Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2015, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 septembre 2015 du tribunal administratif de Caen ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
à titre principal, en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
- la responsabilité pour faute de l'Etat ne peut être engagée dès lors que le préfet du Calvados aurait pu prendre la décision contestée de refus d'autorisation de travail sur un autre motif que celui reconnu illégal ;
- ainsi, l'irrégularité de la situation de séjour de M. B...à la date à laquelle la société MCI Services a formé à son profit une demande d'autorisation d'emploi, faisait obstacle, compte tenu des dispositions de l'article R. 5221-14 du code du travail, à ce que celui-ci puisse obtenir une autorisation de travail ; ces dispositions plaçaient le préfet en situation de compétence liée ;
- les critères fixés par l'article R. 5221-20 du code du travail étant cumulatifs, le préfet pouvait se fonder sur cet article pour refuser légalement l'autorisation d'emploi sollicitée ;
- d'une part, le refus pouvait être fondé sur le 1° de cet article en raison de l'absence de sincérité des recherches de l'employeur et des incohérences affectant l'offre d'emploi ;
- d'autre part, le refus pouvait être fondé sur le 2° de cet article, du fait de l'inadéquation entre les études poursuivies par M. B...et la nature de l'emploi postulé, sans qu'y puisse faire obstacle la circonstance que l'intéressé ait exercé une telle activité à titre accessoire dans le cadre de son séjour pour études ;
- compte tenu de ce qui précède, et alors au surplus que M. B...n'était pas titulaire du visa de long séjour exigé par l'article 9 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ni du certificat de résidence mentionné à l'article 7 b) du même accord, l'intéressé ne peut se prévaloir de la perte d'une chance sérieuse d'obtenir l'autorisation de travail sollicitée et le préjudice qu'il invoque est sans lien de causalité directe avec la décision litigieuse ;
à titre subsidiaire, en ce qui concerne le préjudice :
- la période de référence ne pouvait avoir un point de départ antérieur au 19 mai 2011, date d'annulation de la décision litigieuse ; cette période ne pouvait se prolonger au-delà du 18 mai 2012 compte tenu des stipulations de l'article 7 b) de l'accord franco-algérien et de ce que le renouvellement de l'autorisation de travail est soumis au respect des articles R. 5221-32 à R. 5221-36 du code du travail ;
- compte tenu de la période de référence ainsi rectifiée et du nombre d'heures de travail prévues et rémunérées au SMIC, M. B...ne pouvait prétendre qu'à une indemnité de 13 287,06 euros ; et il y aura lieu de déduire de cette somme les revenus de remplacement perçus, et le cas échéant, l'allocation d'aide au retour à l'emploi.
Par un mémoire, enregistré le 24 février 2016, M.B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande, par voie d'appel incident, que la condamnation de l'Etat soit portée à la somme de 73 495,28 euros, et que soit en outre mis à la charge de l'Etat, le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros par application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable, la notification de la décision de rectification de l'erreur matérielle n'ayant pu avoir pour effet de différer le délai de recours contentieux ;
- le refus d'autorisation de travail qui lui a été opposée a été annulé comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'autorité de la chose jugée fait obstacle à ce que le ministre revienne sur les motifs du défaut de sincérité de la recherche d'emploi par la société MCI Services et les autres arguments déjà échangés devant le juge d'appel ;
- il a droit à être indemnisé de la perte de chance sérieuse de travailler pendant 3 années dans le secteur de la boucherie hallal ;
- soit une somme de 39 495,28 euros au titre de la perte de salaires pendant trois ans ; le caractère annuel de l'autorisation de travail ne fait pas obstacle à son renouvellement tant que l'emploi est conservé ;
- soit une somme de 5 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir une augmentation de salaire ;
- cet emploi était assorti d'un hébergement, représentant une valeur de 250 euros par mois, soit la somme de 14 000 euros sur trois ans ;
- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral seront indemnisés à hauteur de 15 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.
1. Considérant que M. B..., ressortissant algérien, est entré le 18 septembre 2005 en France où il a séjourné régulièrement sous couvert d'un certificat de résidence algérien portant la mention " étudiant-élève " ; qu'à compter de mars 2008, il a travaillé à temps partiel sur le site de l'abattoir de Coutances pour le compte de la société MCI Services ; que par arrêté du 12 octobre 2010, le préfet du Calvados a refusé de procéder au renouvellement de son titre de séjour en qualité d'étudiant, en raison de son manque de sérieux et de cohérence dans les études entreprises et de son absence de progression, du fait de son inscription pour la sixième année consécutive dans un master 1 " Informatique interface homme - machine " auquel il était constamment ajourné depuis sa première inscription au titre de l'année 2005-2006, et a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français et d'une décision fixant l'Algérie comme pays de destination ; que la société MCI Services a sollicité, le 15 octobre 2010, une autorisation de travail le concernant, en vue de pourvoir l'emploi de sacrificateur " halal " et de l'embaucher par contrat à durée indéterminée à temps complet ; que, par une décision du 25 novembre 2010, le préfet du Calvados a refusé de délivrer une telle autorisation à M. B... ; que, par une ordonnance du 19 avril 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a suspendu cette décision et enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de M. B... ; que par une nouvelle décision du 19 mai 2011, le préfet du Calvados a rejeté la demande d'autorisation de travail présentée par la société MCI Services ; que par un arrêt n°12NT01233, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé cette dernière décision et enjoint au préfet du Calvados de réexaminer la demande d'autorisation de travail présentée par la société MCI Services au profit de M. B... ; que par le présent recours, le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 24 septembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à M. B...la somme de 29 102,60 euros en réparation de la perte de rémunérations subie entre le 25 octobre 2010 et le 30 janvier 2013 du fait de l'illégalité de la décision du 19 mai 2011 portant refus d'autorisation de travail ;
Sur la fin de non recevoir :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le président du tribunal administratif de Caen a, par une ordonnance du 7 octobre 2015, rectifié l'erreur matérielle affectant le jugement du 24 septembre 2015 qui prévoyait la notification du jugement attaqué au ministre chargé du travail et non au ministre de l'intérieur ; que, dans ces conditions, le délai d'appel opposable au ministre de l'intérieur n'a pu courir qu'à compter de la notification de cette ordonnance de rectification d'erreur matérielle, qu'il a reçue le 8 octobre 2015 ; que le recours en appel du ministre de l'intérieur a été enregistrée le 9 décembre 2015, soit avant l'expiration du délai de recours contentieux ;
Sur le bien fondé du jugement :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 7 b) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée reçoivent après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les services du ministre chargé de l'emploi ministre chargé des travailleurs immigrés, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes régions, renouvelable et portant la mention " salarié": cette mention constitue l'autorisation de travail exigée par la législation française " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes de placement concourant au service public du placement pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ... " ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la fiche métier correspondant au code " ROME H2101-abattage et découpe des viandes " à laquelle fait référence l'offre d'emploi de " sacrificateur contrôleur halal " communiquée aux services de Pôle Emploi par la société MCI Services, indique, d'une part, que cet emploi concerne la réalisation des opérations d'abattage d'animaux, de découpe de viandes selon la réglementation des services vétérinaires et les règles d'hygiène et de sécurité alimentaires, et peut en outre s'étendre à des opérations de transformation des viandes et à la coordination d'une équipe, d'autre part, que l'accès à cet emploi ne requiert ni diplôme ni expérience professionnelle, mais qu'un CAP/BEP en industrie alimentaire, boucherie, ou une expérience professionnelle dans le secteur de l'alimentaire ou des métiers de bouche peut être demandé, et qu'une habilitation délivrée par une communauté religieuse est en outre requise pour exercer l'activité de sacrificateur en abattoir ; que l'offre publiée par la société MCI Services pour pourvoir l'emploi de " sacrificateur contrôleur halal " exige en outre, des connaissances de gestion du stock sur une base informatique et des connaissances en bureautiques (traitement de texte et tableur), et un niveau d'études baccalauréat plus deux années ou équivalent souhaité, dans le domaine de l'informatique ; que ces dernières exigences excédaient le cadre de l'emploi à pourvoir et correspondaient spécifiquement au profil personnel de M.B..., lequel exerçait les fonctions de sacrificateur halal à l'abattoir de Coutances à titre d'activité accessoire à ses études en informatique ; que, dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que le préfet du Calvados aurait pu fonder sa décision de refus d'autorisation de travail sur le caractère insincère de la recherche d'emploi menée par l'employeur, en méconnaissance des dispositions précitées du 1° de l'article R. 5221-20 du code du travail ; que dans ces conditions, si l'illégalité du motif de refus fondant la décision du préfet du Calvados du 19 mai 2011 constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, les préjudices dont M. B...demande réparation en se prévalant de la perte d'une chance sérieuse d'occuper cet emploi sont dénués de lien de causalité direct avec cette faute dès lors qu'il résulte de l'instruction que le préfet du Calvados aurait pu légalement prendre une décision de refus de l'autorisation de travail sollicitée sur le fondement de l'insuffisante recherche par la société MCI Services pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à M. B...une somme de 29 102,60 euros ; que, par voie de conséquence, les conclusions d'appel incident de M.B..., tendant à ce que l'indemnité accordée par ce jugement soit portée à la somme de 73 495,28 euros, doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à M. B...la somme qu'il demande en réparation des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1400826 du 24 septembre 2015 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande formée par M. B...devant le tribunal administratif de Caen, ses conclusions d'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B.... Une copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président-assesseur,
- et Mme Rimeu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2016.
Le rapporteur,
C. LOIRATLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
V. DESBOUILLONS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT03801