Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 28 septembre, 6 novembre et 30 décembre 2020 M. F..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes du 11 septembre 2020 ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Laval, le centre hospitalier de Fougères, le CHU de Rennes et le SDIS de la Mayenne à lui verser une provision de 375 105 euros ;
3°) de mettre à la charge des défendeurs au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative la somme de 3 500 euros à lui verser directement ou à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, la responsabilité du centre hospitalier de Laval, du centre hospitalier de Fougères, du CHU de Rennes et du SDIS de la Mayenne pour retard de diagnostic et prise en charge inadaptée n'est pas sérieusement contestable ;
- le premier juge ne pouvait légalement, pour écarter le caractère non sérieusement contestable de sa créance, s'appuyer sur une expertise non contradictoire faisant état de faits qu'il contestait ;
- sa créance s'élève à la somme non sérieusement contestable de 619 375 euros, avant application d'un taux de perte de chance de 60%, dont 7 420 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 130 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 12 000 euros au titre des souffrances endurées, 249 955 euros au titre du besoin en assistance par une tierce personne, 70 000 euros au titre des frais de logement adapté, 20 000 euros au titre du préjudice sexuel, 100 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 15 000 euros au titre des dépenses de santé futures et 15 000 euros au titre du préjudice esthétique ; il a également droit au remboursement de l'intégralité de la somme de 3 840 euros qu'il a exposée pour se faire assister d'un médecin-conseil.
Par un mémoire enregistré le 28 octobre 2020 la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me A... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes du 11 septembre 2020 ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Laval, le centre hospitalier de Fougères, le CHU de Rennes et le SDIS de la Mayenne à lui verser une provision de 15 761,89 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et de la capitalisation des intérêts ;
3°) mettre solidairement à la charge du centre hospitalier de Laval, du centre hospitalier de Fougères, du CHU de Rennes et du SDIS de la Mayenne la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, la responsabilité du centre hospitalier de Laval, du centre hospitalier de Fougères, du CHU de Rennes et du SDIS de la Mayenne pour retard de diagnostic et prise en charge inadaptée n'est pas sérieusement contestable ;
- le premier juge ne pouvait légalement, pour écarter le caractère non sérieusement contestable de sa créance, s'appuyer sur une expertise non contradictoire faisant état de faits qu'elle contestait ;
- elle justifie avoir exposé des débours à hauteur de 26 269,82 euros ; elle a donc droit, après application d'un taux de perte de chance de 60%, à la somme de 15 761,89 euros.
Par des mémoires enregistrés les 30 octobre, 3 novembre et 16 novembre 2020 les centres hospitaliers de Laval et de Fougères et le CHU de Rennes, représentés par Me I..., concluent au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM d'Ille-et-Vilaine.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par M. F... et par la CPAM d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 5 novembre, 23 novembre et 28 décembre 2020 le SDIS de la Mayenne, représenté par Me H..., conclut au rejet de la requête, au rejet des conclusions de la CPAM d'Ille-et-Vilaine, et demande à la cour de mettre solidairement à la charge de M. F... et de la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Un mémoire présenté par le SDIS de Mayenne a été enregistré le 6 janvier 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. F..., de Me G..., représentant le centre hospitalier de Laval, le centre hospitalier de Fougères et le CHU de Rennes, et de Me H..., représentant le SDIS de la Mayenne.
Une note en délibéré présentée pour M. F... a été enregistrée le 7 janvier 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Le 21 juin 2016, M. F..., alors âgé de 67 ans, a fait un malaise après un effort. Les services de secours ont été appelés à 17h07. Un infarctus du myocarde a été diagnostiqué à 18h29. M. F... a alors été orienté vers le CHU de Rennes, où il a été pris en charge. Sur sa demande, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a ordonné une expertise, qu'il a confiée à un cardiologue. L'expert a remis son rapport le 21 juin 2019. Le 31 juillet 2019, M. F... a sollicité du centre hospitalier de Laval, du centre hospitalier de Fougères, du CHU de Rennes et du SDIS de la Mayenne l'indemnisation de ses préjudices. Ses demandes ont été implicitement rejetées. M. F... a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de condamner les centres hospitaliers de Laval, de Fougères et de Rennes et le SDIS de la Mayenne à lui verser à titre de provision la somme de 375 015 euros. La CPAM d'Ille-et-Vilaine, appelée à la cause, a également demandé une somme correspondant aux frais qu'elle a exposés pour le compte de son affilié. Par une ordonnance du 11 septembre 2020, le juge du référé provision a rejeté ces demandes après avoir estimé que l'obligation des défendeurs envers M. F... était sérieusement contestable. M. F... relève appel de cette ordonnance. La CPAM d'Ille-et-Vilaine demande également son annulation.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
3. D'une part, si le requérant, en soutenant que le juge des référés " a entaché son ordonnance d'illégalité " aux motifs qu'il aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises et se serait mépris sur les règles gouvernant l'administration de la preuve en donnant au document établi par le docteur Honnart une valeur probatoire qu'il ne possède pas et en ne tenant pas compte d'autres documents, dont le rapport établi par l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Rennes, a entendu soutenir que l'ordonnance attaquée est irrégulière, ces critiques portent sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée et ne peuvent être utilement invoquées pour en contester la régularité.
4. D'autre part, si le requérant soutient que le document établi par le docteur Honnart à la demande de l'assureur du centre hospitalier de Fougères a été établi de manière non contradictoire, le premier juge pouvait prendre en compte ce document, comme toute autre pièce de la procédure, dès lors qu'il avait été soumis au débat contradictoire devant lui en cours d'instance.
5. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée devrait être annulée comme irrégulière.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
6. Eu égard à l'office particulier du juge du référé provision qui, ainsi qu'il a été dit au point 2, doit s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à établir l'existence d'une obligation avec un degré suffisant de certitude, le juge du référé provision du tribunal administratif de Rennes pouvait prendre en compte le document établi par le docteur Honnart pour estimer, au vu du contenu de ce document, que l'obligation invoquée par M. F... apparaissait sérieusement contestable en l'état de l'instruction.
7. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
8. Il résulte de l'instruction que M. F..., après avoir fait un malaise en début d'après-midi, et ressenti un premier épisode de douleurs thoraciques, a été accompagné à son domicile de Larchamp (Mayenne) par des amis. Alerté par ceux-ci à 17h07, le SDIS de la Mayenne a envoyé un véhicule d'assistance avec une infirmière, qui est arrivé sur les lieux à 17h26. Le SAMU de la Mayenne, alerté par le SDIS à 17h10, a contacté le SAMU d'Ille-et-Vilaine qui a envoyé à 17h19 un véhicule médicalisé de liaison du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) du centre hospitalier de Fougères. Celui-ci est arrivé sur les lieux à 17h42. Plusieurs électrocardiogrammes ont été réalisés mais ont été considérés comme non interprétables du fait de l'agitation du patient. Le SAMU de la Mayenne, rappelé par l'équipe d'intervention, a décidé à 18h23 le transfert de M. F... vers le centre hospitalier de Fougères. L'ambulance des pompiers a quitté le domicile de M. F... à 18h25. En chemin, plusieurs électrocardiogrammes ont été réalisés, qualifiés également de non interprétables jusqu'à un tracé de 18h29 au vu duquel le diagnostic d'infarctus du myocarde a été posé. La régulation médicale a été rappelée à 18h32. Elle a décidé de réorienter M. F... vers le CHU de Rennes. Il a également été décidé de remplacer, au niveau de Saint-Aubin-du-Cormier, l'équipe du SMUR du centre hospitalier de Fougères par celle du SMUR du CHU de Rennes. A son arrivée à Saint-Aubin-du-Cormier, à 19h15, le SMUR du centre hospitalier de Fougères étant présent depuis 18h52, le SMUR du CHU de Rennes a réalisé un nouvel examen qui a confirmé l'infarctus du myocarde à 19h25, et a administré de l'héparine à M. F... à 19h30. L'ambulance a quitté Saint-Aubin-du-Cormier à 19h34 et est arrivée au CHU de Rennes à 20h03, où M. F... a été immédiatement pris en charge.
9. M. F... soutient que les établissements publics qui l'ont secouru sont responsables d'un diagnostic et de soins pré-hospitaliers tardifs et d'une prise en charge inadaptée, dans la mesure où près de trois heures se sont écoulées entre l'appel des secours et l'arrivée au CHU de Rennes.
En ce qui concerne la responsabilité du SDIS de la Mayenne :
10. Il résulte de l'instruction que le SDIS de la Mayenne n'a assuré la prise en charge médicale de M. F... qu'entre 17h26 et 17h42, avant de passer le relai à l'équipe du SMUR du centre hospitalier de Fougères. M. F... et la CPAM d'Ille-et-Vilaine n'allèguent pas que cette prise en charge aurait été fautive. Par suite, ils ne sont pas fondés à demander la condamnation solidaire du SDIS de la Mayenne à leur verser des indemnités provisionnelles.
En ce qui concerne la responsabilité des centres hospitaliers de Laval, Fougères et Rennes :
11. En premier lieu, si l'expert désigné par le président du tribunal administratif a estimé que le diagnostic d'infarctus du myocarde devait être posé dès 17h50 et que M. F... devait être immédiatement orienté vers le CHU de Rennes, hôpital le plus proche disposant d'un plateau interventionnel en cardiologie, le docteur Honnart, médecin auteur du rapport critique établi à la demande de l'assureur du centre hospitalier de Fougères, estime pour sa part que l'agitation du patient, ses antécédents d'hypertension artérielle, qui étaient connus des équipes d'intervention, et les symptômes qu'il présentait, en particulier une douleur thoracique dorsale, ne permettaient pas d'exclure formellement le diagnostic de dissection aortique initialement envisagé par le médecin du SMUR du centre hospitalier de Fougères. Il résulte ainsi de l'instruction que l'erreur fautive de diagnostic dont se prévaut M. F... n'est pas établie avec certitude.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'une thrombolyse médicamenteuse est contre-indiquée en cas de suspicion de dissection aortique et que de l'aspirine a été administrée à M. F... dès que le diagnostic d'infarctus du myocarde a été posé, à 18h29, suivi d'un traitement par héparine environ une heure après, dans le délai recommandé pour l'administration de ce médicament, de sorte qu'en l'état de l'instruction il n'apparait pas certain que les services d'urgence qui ont pris en charge M. F... auraient tardé à lui administrer le traitement pré-hospitalier rendu nécessaire par son état.
13. En troisième lieu, le délai d'acheminement de M. F... au CHU de Rennes, dès lors qu'il ne résulte pas avec certitude d'une erreur de diagnostic fautive, s'explique par la difficulté à poser ce diagnostic, par les contraintes de prise en charge d'un patient agité et peu coopératif et par la nécessité d'opérer une jonction entre l'équipe du SMUR du centre hospitalier de Fougères et celle du CHU de Rennes. A cet égard, il résulte de l'instruction que cette décision de jonction, si elle a prolongé la durée de l'intervention d'environ quarante minutes, s'explique par la nécessité de ne pas mobiliser hors de son vaste territoire d'intervention l'unique équipe de SMUR dont dispose le centre hospitalier de Fougères. La durée de prise en charge de M. F... n'apparaît donc pas, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme révélant de manière certaine l'existence d'une faute.
14. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction qu'un hélicoptère aurait été disponible pour secourir M. F... le 21 juin 2016 et, en tout état de cause, que ce mode d'intervention aurait été en mesure d'abréger le temps d'intervention des secours.
15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 14 que l'obligation des centres hospitaliers de Laval, de Fougères et de Rennes envers M. F... n'est pas non sérieusement contestable.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... et la CPAM d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.
Sur les frais liés au litige :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la CPAM d'Ille-et-Vilaine tendant à ce que lui soit versée une somme au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les centres hospitaliers de Laval, de Fougères et de Rennes et le SDIS de la Mayenne, qui ne sont pas les parties perdantes à l'instance, versent à M. F... et à la CPAM d'Ille-et-Vilaine les sommes qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter la demande présentée par le SDIS de la Mayenne au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. F... et les conclusions de la CPAM d'Ille-et-Vilaine sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par le SDIS de la Mayenne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F..., à la CPAM d'Ille-et-Vilaine, au centre hospitalier de Laval, au centre hospitalier de Fougères, au CHU de Rennes et au SDIS de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- Mme Brisson, président assesseur,
- M. E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe de la cour le 22 janvier 2021.
Le rapporteur
E. E...Le président
O. Couvert-Castéra
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03057