Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 9 avril 2019, 13 février 2020 et 10 mars 2020 la SAS Usine Rouge Quai du Petit Port, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 février 2019 ;
2°) de condamner solidairement la commune de Douarnenez et Douarnenez Communauté à lui verser la somme de 2 millions d'euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2016 et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Douarnenez et de Douarnenez Communauté la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé ;
- la responsabilité de la commune est engagée en raison d'une carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police et de l'emprise irrégulière qui a été commise sur sa propriété ;
- la responsabilité de la communauté de communes de Douarnenez est engagée en sa qualité de collectivité gestionnaire des voies communales depuis le 1er janvier 2010 et d'un défaut d'entretien des voies et d'une insuffisance du réseau d'eaux pluviales ;
- son préjudice présente un caractère anormal et spécial.
Par des mémoires enregistrés les 17 janvier et 2 mars 2020 la commune de Douarnenez, représentée par la Selarl Le Roy, Gourvennec et Prieur, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS Usine Rouge la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par la SAS Usine Rouge n'est fondé.
Par des mémoires enregistrés les 17 janvier et 3 mars 2020 la communauté de communes Douarnenez Communauté, représentée par la Selarl Le Roy, Gourvennec et Prieur, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Usine Rouge la somme de
3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par la SAS Usine Rouge n'est fondé.
La clôture de l'instruction a été prononcée à effet du 16 mars 2020 en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
De nouvelles pièces ont été déposées le 7 janvier 2021 pour la SAS Usine Rouge.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la voirie routière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SAS Usine rouge quai du Petit Port.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Usine Rouge Quai du Petit Port (dite Usine Rouge) a acquis le 26 juillet 2000 une ancienne usine de conserverie de poisson, qui se trouvait à l'état d'abandon depuis 1975 sur le territoire de la commune de Douarnenez, afin d'y construire un ensemble immobilier de
17 logements. Le mur ouest de ce bâtiment était adossé à la falaise dans un décaissement rocheux en contrebas de la voie publique dénommée rue du Quartier Maître C....
De nombreux contentieux ont été engagés en matière d'urbanisme entre la commune de Douarnenez et la SAS Usine Rouge. Toutefois un protocole d'accord a été conclu, mettant fin aux litiges en 2011. Dans ce contexte la SAS Usine Rouge a engagé des travaux de déblaiement et de construction en décembre 2012. Elle a procédé en novembre 2013 au retrait du remblai qu'elle avait elle-même constitué au soutien du mur ouest de l'ancienne usine, puis les travaux ont été interrompus en raison du risque d'éboulement de la falaise soutenant la voie publique. Le mur ouest de l'ancienne usine s'est effondré le 19 mai 2014 emportant avec lui une partie de la voie publique en surplomb. Le 28 mai 2014, le maire de la commune de Douarnenez a pris, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, un arrêté de police prescrivant, outre des mesures de surveillance et d'amélioration d'étanchéité de la voie, la reconstitution du remblai sur la parcelle appartenant à la SAS Usine Rouge. La société a demandé le 8 juillet 2014 à la commune de Douarnenez de réaliser les travaux qui lui permettraient de récupérer l'usage de son bien et de reprendre la réalisation de son projet immobilier. Un refus implicite est né du silence gardé par le maire sur cette demande. Par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 juin 2017, confirmé par la cour le 21 décembre 2018, les conclusions à fin d'annulation de cette décision ont été rejetées.
Le 16 juillet 2014, la SAS Usine Rouge a saisi le maire et le président de la communauté de communes de Douarnenez d'une demande indemnitaire aux fins de réparation des préjudices découlant de l'éboulement de la falaise et de l'emprise constituée par le remblai localisé sur sa propriété consécutivement à l'arrêté du 28 mai 2014. Aux termes du jugement attaqué du
25 février 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la société. Cette dernière relève appel de ce jugement.
Sur la responsabilité :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents (...) les éboulements de terre ou de rochers (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites ". Ces dernières dispositions autorisent le maire, en cas de danger grave ou imminent, à ordonner l'exécution de travaux sur une propriété privée en les faisant réaliser par la commune. En revanche, le refus opposé par un maire à une demande tendant à ce qu'il fasse usage des pouvoirs de police que lui confère le code général des collectivités territoriales n'est entaché d'illégalité que dans le cas où, en raison de la gravité du péril résultant d'une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publique, cette autorité, en n'ordonnant pas les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave, méconnaît ses obligations légales.
3. À la suite de l'effondrement de la falaise au droit de la rue du Quartier Maître C..., le maire de Douarnenez a, par un arrêté du 28 mai 2014 pris en application des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, prescrit des mesures de sécurisation du site afin d'empêcher tout nouvel effondrement, notamment par la réalisation du remblai que la SAS Usine Rouge avait détruit en novembre 2013. Ces travaux correspondent à ceux préconisés, dans son rapport publié le 4 juin suivant, par le centre d'études et d'expertise sur les risques, qui a recommandé la réalisation rapide d'un remblai, au droit du mur rompu et " en contrebas du mur subsistant ", ainsi que le drainage du pignon sud restant de l'usine, et une amélioration de l'étanchéité du revêtement de la rue du Quartier Maître C.... En se bornant à soutenir que les travaux de sécurisation n'étaient pas suffisants, compte tenu de la dégradation continue de la voirie située à l'aplomb de sa propriété, la SAS Usine Rouge n'apporte aucun élément de nature à établir que le maire de Douarnenez, en n'ordonnant pas de travaux complémentaires, aurait fait preuve de carence dans l'exercice de son pouvoir de police, de nature à engager sa responsabilité.
4. Par ailleurs à supposer même que l'effondrement de la voie soit, en partie, imputable à l'absence de système d'évacuation des eaux pluviales et au mauvais entretien de l'ouvrage routier, alors que la compétence en matière de voirie a été, au demeurant, transférée à la communauté de communes " Douarnenez Communauté " par arrêté du 22 décembre 2009, il ne résulte pas de l'instruction que, dans l'exercice des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, le maire, responsable de la sûreté du passage sur la voie publique, se serait fondé pour exercer son pouvoir de police sur des faits matériellement inexacts.
5. En deuxième lieu, au regard de la menace pour la sécurité publique que le danger d'effondrement de la voie située en surplomb de la parcelle appartenant à la société requérante représentait, notamment en raison de la présence des réseaux de gaz et d'eau dans le sous-sol, le maire de Douarnenez, qui n'était pas tenu de faire réaliser des travaux complémentaires dans le seul but de permettre à la société requérante de réaliser le projet immobilier interrompu par le sinistre, n'a, en ordonnant la reconstitution d'un remblai, pas porté au droit de propriété de la SAS Usine Rouge une atteinte disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de ce que la responsabilité de la commune de Douarnenez est susceptible d'être engagée en raison de l'emprise irrégulière et de l'atteinte au droit de propriété doit être écarté.
6. A cet égard, il est constant que la SAS Usine Rouge avait été avertie, notamment lors de l'expertise judiciaire menée à sa demande en 2011, que le mur ouest de l'usine " soutenait la voirie " située en aplomb et que sa démolition envisagée était de nature à entraîner un affaissement de l'ouvrage routier. Les désordres constatés sur la voie du Quartier Maître C... sont en lien avec la suppression du remblai réalisée en novembre 2013 par la société requérante. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en ordonnant sa reconstitution le maire de Douarnenez aurait pris une mesure permanente et définitive privant la société propriétaire de l'usage de son bien en lui en interdisant toute utilisation. Le moyen tiré de ce que l'arrêté du
28 mai 2014 serait illégal puisqu'il ne comporte pas de limitation de durée et que cette illégalité est de nature à engager la responsabilité de la commune ne peut donc qu'être écarté.
7. Les éléments de fait rappelés ci-dessus, en particulier quant au rôle décisif de soutènement joué par le mur ouest de l'ancien bâtiment et par la structure immobilière dans son entier et aux conditions de la destruction de ce mur qui a été réalisée sans respect des précautions pourtant expressément requises, font obstacle à ce qu'en l'espèce la circonstance, à la supposer établie, que la voie publique en surplomb n'aurait pas fait l'objet d'un entretien suffisant, notamment en ce qui concerne les ouvrages d'évacuation des eaux pluviales, puisse être regardée comme présentant un lien de causalité direct avec les préjudices subis par la société requérante. Par suite, en l'absence de lien de causalité, la SAS Usine Rouge n'est pas fondée à rechercher à ce titre la responsabilité de la commune de Douarnenez ou de Douarnenez Communauté, qui s'est substituée depuis 2009 à la commune sur ce point, à raison de l'existence de l'ouvrage public constitué par la voie et son réseau d'eaux pluviales.
8. Enfin, si la SAS Usine Rouge invoque l'avis d'un géomètre expert émis en 2000 lors de l'acquisition de l'usine quant à la propriété des murs et leur rôle de soutien de la voirie, les circonstances tenant à ce que la commune disposait d'un droit de préemption qu'elle n'a pas exercé sur l'immeuble en litige, à l'absence de retrait du permis de démolir qui avait été accordé à la requérante en 2007, à l'absence de conclusion par la commune d'un marché public qui avait été envisagé pour la réfection des rues Plomarch et C..., à l'inclusion de sa propriété dans le périmètre d'une aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine de la ville de Douarnenez, présentées comme des précisions factuelles, ne peuvent pas, à elles seules, être regardées comme des moyens articulés au soutien de ses prétentions.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Usine Rouge n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Douarnenez ou de la communauté de communes de Douarnenez au titre des frais exposés par la SAS Usine Rouge et non compris dans les dépens dès lors qu'elles ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance.
11. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SAS Usine Rouge d'une part, la somme de 1 200 euros qui sera versée à la commune de Douarnenez et d'autre part, la somme de 1 200 euros qui sera versée à la communauté de communes de Douarnenez au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Usine Rouge Quai du Petit Port est rejetée.
Article 2 : La SAS Usine Rouge Quai du Petit Port versera la somme de 1 200 euros, chacune, à la commune de Douarnenez et à la communauté de communes de Douarnenez au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS SAS Usine Rouge Quai du Petit Port, à la commune de Douarnenez et à la communauté de communes Douarnenez Communauté.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot président de chambre,
- Mme B..., président-assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.
Le rapporteur
C. B...
Le président
I. Perrot
Le greffier
A. Martin
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01412