Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 novembre 2021, M. B..., représenté par Me Béarnais, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif du 27 septembre 2021 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 17 septembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 700 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et méconnaît les stipulations de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est en effet vulnérable en raison d'une part de sa qualité de demandeur d'asile, d'autre part de sa nationalité afghane ; étant originaire de la province de " Baghlar " en Afghanistan, le risque de renvoi par ricochet en cas de transfert en Roumanie est très élevé ;
- l'arrêté de transfert aux autorités roumaines est entaché d'un défaut de base légale, ces autorités l'ayant repris en charge sur le fondement erroné de l'article 18.1 c) et non de l'article 18.1 d) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; il conteste en effet avoir retiré sa demande d'asile en cours d'examen.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Guéguen, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant afghan se déclarant né le 1er janvier 1999 ou le 17 juillet 1999, est entré irrégulièrement en France le 4 août 2021, et s'est présenté à la préfecture de la Loire-Atlantique le 17 août 2021 afin de solliciter le statut de réfugié. Les recherches conduites par la préfecture sur le fichier Eurodac ont fait apparaître que M. B... avait sollicité l'asile auprès des autorités roumaines, polonaises et allemandes préalablement au dépôt de sa demande d'asile en France, respectivement les 13 décembre 2020, 24 mars 2021 et 5 juillet 2021. Les autorités polonaises et allemandes, saisies le 18 août 2021, ont expressément refusé la reprise en charge de M. B.... Saisies à cette même date par les autorités françaises sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités roumaines ont expressément donné leur accord le 1er septembre 2021 en vue de la reprise en charge de M. B.... Le 17 septembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a pris à l'encontre de l'intéressé la décision de transfert en litige et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable trois fois, dans le département de la Mayenne. M. B... relève appel du jugement du 27 septembre 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 septembre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités roumaines, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".
3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
5. M. B... fait valoir que la décision de transfert l'expose à un risque de traitements inhumains ou dégradants en raison du risque de renvoi par ricochet en Afghanistan, de sa vulnérabilité en qualité de demandeur d'asile et de l'absence de garantie de réelle prise en charge de sa demande d'asile en Roumanie. Toutefois, la décision contestée a pour seul objet de faire instruire la demande d'asile de l'intéressé par les autorités roumaines et non de le renvoyer en Afghanistan. De plus, s'il soutient avoir été victime de violences policières en Roumanie, ces seules affirmations accompagnées de deux articles de presse faisant état des impacts de l'épidémie de covid-19 sur le système de santé roumain et d'accusations de violences exercées sur des migrants par la police roumaine, ne permettent pas de tenir pour établi que M. B... serait lui-même exposé à des mauvais traitements en Roumanie et que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités roumaines dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Roumanie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, et dès lors qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. B... serait personnellement et directement exposé en Roumanie à un risque particulier, les moyens tirés de ce que le préfet de Maine-et-Loire aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 3 de ce règlement ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent être écartés.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par ces dispositions, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. Si M. B... se dit vulnérable en raison de sa qualité de demandeur d'asile et de sa nationalité afghane et s'il se prévaut par ailleurs de la résidence en France d'un oncle maternel qui lui permettrait de ne pas être isolé dans ce pays, il ressort des pièces du dossier et notamment des déclarations de l'intéressé lors de l'entretien individuel organisé le 17 août 2021, que M. B... est entré sur le territoire français le 4 août 2021, de sorte qu'il n'y résidait que depuis six semaines à la date de l'arrêté contesté, et que lors de cet entretien il a déclaré qu'il était en bonne santé, qu'il n'avait pas consulté de médecin depuis son arrivée en Europe, qu'il était célibataire et qu'il n'avait aucun membre de sa famille résidant en France. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... présenterait une situation de vulnérabilité exceptionnelle justifiant l'examen par la France de sa demande d'asile. Il n'établit dès lors pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités roumaines, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
8. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, intégré dans le chapitre II de ce règlement intitulé " Principes généraux et garanties " : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen (...) ". Le chapitre III de ce règlement est intitulé " Critères de détermination de l'Etat responsable ". Aux termes de l'article 18 de ce règlement, intégré dans le chapitre V du règlement, intitulé " Obligations de l'Etat membre responsable " : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...). ".
9. Si la demande de reprise en charge de M. B... a été présentée, non sur le fondement du c) mais sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013, alors que, selon M. B..., sa situation relevait du d) de cet article, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date à laquelle le préfet a saisi les autorités roumaines, M. B... n'avait pas produit la décision de rejet de sa demande d'asile par ces autorités. En outre, en cas de rejet de sa demande d'asile, le préfet pouvait décider son transfert sur le fondement du c) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013, la substitution de cette base légale à celle du b) ou du d) n'ayant pas pour effet de priver M. B... d'une garantie et l'administration disposant du même pouvoir d'appréciation. Par suite, la circonstance, à la supposer même établie, que la demande d'asile de l'intéressé n'aurait pas été retirée par lui en Roumanie reste sans incidence sur la légalité de la décision de transfert en litige. Dès lors, le moyen tiré du défaut de base légale dont serait entaché, pour ce motif, l'arrêté contesté doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. B...(/nom)(ano)X(/ano), n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou de réexaminer sa situation doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à Me Béarnais et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Guéguen, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2022.
Le rapporteur,
J.-Y. GUÉGUEN Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03078