Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 mai 2019 et 13 mai 2020, Mme D...-L... et M. D..., représentés par Me I..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leurs demandes ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Chartres à leur verser la somme totale de 317 451,54 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Chartres les entiers dépens ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué doit être confirmé en tant qu'il a retenu la responsabilité du centre hospitalier de Chartres et fixé à 80% le taux de perte de chance, mais réformé s'agissant des sommes allouées ;
- le centre hospitalier de Chartres doit être condamné à leur verser les sommes totales suivantes : 272 451,54 euros en réparation des préjudices subis par Mme H..., 20 000 euros au titre du préjudice d'affection de Mme D...-L... et de M. D..., 25 000 euros au titre du préjudice d'affection des petits-enfants de Mme H... et 2 000 euros en remboursement des frais qu'ils ont exposés à l'occasion des opérations d'expertise.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mars 2020, le centre hospitalier de Chartres, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à la réduction à de plus justes proportions des indemnités accordées en première instance au titre du besoin en assistance par une tierce personne et du préjudice d'agrément.
Il soutient que le besoin en assistance par une tierce personne et le préjudice d'agrément doivent être respectivement réparés à hauteur de 22 301,14 euros et 1 600 euros et que, pour le surplus, le jugement attaqué doit être confirmé
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant le centre hospitalier de Chartres.
Considérant ce qui suit :
1. Mme H... a été admise le 6 mars 2015 dans le service des urgences du centre hospitalier de Chartres, après avoir fait plusieurs malaises avec perte de connaissance. Une scintigraphie a révélé une embolie pulmonaire bilatérale qui a été traitée par des anticoagulants. Le 11 mars 2015, Mme H... a fait un nouveau malaise en raison d'un volumineux hématome sous-dural hémisphérique gauche. Le même jour, elle a été transférée au centre hospitalier Sainte-Anne, où elle a été opérée. Elle est rentrée à son domicile le 21 novembre 2015, mais présente des troubles cognitifs sévères séquellaires de l'hématome cérébral dont elle a souffert.
2. Mme D...-L... et M. D..., les enfants de Mme H..., après avoir fait parvenir le 30 avril 2018 une réclamation indemnitaire au centre hospitalier de Chartres à laquelle celui-ci n'a pas répondu, ont demandé au président du tribunal administratif d'Orléans de désigner un expert, ce qu'il a fait par une ordonnance du 4 avril 2017. Le rapport d'expertise a été remis le 30 janvier 2018. Les requérants ont demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier de Chartres à réparer les préjudices subis par Mme H..., leurs préjudices propres et le préjudice d'affection de leurs enfants. Le tribunal a accordé à Mme D...-L... la somme totale de 113 100 euros et à M. D... la somme totale de 6 800 euros. Mme D...-L... et M. D... relèvent appel de ce jugement.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
4. Il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté en défense, que si le diagnostic d'embolie pulmonaire posé par l'équipe médicale du centre hospitalier de Chartres était correct au regard des examens réalisés, il ne permettait pas d'expliquer les symptômes de la patiente, notamment ses pertes de connaissance, et qu'il convenait donc de pratiquer un scanner cérébral en urgence qui aurait permis de détecter cet hématome débutant et de mettre en place un traitement alternatif au traitement par anticoagulants qui a considérablement aggravé les conséquences de l'hématome sous-dural dont a souffert l'intéressée. Le centre hospitalier de Chartres a donc commis une faute qui engage sa responsabilité.
Sur les préjudices de Mme H... :
En ce qui concerne le taux de perte de chance :
5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
6. Il est admis par les parties qu'en raison de la faute commise par le centre hospitalier de Chartres Mme H... a perdu une chance d'échapper aux troubles neurologiques dont elle souffre aujourd'hui, qui doit être fixée à 80 %. Il y a lieu de confirmer ce taux en appel.
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
7. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.
8. Il résulte de l'instruction que Mme H... est autonome pour les actes simples de la vie quotidienne, qu'elle est capable de faire des courses de proximité et un peu de ménage et qu'elle peut prendre les transports en commun, mais qu'elle doit être aidée pour certaines tâches, notamment la préparation de ses repas, la gestion de son budget et l'accomplissement de ses démarches administratives. L'expert a évalué à trois heures par semaine ce besoin en assistance par une tierce personne non spécialisée, quantum qui doit être confirmé en appel,
Mme D...-L... se contentant de produire une attestation établie par ses soins faisant état de manière insuffisamment probante d'un besoin de 12 heures par semaine. Sur la base de
780 heures indemnisables depuis le 21 novembre 2015, d'un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, fixé à 13,50 euros, et d'une année de 412 jours incluant les congés payés et les jours fériés, le préjudice de Mme H... s'élève, jusqu'à la date du présent arrêt, à la somme de 9 502 euros après application du taux de perte de chance fixé au point 6 (780 x 13,50 x 1,128 x 80%).
9. Pour l'avenir, et dès lors qu'en raison de son âge et de son état de santé il n'est pas possible de déterminer si Mme H... devra ou non être placée dans une institution spécialisée, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser une rente annuelle sur justificatif de sa situation, dont le montant, fixé à 1 971 euros (3 heures x 52 semaines x 14 euros x 1,128 x 80%), sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
10. Il résulte de l'instruction que depuis son retour à son domicile, Mme H... expose des frais de livraison de ses repas, qu'elle ne peut préparer elle-même ainsi qu'il a été dit au point 8, pour un montant justifié de 1 580 euros par an. Il y a donc lieu de lui accorder, pour la période allant du 21 novembre 2015 jusqu'au présent arrêt, la somme de 6 320 euros (1 580 euros x 5 ans x 80 %). Pour l'avenir, pour les raisons déjà exposées au point précédent, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Chartres à lui verser une rente annuelle sur justificatif de sa situation, dont le montant, fixé à 1 264 euros (1580 euros x 80%), sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
11. Mme H... a également droit au remboursement de 80 % des frais qu'elle expose pour un abonnement à un service de télésurveillance, d'un coût justifié de 64,80 euros par an, rendu indispensable par son état neurologique dégradé. Jusqu'à la date du présent arrêt, il y a donc lieu de lui allouer la somme de 259 euros (64,80 euros x 5 ans x 80%). Pour l'avenir, pour les raisons déjà exposées au point 9, le centre hospitalier de Chartres doit être condamné à lui verser une rente annuelle sur justificatif de sa situation, dont le montant, fixé à 52 euros (64,80 euros x 80%), sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
En ce qui concerne les préjudices personnels :
12. Il résulte du rapport d'expertise que Mme H... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 100 % du 11 mars au 20 novembre 2015 et de 66% du 21 novembre 2015 au
8 juin 2017, date de consolidation de son état de santé. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant le centre hospitalier de Chartres à lui verser la somme de 6 563 euros, après prise en compte du taux de perte de chance fixé au point 6.
13. Le déficit fonctionnel permanent de Mme H... a été évalué à 45% par l'expert. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer la somme de 56 100 euros allouée aux requérants par les premiers juges.
14. Le tribunal administratif d'Orléans a accordé 12 000 euros aux requérants en réparation des souffrances endurées par Mme H..., évaluées à 5/7 par l'expert. Il y a lieu de confirmer en appel cette somme, qui n'est d'ailleurs pas contestée par les parties.
15. Mme H... ne peut pas prétendre à une indemnisation spécifique de ses troubles de toutes natures, en particulier du fait qu'elle ne peut plus conduire et prendre soin de ses
petits-enfants, qui ont déjà été indemnisés au point 13 au titre du déficit fonctionnel permanent. Il résulte toutefois de l'instruction qu'elle ne peut plus pratiquer, comme elle le faisait avec assiduité, la marche à pieds et le chant choral, ce qui constitue un préjudice d'agrément. Il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser 1 600 euros aux requérants au titre de ce chef de préjudice, somme tenant compte du taux de perte de chance fixé au point 6.
Sur les préjudices propres des requérants :
En ce qui concerne les préjudices de Mme D...-L... :
16. Mme D...-L... a subi un préjudice d'affection en lien direct avec la faute du centre hospitalier de Chartres qui a été justement évalué à 3 200 euros par les premiers juges, somme qu'il y a donc lieu de confirmer en appel.
17. Il résulte de l'instruction que Mme D...-L..., qui apporte un soutien permanent à Mme H... en sa qualité de tutrice, a subi un préjudice d'accompagnement qui sera justement évalué à la somme de 4 000 euros.
18. La requérante ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, la somme qu'elle demande au titre des frais qu'elle aurait exposés à l'occasion des opérations d'expertise. Il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué, qui a rejeté sa demande au titre de ce chef de préjudice.
En ce qui concerne les préjudices de M. D... :
19. M. D... a subi un préjudice d'affection en lien direct avec la faute du centre hospitalier de Chartres qui a été justement évalué à 3 200 euros par les premiers juges, somme qu'il y a donc lieu de confirmer en appel.
En ce qui concerne les préjudices des petits-enfants de Mme H... :
20. G... L..., Mathilde L..., K... D..., Kenza D... et Alyah D... ont subi un préjudice d'affection en lien direct avec la faute du centre hospitalier de Chartres qui a été justement évalué à 1 200 euros chacun par les premiers juges, somme qui doit donc être confirmée en appel.
21. Il résulte de ce qui précède que la somme totale de 113 100 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à
Mme D...-L... doit être ramenée à 101 944 euros (92 344 euros au titre des préjudices de Mme H..., 7 200 euros au titre de ses préjudices propres et 2 400 euros au titre du préjudice d'affection de ses enfants), somme à laquelle s'ajouteront des rentes annuelles de 1 971 euros (besoin en assistance par une tierce personne), de 1 264 euros (livraison des repas) et de 52 euros (télésurveillance). Il résulte également de ce qui précède que la somme totale de 6 800 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à
M. D... doit être confirmée.
Sur les frais liés au litige :
22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer les premiers juges, qui ont mis à la charge du centre hospitalier de Chartres les frais d'expertise taxés et liquidés par des ordonnances du 10 octobre 2018 de la présidente du tribunal administratif d'Orléans à la somme totale de 2 400 euros.
23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Chartres la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 113 100 euros que le tribunal administratif d'Orléans a condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à Mme D...-L... est ramenée à 101 944 euros.
Article 2 : Le centre hospitalier de Chartres est condamné à verser à Mme D...-L... des rentes annuelles de 1 971 euros, 1 264 euros et 52 euros dans les conditions indiquées aux points 9 à 11.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 4 avril 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme D...-L... et M. D... est rejeté.
Article 5 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés par des ordonnances du 10 octobre 2018 de la présidente du tribunal administratif d'Orléans à la somme totale de 2 400 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier de Chartres.
Article 6 : Le centre hospitalier de Chartres versera à Mme D...-L... et à M. D... la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Chartres au même titre sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... D... L..., à M. B... D..., au centre hospitalier de Chartres et à la MGEN Mutuelle.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, président assesseur,
- M. E..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2020.
Le rapporteur
E. E...Le président
C. Brisson
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01964