Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 et 23 juillet et le 9 décembre 2021, le centre hospitalier universitaire de Nantes, représenté par Me Le Prado, demande à la cour d'annuler ce jugement du 5 mai 2021 et de rejeter la demande des consorts J... ;
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier faute de motivation suffisante ;
- aucun moyen n'est fondé et de nature à engager sa responsabilité ;
- les indemnités allouées doivent être ramenées à de plus justes proportions.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 novembre 2021, Mme G... O...,
M. L... J..., agissant tant en leur nom personnel qu'en celui de leurs enfants mineurs B... J... et C... J..., M. K... P..., M. D... Q...,
M. H... O..., Mme M... O..., M. A... J... et Mme F... I... épouse J..., représentés par Me Diversay, concluent :
- au rejet de la requête ;
- par la voie de l'appel incident, à ce que le montant des condamnations mises à la charge du CHU de Nantes soit porté à la somme totale de 325 000 euros, majorée des intérêts au taux légal en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis lors de la prise en charge de Maeva J... à partir du 6 décembre 2014, outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité du CHU de Nantes doit être confirmée pour défaut de surveillance et d'organisation du service ;
- c'est à tort que le tribunal a limité à 128 000 euros le montant de l'indemnité destinée à réparer leurs préjudices.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brisson,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me De Raismes, représentant le CHU de Nantes et de
Me Diversay représentant les consorts R....
Une note en délibéré, présentée pour le CHU de Nantes, a été enregistrée le 14 mars 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La jeune Maeva J..., née le 26 février 1999, a été prise en charge, le 15 juillet 2014, par le centre hospitalier universitaire de Nantes (hôpital Saint-Jacques), au sein d'un service spécialisé en psychiatrie, en raison de la pathologie qu'elle présentait. Le 6 décembre 2014, après avoir bénéficié d'une sortie dans le parc de l'établissement de santé, elle a déclaré avoir subi une agression sexuelle, pour laquelle elle a porté plainte. Le 8 décembre 2014, à 19h05, elle a été retrouvée dans sa chambre, en arrêt cardio-respiratoire après une tentative de pendaison. T... J... est décédée des suites de son geste le 12 décembre 2014.
2. Mme G... O..., mère de Maeva J..., M. L... J..., père de la victime, agissant tant en leurs noms propres qu'en qualité de représentants légaux de M. B... J... et de M. C... J..., mineurs, M. N... P..., M. D... Q..., les frères de T... J..., devenus majeurs, Mme M... O..., M. H... O...,
Mme F... I... épouse J... et M. A... J..., grands-parents de T... J..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes à leur verser la somme globale de 325 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils estiment avoir subi à la suite du décès de la jeune Maeva J.... Aux termes du jugement attaqué, le tribunal a mis à la charge du CHU de Nantes le versement des sommes de 25 000 euros chacun pour Mme G... O... et M. L... J..., de 15 000 euros chacun pour MM B... J..., C... J..., K... P..., D... Q..., de 4 500 euros chacun pour Mme M... O..., M. H... O..., Mme F... I... épouse J... et M. A... J.... Le CHU de Nantes, par la voie de l'appel incident, relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Le jugement rappelle avec précision les conditions dans lesquelles Maeva J... a pu bénéficier d'autorisations de sortie ainsi que les modalités de son suivi médical. Ce jugement comporte ainsi une motivation suffisante au regard des moyens et de l'argumentation des parties. Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement au regard des exigences de l'article L 9 du code de justice administrative ne peut qu'être écarté.
Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nantes :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". Aux termes de l'article L. 3211-2 du même code : " Une personne faisant l'objet de soins psychiatriques avec son consentement pour des troubles mentaux est dite en soins psychiatriques libres. Elle dispose des mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades soignés pour une autre cause. Cette modalité de soins est privilégiée lorsque l'état de la personne le permet. ". Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3211-2 du code de la santé publique, qu'une personne hospitalisée avec son consentement pour des troubles mentaux relève du régime de l'hospitalisation libre et dispose des mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause. Toutefois, la circonstance qu'un patient relève du régime de l'hospitalisation libre ne fait pas obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'établissement si, au regard de l'état de santé du patient et notamment de ses antécédents de tentatives de suicide, les mesures de surveillances dont il disposait dans le cadre du régime d'hospitalisation libre de l'intéressé étaient inadéquates.
5. Il résulte de l'instruction que la jeune Maeva qui était hospitalisée dans une unité pour troubles du comportement alimentaire depuis juillet 2014, a bénéficié le 6 décembre 2014 d'une autorisation médicale de sortie libre. Au retour de cette sortie, Maeva a signalé qu'elle avait été victime d'une agression sexuelle dans le parc du centre hospitalier. Le lendemain, elle a porté plainte contre son agresseur. L'enquête pénale engagée n'ayant pu permettre d'identifier la personne à l'origine de ces faits, cette plainte a été classée sans suite par le procureur de la République.
6. Alors même que Maeva J... avait fait deux tentatives de suicide en juin 2014, ayant d'ailleurs justifié son hospitalisation dans un service hospitalier spécialisé, il n'est pas établi, ni même d'ailleurs allégué, que son état de santé, le 6 décembre 2014, était inquiétant ; son comportement ne présentait pas de symptômes particuliers de nature à rendre nécessaire une surveillance plus étroite de la patiente que celle dont elle bénéficiait. Maeva J... avait d'ailleurs, les jours précédents, bénéficié d'autorisations de sortie dans le parc avec des membres de sa famille sans que ces sorties ne suscitent de difficultés particulières. Ni les antécédents, ni le comportement de l'intéressée, en particulier les jours et heures ayant précédé la sortie, n'étaient de nature à laisser suspecter une situation exposant l'intéressée à un risque particulier nécessitant des mesures de surveillance plus importantes que celles qui ont été mises en place telles que la prohibition de toute sortie hors du bâtiment dans lequel elle était hospitalisée. Dans ces conditions, le fait que Maeva J... a pu être autorisée médicalement à sortir seule, pendant une durée d'un quart d'heure, à l'extérieur des bâtiments hospitaliers sans être accompagnée ne constitue pas, en l'espèce, une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Nantes.
7. Toutefois, alors même qu'une fouille de la chambre de Maeva J... a été effectuée après les faits rappelés ci-dessus, il est constant que la victime s'est pendue avec une ceinture. Il est vrai qu'immédiatement après l'agression, le CHU a pris des mesures propres à améliorer la sécurisation des bâtiments et que, le lendemain, il a assisté la victime, dont l'état de vulnérabilité particulière avait été relevé par le personnel soignant puisque Maeva J... avait fait part d'idées suicidaires, dans sa démarche de dépôt de plainte. Il résulte également de l'instruction que lors de la journée du 8 décembre 2014, la jeune Maeva avait fait l'objet d'une surveillance infirmière rapprochée, le dernier entretien ayant eu lieu à 18h45. Dans ces conditions, bien que le centre hospitalier ait porté une attention particulière à la victime après les faits en cause, notamment en s'inquiétant sans délai du retard de 5 mn de l'intéressée au dîner de 19h, compte tenu du contexte très particulier dans lequel se trouvait la patiente à la suite de l'agression dont elle a fait part, le fait que Maeva J... ait pu rester seule avec une ceinture dont l'usage pouvait être détourné constitue une faute de surveillance ou de vigilance du service de nature à engager la responsabilité du CHU de Nantes.
8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Nantes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes qui n'était pas tenu d'ordonner une expertise, a été déclaré responsable du décès de Maeva J....
Sur l'appel incident des consorts R... :
9. En se limitant à demander que la somme totale de 128 000 euros mise à la charge du CHU de Nantes en réparation du préjudice moral subi par les parents, grands-parents et frères de Maeva J... soit portée à celle de 325 000 euros, les consorts R... n'établissent pas que les premiers juges auraient fait une évaluation insuffisante de ce préjudice en allouant à chacun des parents la somme de 25 000 euros, aux quatre membres de la fratrie celle de 15 000 euros pour chacun et celle de 4 500 euros pour chacun des quatre
grands-parents. Leurs conclusions d'appel incident ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du CHU de Nantes, partie perdante à l'instance, la somme de 1 500 euros qui sera versée aux intimés au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du centre hospitalier universitaire de Nantes est rejetée.
Article 2 : Le CHU de Nantes versera aux consorts R... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts R... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Nantes, à
Mme G... O..., à M. L... J..., à M. N... P..., à M. D...
Q..., à M. et Mme H... O..., à M. et Mme A... J....
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi président de chambre,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.
La rapporteure,
C. BRISSON
Le président,
D. SALVI
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la famille, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21NT01802