Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mars 2018 et le 2 août 2018 sous le n°18NT00965, la préfète de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 février 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E...A...devant le tribunal administratif de Nantes.
Elle soutient que :
- elle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire régie par l'article 17 du règlement Dublin III ; il ne ressort pas du dossier que la situation du requérant relèverait du champ d'application de l'article 17.1 du règlement précité ;
- la seule présence en France de la soeur du requérant ne permet pas de le faire bénéficier des dispositions de l'article 16 du règlement Dublin III ;
- les seules déclarations de l'intéressé sont insuffisantes à démontrer qu'il existerait des défaillances systémiques en Italie de nature à priver sa demande d'asile d'un traitement conforme aux exigences du droit d'asile en cas de retour dans ce pays ;
- pour le surplus elle s'en remet à ses écritures de première instance.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 avril 2018 et le 12 septembre 2018, M. E...A..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision querellée et a retenu une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement Dublin III ; sa soeur qui réside en France est réfugiée statutaire et atteste le prendre en charge ; il n'a aucune attache en Italie ; il a été contraint de donner ses empreintes en Italie sans qu'aucune information ne lui soit donnée et il s'est retrouvé sans aucune perspective dans ce pays ; les rapports OSAR de 2016 et 2017 font état d'un système d'accueil en Italie saturé confirmant ses dires et mettent en lumière les graves carences du système de réception et d'accueil des demandeurs d'asile vulnérables ; l'Italie se retrouve seule face à un afflux d'arrivée de demandeurs d'asile ; les autorités italiennes n'ont fourni aucune garantie aux autorités françaises et n'ont jamais répondu aux demandes faites par la France de manière explicite ; il est nécessaire de confronter la situation personnelle du demandeur d'asile à la situation générale que connaît le pays de transfert ;
- son droit à l'information n'a pas été garanti dans les conditions requises au sens des dispositions de l'article 4 du règlement Dublin III ;
- l'entretien n'a pas été entouré des garanties prévues par l'article 5 du règlement Dublin III ;
- la décision est entachée d'illégalité en raison d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement Dublin III, l'absence de critère de détermination et de base légale, un risque de violation de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales par ricochet.
II. Par une requête, enregistrée le 3 avril 2018 sous le n° 18NT01333, la préfète de la Loire-Atlantique demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 2 février 2018 du tribunal administratif de Nantes.
Elle soutient que :
- les moyens développés dans sa requête d'appel apparaissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué ;
- l'exécution de la décision de première instance attaquée entraînera des conséquences difficilement réparables ;
- sans sursis à exécution le délai de transfert vers l'Italie expirera définitivement le 28 juin 2018, empêchant toute possibilité de transfert du requérant quelle que soit l'issue du recours en appel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2018, M. E...A..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la préfète ne rapporte jamais les éléments à l'appui de sa demande démontrant le risque " d'entrainer des conséquences difficilement réparables " en l'absence de toute suspension du jugement attaqué ;
- les moyens dans la requête ne sont pas sérieux et il s'en remet sur ce point aux moyens développés dans son mémoire d'appel.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 1er juin 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique ;
- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure ;
- et les observations de MeC..., représentant M.A....
Une note en délibéré présentée pour M. A...a été enregistrée le 24 septembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. M. D...E...A..., ressortissant ivoirien, est entré irrégulièrement en France en novembre 2017 après être passé par le Burkina Faso, le Niger, la Libye et l'Italie. Il a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 11 décembre 2017. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ayant révélé que ses empreintes avaient été enregistrées par les autorités italiennes le 29 mai 2017, la préfète de la Loire-Atlantique a saisi ces autorités d'une demande de réadmission de l'intéressé sur le fondement du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités italiennes ont implicitement accepté le 28 décembre 2017 de reprendre en charge l'intéressé. Par courrier du 24 janvier 2018 adressé à la préfète, M. E...A...a demandé que les autorités françaises se déclarent responsables de sa demande d'asile compte tenu du fait qu'il est pris en charge par sa soeur, à qui la qualité de réfugiée a été reconnue et qui réside régulièrement en France. Toutefois la préfète, par deux arrêtés du 30 janvier 2018, a décidé la remise de M. E...A...aux autorités italiennes et a prononcé son assignation à résidence sur le département de la Loire-Atlantique pour une durée maximale de 45 jours. Dans sa requête enregistrée sous le numéro 18NT00965, la préfète de la Loire-Atlantique relève appel du jugement du 2 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés tandis que dans sa requête enregistrée sous le numéro 18NT01333 elle demande le sursis à exécution de ce jugement.
2. Ces deux requêtes sont dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre et de se prononcer par un seul arrêt.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
3. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " .1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ".
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu de l'entretien qui s'est tenu le 11 décembre 2017 à la préfecture de la Loire-Atlantique pour déterminer l'Etat responsable de sa demande d'asile, que M. E... A...a précisé à cette occasion qu'il n'avait aucune attache familiale en Italie, où ses empreintes avaient été relevées par la contrainte, et qu'il ne parlait pas l'italien. Par ailleurs, il a indiqué qu'il avait des problèmes de santé, en particulier des difficultés d'audition, et signalé la présence en France de sa soeur résidant en situation régulière à Saint-Herblain. En outre, par courrier du 24 janvier 2018 adressé à la préfète, l'intéressé a expressément demandé que sa demande de protection internationale soit examinée en France, sa soeur ainée, qui a obtenu le statut de réfugiée et qui dispose à ce titre d'une carte de résident, étant prête à le prendre en charge. Il a produit l'attestation établie le 22 janvier 2018 par cette dernière ainsi que sa carte de résident. Enfin, M. E...A..., qui ne parle que le français, a expliqué lors de son entretien individuel que depuis que ses empreintes avaient été relevées par la contrainte à la fin du mois de mai 2017 en Italie jusqu'à son départ pour la France en novembre 2017, il n'avait jamais été orienté dans le cadre d'une procédure d'asile, était resté dans le dénuement le plus total et n'avait pas reçu de soins malgré ses demandes en ce sens, ce qui n'est en rien démenti par la préfète. Les rapports et articles produits confirment que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants et se trouvent en grande difficulté pour traiter les demandes d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, en particulier au regard des obligations des Etats membres de l'Union européenne à l'égard des demandeurs d'asile prévues en matière d'information, de logement et d'évaluation des besoins des personnes vulnérables prévues par la directive du Parlement européen et du Conseil n° 2013/33 du 26 juin 2013.
5. Ainsi, compte tenu de la nécessité, non sérieusement contestée par l'administration, de permettre à M. E...A...d'accéder aux soins que requiert son état de santé, de la possibilité pour ce dernier d'être pris en charge par sa soeur ainée le temps nécessaire au traitement de ses problèmes de santé et à l'examen de sa demande d'asile en France et des graves difficultés de l'Etat italien à remplir ses obligations à l'égard des migrants sollicitant l'asile, la préfète de la Loire-Atlantique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ses arrêtés du 30 janvier 2018.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
6. Dès lors que le présent arrêt statue sur la requête à fin d'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution, présentées par la préfète sous le n°18NT01333 sont devenues sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu de statuer sur ces dernières conclusions.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. M. E...A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ainsi son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à payer à Me C...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18NT01333 de la préfète de la Loire-Atlantique.
Article 2 : La requête n° 18NT00965 de la préfète de la Loire-Atlantique est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Me C...une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à la perception de la part contributive de l'Etat dans le cadre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information à la préfète de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 18 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter présidente assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 octobre 2018.
La rapporteure,
N. TIGER-WINTERHALTERLe président,
L. LAINÉ
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 18NT00965, 18NT01333
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