Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée sous le n° 18NT04265 le 4 décembre 2018 M. A... C..., représenté par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 juillet 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Côtes-d'Armor du 29 décembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Côtes-d'Armor de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont omis de tenir compte de la production, le jour de l'audience, des autorisations provisoires de séjour postérieures à l'arrêté contesté qui leur ont été délivrées par le préfet des Côtes-d'Armor ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il vise les articles
L. 313-14 et L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne sont pas applicables aux ressortissants tunisiens ;
- il n'est pas suffisamment motivé et révèle un défaut d'examen de sa situation particulière ;
- le préfet était tenu de saisir préalablement la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ;
- l'article 3 de la convention franco-tunisienne a été méconnu, le préfet n'ayant pas tenu compte de sa situation professionnelle ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;
- en raison notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale, de son insertion sociale et de la promesse d'embauche dont il dispose, l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ses deux enfants étant parfaitement intégrés en France, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2019 le préfet des Côtes d'Armor conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... C...ne sont pas fondés.
II - Par une requête enregistrée sous le n° 18NT04266 le 4 décembre 2018 Mme A...C..., représentée par MeE..., conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que son époux dans l'instance n° 18NT04265.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2019 le préfet des Côtes d'Armor conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... C...ne sont pas fondés.
M. et Mme A...C...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 29 octobre 2019.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Berthon a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A...C..., ressortissants tunisiens, sont entrés en France le 14 décembre 2012 sous couvert de visas de court séjour et s'y sont maintenus irrégulièrement après l'expiration de leurs visas. Ils ont fait l'objet, le 16 décembre 2014, d'un premier refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire à laquelle ils ne se sont pas conformés. Ils ont demandé, le 28 septembre 2016, la régularisation de leur situation en qualité de salariés. Le préfet des Côtes-d'Armor a rejeté leur demande par un arrêté qui a été annulé par le tribunal administratif de Rennes le 22 juin 2017. Par de nouveaux arrêtés du 29 décembre 2017, ce même préfet a rejeté leurs demandes de titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être renvoyés d'office. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, M. et Mme A...C...relèvent appel du jugement du 16 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. M. et Mme A...C...ont produit devant le tribunal administratif de Rennes des autorisations provisoires de séjour qui leur ont été délivrées le 2 janvier 2018 par le préfet des Côtes-d'Armor, qui sont postérieures aux mesures d'éloignement contestées et doivent, par suite, être regardées comme les ayant implicitement mais nécessairement abrogées. Dans ces conditions, les conclusions présentées par M. et Mme A...C...tendant à l'annulation des décisions du 29 décembre 2017 les obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination de leur reconduite étaient devenue sans objet. Le jugement attaqué, qui a à tort statué sur ces conclusions, doit être annulé dans cette mesure. Il y a lieu d'évoquer les conclusions des deux demandes ainsi devenues sans objet et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur la légalité du refus de délivrance d'un titre de séjour :
3. La circonstance que les décisions contestées visent les articles L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont pas applicables aux ressortissants tunisiens, est sans incidence sur leur légalité. Par ailleurs, le préfet a pu, sans entacher ces décisions d'erreur de droit, écarter la possibilité de régulariser à titre exceptionnel la situation des intéressés, dès lors qu'il ne s'est pas fondé pour ce faire sur les dispositions non applicables de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais sur son pouvoir général de régularisation.
4. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988 en matière de séjour et de travail : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié ". ". L'article 11 de la même convention stipule que : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Selon l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle mentionnée aux articles L. 313-20, L.313-21, L. 313-23 et L. 313-24 sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L.311-1 (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que la délivrance à un ressortissant tunisien d'un premier titre de séjour en qualité de salarié est subordonnée à la production d'un visa de long séjour.
5. Il est constant que M. et Mme A...C...ne disposaient pas d'un visa de long séjour. Par suite, le préfet des Côtes-d'Armor a pu légalement, pour ce seul motif, et sans soumettre préalablement les promesses d'embauche dont se prévalaient les intéressés à l'avis des services compétents, refuser de leur délivrer les titres de séjour qu'ils demandaient sur le fondement des dispositions de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988.
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. M. et Mme A...C...se prévalent de la durée de leur séjour en France, des promesses d'embauche dont ils bénéficient, de la présence à leurs côtés de leurs deux filles, nées en 2009 et en 2013 et scolarisées en France, et d'activités bénévoles au sein notamment du Secours Catholique. Toutefois, leur séjour en France est irrégulier depuis décembre 2014 et ils n'établissent pas être dans l'impossibilité de reformer leur cellule familiale en Tunisie, pays où ils ont vécu l'essentiel de leur vie et où réside une partie de leur famille. Dans ces conditions, les décisions contestées n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en méconnaissance des stipulations rappelées au point précédent. Pour les mêmes motifs, ces décisions ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés.
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux doits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Si M. et Mme A...C...soutiennent que leurs filles sont scolarisées en France et que la plus jeune souffre d'une malformation cardiaque, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles ne pourraient poursuivre leur scolarité en Tunisie et, pour la plus jeune, y bénéficier de soins médicaux adaptés à son état de santé. Par suite, le préfet des Côtes-d'Armor n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux doits de l'enfant.
10. Pour le surplus, M. et Mme A...C...se bornent à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges et tirés de ce que les décisions contestées sont suffisamment motivées et ne révèlent pas un défaut d'examen de leur situation particulière.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A...C...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes n'a pas prononcé un non-lieu à statuer sur leurs demandes tendant à l'annulation des décisions du 29 décembre 2017 les obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination de leur reconduite.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
12. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution en application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Il y a donc lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par M. et Mme A...C....
Sur les frais de l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, verse au conseil de M. et Mme A...C...la somme qu'il demande dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1802264, 1802265 du tribunal administratif de Rennes en date du 16 juillet 2018 est annulé en tant qu'il a statué sur les demandes de M. et Mme A...C...tendant à l'annulation des décisions du 29 décembre 2017 les obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination de leur reconduite.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Rennes par M. et Mme A...C...tendant à l'annulation des décisions du 29 décembre 2017 les obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination de leur reconduite.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et Mme A...C...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...C..., à Mme F...A...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet des Côtes-d'Armor.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller
Lu en audience publique, le 24 mai 2019.
Le rapporteur,
E. BerthonLe président,
I. Perrot
Le greffier,
M. Le Réour
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04265, 18NT04266