Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 19 mai 2015 et le 26 mai 2016, M. C...B...D..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 13 novembre 2014 ;
2°) d'annuler la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire confirmant implicitement la sanction de déclassement d'emploi prononcée à son encontre le 3 septembre 2013 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le sens des conclusions du rapporteur public, mis en ligne la veille de l'audience, qui se bornait à mentionner le rejet de sa demande sans autre motivation, ne répond pas aux exigences de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ; que cette circonstance qui méconnaît le droit à un procès équitable entache d'irrégularité le jugement attaqué ;
- faute d'être signé, le jugement attaqué est irrégulier ;
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;
- en estimant que la commission de discipline ayant statué sur son cas était régulièrement constituée, les premiers juges ont dénaturé et les faits et commis une erreur de droit dès lors que les signatures de deux surveillants figurent sur cette décision alors que celle de l'assesseur extérieur n'y apparaît pas et l'un des signataire est le rédacteur du rapport d'enquête qui ne pouvait siéger ; les signatures figurant sur l'exemplaire de la décision qui lui a été remis divergent de celles figurant sur l'exemplaire de la décision produite par l'administration pénitentiaire au cours de l'instance ;
- les premiers juges se sont contentés de reprendre l'argumentaire du garde des sceaux s'agissant du moyen tiré de l'erreur de fait et ont commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- la commission de discipline était irrégulièrement composée, comme en attestent les incohérences relevées dans la décision de sanction et le registre de la commission ; la copie de la décision de sanction qui lui a été adressée ne comporte que la signature du président de la commission de discipline ; la version de la décision contestée produite au cours de la première instance par le ministre comporte la signature de deux assesseurs issus de l'administration pénitentiaire, et notamment celle du surveillant rédacteur du rapport d'enquête, lequel ne pouvait siéger ; le registre de la commission de discipline comporte la signature de deux assesseurs issus de l'administration pénitentiaire, distincts de ceux ayant signé la décision de sanction ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait puisqu'un autre détenu a reconnu être l'auteur des faits qui lui sont reprochés ;
- l'application du 7° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale méconnaît les articles 6§4 de la charte sociale européenne et 1er de la convention n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective en cas de conflit d'intérêt, et son application doit, par suite, être écartée ; son action tendait effectivement à revendiquer de meilleures conditions de travail et de salaire et la qualification juridique de faute retenue à son encontre vise à réprimer en réalité son droit à préserver ses conditions de travail ; son comportement, qui a consisté à revendiquer de meilleures conditions de travail et de rémunération, ne pouvait ainsi être qualifié d'action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement ;
- la sanction prononcée, qui ne prend en compte ni sa personnalité ni sa situation de grande précarité matérielle, méconnaît le principe d'individualisation des peines.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mai 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B...D...n'est fondé.
Par une ordonnance du 19 avril 2016 la clôture d'instruction a été fixée au 19 mai 2016 à 12h00.
Par une ordonnance 19 mai 2016 la clôture de l'instruction a été reportée au 30 juin 2016 à 12h00.
M. B...D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte sociale européenne ;
- la convention n° 98 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
1. Considérant que M. B...D..., incarcéré depuis le 7 mars 2003 pour violence sur personne dépositaire de l'autorité publique et condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle le 10 mai 2005 pour viol commis sous la menace d'une arme, détenu entre le 12 juin 2013 et le 25 février 2014, au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, a fait l'objet d'un compte-rendu d'incident le 27 août 2013 à 10h20 indiquant qu'il avait incité ses codétenus présents à l'atelier de production à cesser leur activité ; qu'à la suite d'un rapport d'enquête rédigé le 29 août 2013, la commission de discipline s'est réunie le 3 septembre 2013 et a prononcé à son encontre, ce même jour, une sanction de déclassement d'emploi ; que M. B...D...a présenté un recours préalable auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire qui a implicitement confirmé la sanction disciplinaire initiale ; que l'intéressé relève appel du jugement du 13 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort du relevé de l'application Sagace que, préalablement à l'audience qui s'est tenue le 13 novembre 2014, le sens des conclusions du rapporteur public a été porté à la connaissance des parties avec la mention " rejet au fond " ; que le rapporteur public n'était pas tenu, à peine d'irrégularité du jugement, d'indiquer les motifs qui le conduisaient à proposer cette solution de rejet ; que, par suite, M. B...D...n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et que le droit à un procès équitable auraient été méconnus ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ; que le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'irrégularité au regard de ces dispositions ne peut, par suite, qu'être écarté ;
4. Considérant, en troisième lieu, que les moyens tirés de la dénaturation des faits, de l'erreur de droit ne relève pas de l'office du juge d'appel mais de celui du juge de cassation ; que, par ailleurs, les critiques de l'appelant relatives à l'erreur de fait, de droit et à l'erreur manifeste d'appréciation commises selon lui par les premiers juges relèvent de l'examen du bien-fondé du jugement attaqué et ne remettent pas en cause sa régularité ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire confirmant implicitement la sanction prononcée à son encontre le 3 septembre 2013 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale : " La personne détenue qui entend contester la sanction prononcée à son encontre par la commission de discipline doit, dans le délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur interrégional des services pénitentiaires préalablement à tout recours contentieux. Le directeur interrégional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet. " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un détenu n'est recevable à déférer au juge administratif que la seule décision, expresse ou implicite, du directeur régional des services pénitentiaires, qui arrête définitivement la position de l'administration et qui se substitue ainsi à la sanction initiale prononcée par le chef d'établissement ; que, toutefois, eu égard aux caractéristiques de la procédure suivie devant la commission de discipline, cette substitution ne saurait faire obstacle ce que soient invoquées, à l'appui d'un recours dirigé contre la décision du directeur régional, les éventuelles irrégularités de la procédure suivie devant la commission de discipline préalablement à la décision initiale ;
6. Considérant, en premier lieu, que la décision implicite du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire s'est entièrement substituée à la sanction initiale prononcée en commission de discipline par le directeur du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe ; que M. B...D...ne peut dès lors utilement invoquer le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision initiale, qui est en tout état de cause propre à cette dernière et a nécessairement disparu avec elle ;
7. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. " ; qu'aux termes de l'article R. 57-7-7 du même code : " Les sanctions disciplinaires sont prononcées, en commission, par le président de la commission de discipline. Les membres assesseurs ont voix consultative. " ; que l'article R. 57-7-8 du même code dispose enfin que : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs. / Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement. / Le second assesseur est choisi parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. La liste de ces personnes est tenue au greffe du tribunal de grande instance. " ;
8. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces versées au dossier, en particulier des mentions inscrites au registre de tenue de la commission de discipline qu'ont siégé, le 3 septembre 2013, le directeur adjoint de l'établissement, qui disposait d'une délégation de signature du 24 mai 2013 régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Orne du 27 mai 2013 pour présider la commission de discipline et affichée dans l'établissement, un surveillant autre que l'auteur du rapport d'incident ou du rapport d'enquête, et un assesseur extérieur, habilité à cet effet par ordonnance du président du tribunal de grande instance d'Alençon du 27 mai 2013 ; qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient M. B...D..., cette commission était régulièrement composée ;
9. Considérant, d'autre part, que la décision portant sanction remise à M. B...D...à l'issue de la séance de la commission est signée par son président, qui en est l'unique auteur, les deux assesseurs n'ayant qu'une voix consultative ; qu'elle comporte également la signature de l'avocat de M. B...D...et la mention selon laquelle il a lui-même refusé de signer cette décision ; que ces dernières mentions n'ont été portées que pour attester de la notification de la décision de sanction et permettre de faire courir les délais de recours à son encontre ; que si l'exemplaire de la décision produite par l'administration pénitentiaire en cours d'instance comporte en sus, sous la mention " refus de signer ", la signature de deux agents de l'administration pénitentiaire autres que l'assesseur représentant l'administration attestant le refus de signer opposé par l'intéressé et apposées après la séance de la commission, cette circonstance demeure sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors qu'il est constant que ces agents n'ont pas siégé lors de la commission disciplinaire ; qu'enfin, si le requérant soutient encore que les signatures de deux assesseurs de l'administration pénitentiaire figurent sur le registre de la commission de discipline, il ressort toutefois des mentions portées sur ce registre qu'un seul de ces surveillants a siégé au cours de la séance du 3 septembre 2014 traitant du cas de M. B...D..., l'apposition des signatures des assesseurs incriminées s'expliquant par le fait que ces deux surveillants avaient successivement siégé ce jour au cours de plusieurs séances tenues par la commission de discipline ; que, par suite, M. B...D...n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait intervenue à la suite d'une procédure irrégulière ;
En ce qui concerne la légalité interne :
10. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue : (...) 7° De participer à toute action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement, hors le cas prévu au 3° de l'article R. 57-7-1 ; " ; qu'aux termes de l'article R. 57-7-34 de ce code : " Lorsque la personne détenue est majeure, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent également être prononcées : (...) 2° Le déclassement d'un emploi ou d'une formation lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l'occasion de l'activité considérée ; (...) " ;
11. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort du rapport d'incident, du rapport d'enquête et du témoignage d'un autre détenu, que M. B...D...a relayé le mot d'ordre donné par l'un de ses codétenus ordonnant aux autres détenus présents à l'atelier de production d'arrêter de travailler ; qu'il s'est entretenu avec chacun d'eux personnellement afin de les convaincre de cesser toute activité ; que si M. B...D... soutient qu'il n'était pas à l'initiative du blocage du travail, il ressort toutefois des pièces du dossier que le détenu à l'origine de cette initiative, entendu comme témoin au cours de la séance de la commission de discipline, a confirmé les faits fondant l'action engagée contre M. B...D...et relatés par un surveillant présent lors de cet incident ; que le requérant ne saurait, par suite, soutenir que la décision de sanction se serait fondée sur des faits matériellement inexacts ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient M. B...D..., les détenus ne peuvent être regardés comme des travailleurs susceptibles de bénéficier de la liberté syndicale de négocier leurs conditions de travail et leur salaire ; qu'il s'ensuit que M. B... D...n'est pas fondé à exciper de l'inconventionnalité des dispositions de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale au regard des stipulations de l'article 6§4 de la charte sociale européenne et de l'article 1er de la convention n° 98 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective
13. Considérant, en troisième lieu, que les faits qui sont reprochés à M. B...D..., quelles que soient leurs justifications, sont bien constitutifs d'une participation à une action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement, au sens du 7° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale ; que la sanction de déclassement d'un emploi, prévue au 2° de l'article R. 57-7-34 de ce code qui comporte quatre niveaux de sanction, n'est pas disproportionnée aux faits en cause ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas été procédé à l'examen particulier de la situation personnelle de M. B...D..., qui n'est ainsi pas fondé à soutenir que le quantum de la sanction méconnaitrait le principe d'individualisation des peines ; qu'eu égard à la gravité de la faute commise par le requérant, qui a pris une part active dans le blocage des ateliers, et à ses antécédents disciplinaires, l'administration pénitentiaire, qui n'avait pas à justifier sa décision de ne pas recourir à une sanction moins grave, n'a pas commis d'erreur d'appréciation en infligeant à l'intéressé la sanction de déclassement d'emploi ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. B...D...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D...et au Garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Gauthier, premier conseiller,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 31 mars 2017.
Le rapporteur,
F. Lemoine
Le président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. E...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT01558