transitoires ont été prévues pour les producteurs d'électricité ;
- la perte brutale de 98 % du chiffre d'affaire est en lien direct et certain avec ce changement de réglementation ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité sans faute de 1'État est engagée dès lors que les décisions administratives contestées, même régulières, leur ont fait subir un préjudice grave, anormal et spécial entraînant une rupture d'égalité devant les charges publiques.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 juillet 2015, le ministre de 1'écologie, du développement durable et de 1'énergie conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens développés par la SCP Després n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 août 2015, le ministre de 1'économie, de l'industrie et du numérique conclut au rejet de la requête, en s'associant aux conclusions et moyens exposés par le ministre de 1'écologie, du développement durable et de 1'énergie.
Les parties ont été informées, par lettre en date du 8 avril 2016, en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de ce que l'affaire était en état d'être jugée et qu'au-delà du 15 avril 2016, l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance de clôture.
Par une ordonnance du 25 avril 2016, l'instruction a été immédiatement close en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
La SCP Després a produit un nouveau mémoire enregistré le 17 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 ;
- le code de 1'énergie ;
- la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de 1'électricité ;
- la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour 1'environnement ;
- le décret n°2001-410 du 10 mai 2001 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat ;
- le décret n°2010-1510 du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil ;
- le décret n°2011-240 du 4 mars 2011 ;
- l'arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n°2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., substituant Me Lahalle, avocat de la SCP Després.
1. Considérant que la société Eco-Bio Concept a été créée en 2007 pour exercer une activité de vente et d'installation de panneaux photovoltaïques à destination principale des entreprises et des exploitants agricoles ; que la Sarl Delonglée s'est portée acquéreur le 23 octobre 2010 de l'essentiel des parts de la société Eco-Bio Concept ; que les deux sociétés ont été placées en liquidation judiciaire le 11 janvier 2012 ; qu'estimant que l'intervention du décret du 9 décembre 2010 suspendant pour une durée de trois mois l'obligation d'achat par la société Électricité Réseau Distribution de France (ERDF) de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil instituée par la loi du 10 avril 2000 et du décret du 4 mars 2011 modifiant les conditions et tarifs d'achat par ERDF de l'électricité produite par les producteurs bénéficiaires de l'obligation d'achat leur avait causé un préjudice important, elles ont présenté chacune, les 11 octobre 2011 et 4 septembre 2012, une réclamation en vue d'être indemnisées par l'Etat ; que la SCP Després, mandataire judiciaire, a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de 1'État à lui verser pour le compte de ces deux sociétés une somme de 5 132 033,17 euros ; qu'elle relève appel du jugement du 28 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité pour faute de l'État :
Quant au moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime :
2. Considérant que le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, peut être invoqué par tout opérateur économique auprès duquel une autorité nationale a fait naître à l'occasion de la mise en oeuvre du droit de l'Union, des espérances fondées ; que, toutefois, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts, il ne peut invoquer le bénéfice d'un tel principe lorsque cette mesure est finalement adoptée ; qu'en l'espèce, aucune disposition du droit de l'Union européenne, et en particulier de la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009, n'imposait le maintien d'une obligation de conclure un contrat d'achat d'électricité à des conditions tarifaires inchangées ; que les dispositions de l'article 10 de la loi du 10 février 2000, qui prévoient l'obligation de conclure un contrat d'achat d'électricité, ont également, dès l'origine, autorisé le Gouvernement à suspendre cette obligation dans l'hypothèse où elle ne répondrait plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements et à réviser périodiquement le tarif d'achat ; que, par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, le législateur est intervenu pour préciser que les contrats régis par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 n'étaient conclus et n'engageaient les parties qu'à compter de leur signature ; que le développement trop rapide des installations de production d'électricité à partir de l'énergie radiative du soleil et le niveau excessif du tarif d'achat, pesant sur le coût de l'électricité pour le consommateur, avaient été soulignés, notamment, par différents avis de la Commission de régulation de l'énergie et par un rapport du conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et de l'inspection générale des finances de 2010 ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'un opérateur prudent et avisé, dont l'activité était directement liée à la détermination d'un tarif réglementé particulièrement favorable, n'aurait pas été mis en mesure de prévoir la suspension provisoire de l'obligation d'achat ou la remise en cause des tarifs applicables aux installations pour lesquelles un contrat n'aurait pas encore été signé ; que, par suite, et quand bien même un communiqué de presse du 12 janvier 2010 aurait indiqué que les tarifs alors en vigueur seraient maintenus jusqu'en 2012, la SCP Després n'est pas fondée à soutenir que le décret du 9 décembre 2010 aurait méconnu le principe de confiance légitime ou que des mesures transitoires supplémentaires auraient dû être prises pour permettre à la société Eco-Bio Concept de s'adapter aux nouvelles conditions tarifaires ;
Quant au moyen tiré de la méconnaissance du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime, fondée sur une base juridique suffisante, d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien, au sens de ces stipulations ;
4. Considérant que la SCP Després fait valoir que la clientèle des producteurs d'électricité radiative constituait un bien nécessaire à l'exercice de l'activité de la société Eco-Bio Concept dont elle a été privée ; que, toutefois, cette société, qui exerçait une activité de vente et de pose d'installations de production d'électricité et était une entreprise commerciale active sur un marché ouvert d'équipement d'entreprises, ne peut être regardée comme s'étant constituée une clientèle régulière constituant un bien au sens des dispositions précitées ; que, de plus, le maintien du tarif de rachat ne saurait constituer pour elle un bien dès lors que la société Eco-Bio Concept ne produisait elle-même pas d'énergie électrique ; que, par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la loi du 10 février 2000 qui a instauré l'obligation d'achat a également prévu les conditions de sa suspension et des révisions tarifaires ; qu'elle a en outre été modifiée pour préciser que les parties n'étaient engagées qu'à compter de la signature du contrat d'achat ; que la requérante ne peut dès lors se prévaloir d'une espérance légitime à ce que ses clients puissent bénéficier de la conclusion de contrats à des conditions tarifaires inchangées ; que, par suite, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent être utilement invoquées par la SCP Després ;
Quant au moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique :
5. Considérant qu'il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle ; que, d'une part, la SCP Després ne peut utilement se prévaloir d'un principe de sécurité juridique à l'égard de contrats que la société Eco-Bio Concept, ou même ses clients, n'avaient pas encore conclus ; que, d'autre part, au regard de l'intérêt général qui s'attachait à redéfinir les conditions d'achat de l'électricité issue de l'énergie radiative du soleil et des effets limités dans le temps de la mesure de suspension prononcée, qui réservait en outre les projets les plus avancés, son application immédiate ne peut être regardée comme ayant entraîné une atteinte excessive aux intérêts des producteurs et des installateurs ; que, par ailleurs, en subordonnant le maintien de l'obligation de conclure un contrat d'achat aux conditions antérieures, pour les installations ayant fait l'objet d'une acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau avant le 2 décembre 2010, à la mise en service des installations dans un délai au moins égal à neuf mois à compter de la publication du décret, prorogé le cas échéant des délais nécessaires à la réalisation des travaux de raccordement, le pouvoir réglementaire a laissé aux producteurs un délai raisonnable ; que, la nouvelle réglementation issue du décret du 4 mars 2011 ne concernant que les producteurs d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, celle-ci n'avait, en tout état de cause, pas lieu de prévoir de mesures transitoires spécifiques aux vendeurs de produits photovoltaïques ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit être écarté ;
Sur la responsabilité sans faute de l'État :
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été précédemment dit, les dispositions de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 ont, dès l'origine, autorisé le Gouvernement à suspendre l'obligation d'achat d'électricité dans l'hypothèse où elle ne répondrait plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ; que le développement plus rapide que prévu des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, ainsi que 1'augmentation importante du nombre de demandes d'achat d'électricité constatée au cours de 1'année 2009, ont été notamment soulignés dans différents rapports publics dès lors qu'à la fin du mois de novembre 2010 la capacité des installations en service s'élevait à 800 MW et que celle des demandes en attente était estimée à 5 375 MW, soit l'objectif fixé pour 2020 par la programmation pluriannuelle de production des investissements de production d'électricité ; que ces mêmes rapports ont souligné que les tarifs de rachats fixés antérieurement au 4 mars 2011 faisaient peser une charge excessive sur les consommateurs au titre de la contribution au service public de l'électricité ; que, dans ces conditions, et alors que l'article 10 de la loi du 10 juin 2000 prévoit expressément que le tarif de rachat, fixé par voie règlementaire, fait l'objet d'une révision périodique, la suspension pour trois mois de l'obligation d'achat de l'électricité aux producteurs et l'édiction d'un nouveau tarif le 4 mars 2011 ne peuvent être regardés comme des aléas excédant ceux qui pesaient sur 1'activité de la société Eco-Bio Concept et auxquels cette entreprise devait s'attendre, dès lors que son activité était fondée exclusivement sur les revenus attendus de ce tarif par ses clients ; qu'au surplus, les mesures contestées s'appliquant à l'ensemble des entreprises exerçant l'activité de vente et installation de matériels photovoltaïques, aucun des éléments avancés par la SCP Després ne permet d'établir que le préjudice subi par la société Eco-Bio et la Sarl Delonglée présenterait un caractère de nature à engager la responsabilité sans faute de l'État ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'à défaut d'engagement de la responsabilité de l'État, les conclusions indemnitaires présentées par la SCP Després ne peuvent qu'être rejetées ; que la SCP Després n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCP Després, liquidateur judiciaire de la société Eco-Bio Concept et de la Sarl Delonglée, est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Després, au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et au ministre de 1'économie, de l'industrie et du numérique.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2016 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- Mme Specht, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 16 juin 2016.
Le rapporteur,
F. Lemoine
Le président,
I. Perrot
Le greffier,
A. Maugendre
La République mande et ordonne au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT02047