Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2021, M. B... C..., représenté par
Me Guillou, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires à l'exception de la somme de 500 euros allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées entre le 24 et le 28 décembre 2009 ;
2°) de condamner le Pôle Santé Sarthe et Loir à lui verser la somme totale de 238 796 euros sous réserve du taux de perte de chance qui sera retenu par la cour ;
3°) de mettre à la charge du Pôle Santé Sarthe et Loir la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le Pôle Santé Sarthe et Loir a commis une faute lors de sa prise en charge le 24 décembre 2009, à l'origine d'une perte de chance de 75% d'éviter les séquelles qu'il présente actuellement, dès lors qu'une prise en charge immédiate avec consultation d'un confrère spécialiste puis la mise en place d'un traitement antibiotique à large spectre n'a pas été réalisée ;
- la faute du Pôle Santé Sarthe et Loir est à l'origine de ses préjudices qui doivent être indemnisés comme suit :
5 796 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
5 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
75 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;
10 000 euros au titre des souffrances endurées ;
500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;
2 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
5 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
35 000 euros au titre de l'adaptation du véhicule ;
* 100 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 décembre 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Ravaut, conclut au rejet de la requête et à sa mise hors de cause.
Il soutient que :
- c'est à juste titre que le requérant ne dirige pas sa demande contre l'Office dès lors que les conditions prévues au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;
- le dommage présenté par Monsieur C... est lié à l'évolution de sa pathologie initiale ;
- le Pôle Santé Sarthe et Loir a commis une faute dans la
prise en charge de M. C... pouvant être à l'origine d'une perte de chance d'éviter
les séquelles subies.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 décembre 2021, le Pôle Santé Sarthe et Loir, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
A titre principal :
- la demande formée par M. C... devra être rejetée dès lors que, selon l'expertise judiciaire, les séquelles neurologiques à long terme présentées par M. C... n'ont aucun rapport avec le retard de diagnostic reproché ;
- le requérant ne saurait s'en remettre au rapport médical, très succinct, du Dr A... dès lors qu'il n'a pas été réalisé au contradictoire des parties et que ce rapport n'établit pas que M. C... aurait perdu une chance d'éviter l'aggravation des séquelles imputables à la pathologie initiale ;
A titre subsidiaire :
- le taux de perte de chance de 75 % sollicité par le requérant est excessif ;
- les préjudices allégués tenant au préjudice d'agrément, aux frais d'adaptation du véhicule et à l'incidence professionnelle ne sont pas justifiés ;
- les autres demandes indemnitaires devront être réduites à de plus justes proportions.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L'hirondel,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me de Raismes pour le Pôle Santé Sarthe et Loir.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... recherche la responsabilité pour faute du Pôle Santé Sarthe et Loir lors de sa prise en charge en décembre 2009. A cette fin, il a sollicité l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire à laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit. L'expert désigné, médecin neurologue, a rendu son rapport le 2 janvier 2013. Par un courrier reçu le 7 février 2018, M. C... a adressé au Pôle Santé Sarthe et Loir une demande tendant à l'indemnisation des préjudices. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration sur cette demande. M. C... a saisi le 1er juin 2018 le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation du Pôle Santé Sarthe et Loir à lui verser la somme totale de 238 796 euros en réparation de ses préjudices. M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 avril 2021 en tant qu'il a limité l'indemnisation mise à la charge du Pôle Santé Sarthe et Loir à la somme de 500 euros.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, que si M. C... s'est présenté le 18 décembre 2009 au service des urgences du Pôle Santé Sarthe et Loir pour une fièvre et des céphalées persistantes, accompagnées de vomissements, puis a regagné le soir-même son domicile, ce n'est qu'après qu'un bilan biologique complet ait été réalisé. L'expert ne remet pas en cause la pertinence de cet examen au regard des symptômes que présentait alors le requérant et M. C... n'établit pas, ni même n'allègue qu'une faute aurait été commise, à cette occasion, par l'établissement de santé et qui aurait conduit à un retard de diagnostic de méningo-radiculite avec atteinte encéphalitique qui a été ensuite établi lors de son hospitalisation au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Angers.
4. En revanche, lorsque M. C... s'est présenté la deuxième fois au même service des urgences le 24 décembre 2009 alors qu'il déclarait avoir été victime d'une chute à son domicile et se plaignait de faiblesse des membres inférieurs et de maux de tête, il résulte du même rapport d'expertise, qu'il est sorti le soir même avec un simple diagnostic de grippe sans qu'un examen clinique ait été pratiqué. Selon l'expert, cette absence d'observation clinique n'a pas permis de connaître l'état neurologique du patient. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nantes a jugé que cette circonstance constitue un manquement fautif à l'origine d'un retard dans le diagnostic et la prise en charge de la pathologie du requérant, de nature à engager la responsabilité de cet établissement de santé.
5. Il résulte encore de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert, que M. C... s'est présenté une troisième fois, le 28 décembre 2009, au service des urgences du Pôle Santé Sarthe et Loir en raison de la persistance de ses symptômes et d'un état de somnolence. Il a été immédiatement dirigé vers le service de neurologie du CHU d'Angers où il a pu bénéficier, dès son entrée dans le service, de différents examens qui révèleront que l'intéressé souffrait d'une méningo-radiculite avec probable atteinte encéphalitique minime suspecte d'origine infectieuse, mais sans cause formellement identifiée. En particulier, l'ensemble du bilan infectieux et viral réalisé s'est avéré négatif s'agissant, notamment, de la maladie de Lyme ainsi qu'il résulte du compte-rendu d'hospitalisation du 24 mars 2010. Il sera alors administré à M. C... un traitement permettant de pallier à une méningo-radiculite ou une méningo encéphalite d'origine infectieuse ou virale, en particulier herpétique. Dans ces conditions, et ainsi que le précise l'expert, aucune faute ne peut être imputée au Pôle Santé Sarthe et Loir lors de la prise en charge de M. C... le 28 décembre 2009 dès lors qu'il a été immédiatement dirigé vers le CHU d'Angers pour subir les examens et bénéficier du traitement adapté à son état de santé.
6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
7. M. C... soutient que la faute relevée par l'expert lors de sa prise en charge par le Pôle Santé Sarthe et Loir le 24 décembre 2009 constitue une erreur de diagnostic qui lui a fait perdre une chance, qu'il estime à 75 %, d'éviter les séquelles qu'il a subies si les examens avaient été réalisés dès cette date et non quatre jours plus tard.
8. Toutefois, selon le rapport de l'expert judiciaire, si la méningo-radiculite et encéphalite présentée par M. C... est d'origine vraisemblablement virale, elle reste néanmoins d'étiologie indéterminée. Il s'ensuit, selon l'expert, que " si le patient avait été hospitalisé le 24 décembre au lieu du 28, les séquelles qu'il présente actuellement auraient été les mêmes, puisque la maladie qu'il présente est d'origine indéterminée. ". La circonstance que
M. C... ait dû subir une antibiothérapie lourde n'est pas davantage de nature à établir un lien de causalité entre le retard de diagnostic et le dommage qui est advenu. Au demeurant, le rapport médical du Dr A... présenté par le requérant précise que le retard de quatre jours pour établir le diagnostic n'a pu avoir " de conséquences fonctionnelles sur l'état de santé du patient ". Il suit de là que le manquement retenu à l'encontre du Pôle Santé Sarthe et Loir et consécutif d'un retard de diagnostic n'a pas fait perdre à M. C... une chance d'éviter les séquelles dont il souffre, et qui consistent principalement en une paraparésie responsable de difficultés de marche, de douleurs des membres inférieurs, de dysurie et de difficultés d'origine sexuelle mais sont liées à sa seule pathologie de méningo-radiculite d'origine inconnue.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le surplus de sa demande consistant à l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent, du déficit fonctionnel temporaire à compter de sa sortie du CHU d'Angers le 19 janvier 2010, du préjudice esthétique, temporaire comme permanent, de l'incidence professionnelle, des préjudices d'agrément et sexuel, de l'adaptation du véhicule et d'éventuels frais futurs liés à son orthèse du genou.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Pôle Santé Sarthe et Loir, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au Pôle Santé Sarthe et Loir, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.
Le rapporteur
M. L'hirondelLe président
D. Salvi
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01536