Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 13 juin 2017, le 20 mars 2018 et le 1er octobre 2018, la société Prisme Architectes, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 avril 2017 ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par la commune de Morlaix devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) à titre subsidiaire, de fixer la part de responsabilité de la commune de Morlaix à hauteur de 50 %, de réduire l'indemnisation de la commune de Morlaix au montant hors taxe et de 30 %, et enfin de rejeter sa demande relative à l'indemnisation des investigations diligentées pour les besoins de l'expertise ;
4°) à titre subsidiaire, de condamner la société Coba et la société Socotec à la garantir intégralement de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;
5°) à titre subsidiaire, de réduire à de plus juste proportion la demande formulée au titre des frais irrépétibles devant le tribunal administratif de Rennes ;
6°) de mettre solidairement à la charge de la commune de Morlaix et de toute autre partie perdante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a commis aucune faute dans la réalisation de sa mission de maîtrise d'oeuvre ; le maitre d'ouvrage n'a pas demandé la réalisation d'une étude géotechnique avant le lancement des travaux ; elle n'a par ailleurs commis aucune faute dans sa mission de suivi des travaux ;
- c'est un défaut d'exécution imputable à la société Coba, titulaire du lot gros oeuvre, qui est responsable de la cause des désordres ; cette société doit donc la garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- la commune de Morlaix a décidé de ne pas réaliser d'études de sols ; sa part de responsabilité ne peut être inférieure à 50 % ;
- le montant du préjudice indemnisable doit être limité au montant HT, dès lors que la commune n'apporte pas la preuve qu'elle ne peut bénéficier de la récupération de la TVA et qu'elle bénéficie au titre des grosses réparations du fonds de compensation pour la TVA ;
- il y a lieu de retenir un abattement de 30 % en raison de la vétusté de l'ouvrage ;
- le recours à des experts géotechniques n'a pas été décidé contradictoirement ; les frais d'expertise n'ont donc pas à être mis à sa charge.
Par des mémoires, enregistrés le 28 novembre 2017 et le 4 mai 2018, la société Coba, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'exclure sa responsabilité dans la survenance des désordres, de condamner in solidum les sociétés Prisme Architectes et Socotec et la commune de Morlaix à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre et de rejeter toutes les autres conclusions dirigées contre elle ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter sa part de responsabilité à 10 % et de condamner in solidum les sociétés Prisme Architectes et Socotec et la commune de Morlaix à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, à hauteur de la quote-part de responsabilité retenue ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de confirmer le jugement attaqué et de procéder aux rectifications d'erreurs matérielles dont il est entaché ;
4°) en tout état de cause de fixer hors taxes le montant des condamnations au titre des réparations ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Morlaix et de toute autre partie perdante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'associe aux demandes de la société Prisme Architectes tendant à la réformation du jugement en tant qu'il a sous-estimé la part de responsabilité du maître d'ouvrage ;
- alors qu'elle dispose d'un service technique compétent, la commune de Morlaix a majoritairement concouru à la survenance des fissurations de l'ouvrage réalisé ; sa quote-part de responsabilité doit être en conséquence réévaluée ;
- sa responsabilité doit être exclue ou à tout le moins limitée à 10 % ; il ne saurait lui être reproché une mauvaise exécution des fouilles en raison de la présence d'eau alors que la protection des ouvrages de fondation contre les venues d'eau lors de l'exécution des travaux faisait seulement l'objet d'une option du marché de travaux ; la circonstance que l'expert a indiqué que la mauvaise gestion des eaux pouvait être à l'origine des désordres constatés relève, non pas d'une certitude, mais d'une simple hypothèse ;
- s'agissant du montant des travaux de réparation, il doit nécessairement s'apprécier hors taxes compte tenu de la faculté dont dispose la commune de Morlaix d'obtenir via le fonds de compensation pour la TVA, la compensation des sommes qu'elle acquittera aux constructeurs pour la réalisation des travaux de réparation préconisés par l'expert ; à tout le moins, la commune serait seulement fondée à réclamer le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée non couverte par cette compensation du fonds de compensation pour la TVA ;
- le montant des condamnations tel que calculé par le tribunal au terme de son considérant 16 est erroné ; la commune ne peut obtenir la condamnation à réparation que sur la base de 101 285,74 euros TTC, soit 80% x 126 607, 18 TTC et non 106 694,73 euros TTC ; les premiers juges auraient dû fixer la quote-part imputable à chaque défendeur par rapport à une base de 100 et non de 80, soit 31,25 % pour elle, 56,25 % pour la société Prismes Architectes et 12,50 % pour la société Socotec, le tout représentant 80 % des sommes mises in fine à la charge des défendeurs.
Par des mémoires, enregistrés les 7 mai 2018 et 4 octobre 2018, la société Socotec, représentée par MeF..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'exclure sa responsabilité dans la survenance des désordres et débouter les sociétés Prisme Architectes et Coba et la commune de Morlaix de toutes leurs demandes en garantie ;
2°) à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner in solidum la commune de Morlaix, la société Coba et la société Prismes Architecte à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;
3°) de constater en toute hypothèse le caractère subsidiaire de sa responsabilité, la quote-part mise à sa charge ne pouvant dans ces conditions excéder 5% des travaux de reprise ;
4°) de débouter la commune de Morlaix de toutes ses demandes de majoration du taux de TVA des éventuelles condamnations à intervenir, qui ne pourront l'être que sur une base hors taxes ;
5°) de mettre à la charge des parties perdantes la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en application des dispositions de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, sa responsabilité ne pouvait être engagée au titre de la garantie décennale des constructeurs ; l'expert ne lui a attribué aucune responsabilité dans la survenue des désordres ; elle a clairement conseillé au maitre d'ouvrage dans son rapport initial du 15 novembre 2004 de faire procéder à des études géotechniques ; dans son avis du 1er février 2005 en phase de réalisation elle n'a jamais conclu l'inverse ;
- aucune faute ne peut lui être reprochée en phase de réalisation des travaux dès lors qu'elle a signalé, dès le 16 février 2005, qu'un profilage était nécessaire pour éviter l'accumulation des eaux le long de la façade ;
- sa responsabilité ne peut être que subsidiaire ; elle doit être garantie intégralement de toute condamnation prononcée à son encontre ;
- les condamnations doivent être prononcées HT ;
- les frais de relogement durant les travaux, chiffrés à hauteur de 2 870 euros, ne sont pas justifiés.
Par un mémoire, enregistré le 21 juin 2018, la commune de Morlaix, représentée par MeG..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 avril 2017 en ce qu'il a retenu sa faute dans la survenance des désordres, rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des frais résultant du transfert du centre de loisirs et rejeté sa demande tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) en conséquence, par la voie de l'appel incident et provoqué, de condamner conjointement et solidairement, à défaut chacun pour son fait, les sociétés Prisme Architectes, Socotec et Coba à lui verser la somme de 126 607,18 euros au titre des travaux de reprise, 2 870 euros au titre des frais de relogement du pôle petite enfance, 5 370,62 euros au titre des frais d'expertise judiciaire, 6 761,23 euros au titre des investigations diligentées pour les besoins de l'expertise ;
3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la demande d'enregistrement de la requête et de la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle ;
4°) de mettre à la charge conjointement et solidairement, à défaut chacun pour son fait, la somme de 11 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle n'a commis aucune faute ; la mauvaise analyse du sol est imputable à la société Socotec ; elle aurait dû dès le stade de la conception émettre un avis défavorable et non un avis suspendu ; en cours d'exécution, elle aurait dû alerter le maître d'ouvrage sur l'absence d'études des sols ;
- les travaux de reprise nécessitent le déménagement du pôle petite enfance et son réaménagement compte tenu de la durée des travaux ;
- la société Prisme Architectes en tant que maitre d'oeuvre est responsable des dommages qui ont pour origine un défaut de conception et de réalisation des fondations de l'ouvrage ; la mission " études d'esquisse " incombait bien au maître d'oeuvre ; l'absence de réalisation de ces études ne saurait lui être imputable ;
- la société Coba en tant qu'entrepreneur en charge des travaux est également responsable ;
- la société Socotec en tant que contrôleur technique ne l'a pas alertée de la nécessité de réaliser des études géotechniques ;
- il n'y a pas lieu de pratiquer un abattement pour cause de vétusté dès lors que les désordres sont apparus moins de un an après l'achèvement des travaux.
- il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement pour plus-value à l'ouvrage dès lors que les travaux de reprise ont juste pour effet de remédier aux désordres.
- les indemnisations doivent être prononcées TTC dès lors que les sociétés Prisme Architectes, Coba et Socotec ne renversent pas la présomption de non-assujettissement à la TVA dont elle bénéficie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la construction et de l'habitation;
- le code général des impôts ;
- le décret 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Allio-Rousseau,
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la commune de Morlaix et celles de MeE..., représentant la société COBA.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Morlaix a engagé une opération de travaux relative à la réalisation d'une extension du bâtiment de son pôle de la petite enfance. Par acte d'engagement du 29 avril 2004 la maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à un groupement, dont la société Prisme Architectes est le mandataire. Par convention du 11 octobre 2004, les missions de contrôle technique et de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé des travailleurs ont été confiées à la société Socotec, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Socotec constructions. Par acte d'engagement du 16 décembre 2004, le lot n° 1 relatif au gros-oeuvre a été confié à la société Coba. Ce lot a été réceptionné par un procès verbal de réception du 14 novembre 2005 avec des réserves qui ont été levées par le maître d'oeuvre le 9 mars 2006. Au cours de cette même année, la commune de Morlaix a constaté l'apparition de fissures localisées sur tout le bâtiment. Le 3 avril 2014, la ville de Morlaix a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'ordonner une expertise relative à ces désordres. L'expert ainsi désigné a remis son rapport définitif le 1er décembre 2014. La commune de Morlaix a alors demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société Prisme Architectes, la société Coba et la société Socotec à réparer le préjudice subi sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs. Par un jugement du 20 avril 2017, le tribunal administratif de Rennes a, par un article 1er, condamné conjointement et solidairement les sociétés Prisme Architectes, Coba et Socotec à verser à la commune de Morlaix la somme de 106 694,73 euros TTC en réparation des désordres affectant le bâtiment du pôle de la petite enfance, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2015 avec capitalisation, par un article 2, mis à la charge conjointe et solidaire des sociétés Prisme Architectes, Coba et Socotec à hauteur de 80 % les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 5 370,62 euros, par un article 3, condamné la société Coba à garantir les sociétés Prisme Architectes et Socotec à hauteur de 25 % des condamnations prononcées par les articles 1er et 2, par un article 4, condamné les sociétés Prisme Architectes et Socotec à garantir la société Coba à hauteur, respectivement, de 45 % et 10 % de ces mêmes condamnations et, par un article 5, rejeté le surplus des conclusions de la demande de la commune de Morlaix et des appels en garantie. La société Prisme Architectes demande à titre principal l'annulation de ce jugement, à titre subsidiaire sa réformation. La commune de Morlaix, par la voie de l'appel incident et provoqué, en demande la réformation. La société Coba et la société Socotec, à titre principal, en demandent l'annulation et en conséquence le rejet de la demande de la commune de Morlaix, à titre subsidiaire, en demandent la réformation par la voie de l'appel incident et provoqué.
Sur la responsabilité décennale :
2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Cette garantie est due par les constructeurs, en l'absence même de faute imputable à ces derniers, dès lors que les désordres peuvent être regardés comme leur étant imputables au titre des missions qui leur ont été confiées par le maître de l'ouvrage dans le cadre de l'exécution des travaux litigieux.
En ce qui concerne la nature des désordres :
3. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les désordres se manifestent par la présence sur toutes les façades du bâtiment de fissures et de lézardes dont le caractère évolutif a été mis en évidence par la pose de témoins de plâtres en 2008. Ils affectent la structure du gros oeuvre du bâtiment et sa solidité et sont ainsi de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.
En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :
4. Il résulte de l'instruction que les fissurations relevées sont typiques d'un phénomène de tassement différentiel et de mouvements de fondations. L'origine et les causes des désordres, selon l'expert désigné en référé, sont attribuées d'une part, à l'absence d'étude géotechnique, préalable à la phase de conception de l'ouvrage, et destinée à détecter, évaluer et maîtriser les risques encourus inhérents au projet et les conséquences des aléas géotechniques et, d'autre part, à un défaut d'exécution, puisqu'il était prévu au CCTP du lot n° 1 " terrassements, gros oeuvre " que les talus soient protégés des éventuelles venues d'eau.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le contenu de l'élément de mission " Etudes d'esquisse " de la maitrise d'oeuvre, décrit dans l'annexe 1 du cahier des clauses administratives particulières de ce marché, et qui consiste à " vérifier la faisabilité de l'opération au regard des différentes contraintes du programme et du site et proposer éventuellement des études géologiques et géotechniques (...) complémentaires " a été rayé ainsi que dans l'annexe 1 de l'acte d'engagement du 29 avril 2004 de la maitrise d'oeuvre. Toutefois, le rapport initial établi le 15 novembre 2004 par la société Socotec en sa qualité de contrôleur technique, adressé à la commune de Morlaix et à la société Prisme Architectes, comprend un " avis suspendu " sur l'étude géotechnique qui indique que " des investigations concernant le sol sont à mener pour valider les hypothèses suivantes : - fondations superficielles, - dallage sur terre plain ". Ainsi, avertie du risque que la conception de l'ouvrage était susceptible de ne pas être en adéquation avec la nature du sol, la société Prisme Architectes devait prescrire la réalisation des études géotechniques pour éviter un défaut de conception, ou à tout le moins attirer l'attention de la commune de Morlaix sur la nécessité d'en prescrire. Ainsi, la société Prisme Architectes n'a pas procédé à la vérification de la compatibilité de la solution qu'elle avait retenue au regard des contraintes géotechniques du site et a donc été à l'origine du défaut de conception de l'ouvrage. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le maître d'oeuvre a été défaillant dans l'exécution de sa mission de surveillance des travaux lors de la phase d'exécution des fondations, qui a été caractérisée par une mauvaise gestion de l'eau en phase chantier et, comme l'a relevé l'expert, a été réalisée en l'absence de protection pour la venue d'eau dans les fouilles de la façade de l'ouvrage.
6. En deuxième lieu, le rapport initial établi le 15 novembre 2004 par la société Socotec en sa qualité de contrôleur technique comprend un " avis suspendu " sur l'étude géotechnique. Toutefois, selon l'avis en phase de réalisation établi le 1er février 2015, la société Socotec a, sous la rubrique " sondages de reconnaissance pour les fondations de travaux ", émis un avis favorable constatant la concordance entre la nature des sols rencontrés et l'hypothèse d'exécution des fondations alors que ces sondages avaient été réalisés en dehors de l'emprise du projet pour vérifier l'hypothèse de sol prise en compte par la maitrise d'oeuvre.
7. En troisième lieu, il résulte du rapport de l'expertise que la société Coba, titulaire du lot n°1 relatif au gros-oeuvre, a mal exécuté, lors de la mise en place des fondations, des fouilles qui lors du terrassement n'ont pas été protégées par un talus de la présence d'eau, et a fait procéder à des sondages du sol pour l'exécution des fondations hors de l'emprise de 1'ouvrage.
8. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 3 à 7 que la commune de Morlaix est fondée à demander la mise en oeuvre de la responsabilité décennale des constructeurs que sont la société Prisme Architectes, la société Coba et la société Socotec.
9. Toutefois, l'attention de la commune de Morlaix a été attirée par la société Socotec, dans son rapport établi le 15 novembre 2004, sur 1'opportunité d'effectuer une étude géotechnique pour la réalisation d'un dallage sur terre plain. En s'abstenant de prendre en compte cet avis suspendu, qui a été établi en vue d'attirer son attention sur les aléas techniques susceptibles d'entraver la solidité de l'ouvrage, la commune de Morlaix a commis une faute de nature à exonérer partiellement les constructeurs de leur responsabilité. Dans ces conditions, la commune de Morlaix n'est fondée à rechercher la responsabilité des sociétés Prisme Architectes, Socotec et Coba qu'à raison d'une partie des conséquences dommageables des désordres survenus. La faute de la commune de Morlaix est de nature à atténuer à hauteur de 20 % la responsabilité des constructeurs.
En ce qui concerne le montant des préjudices :
10. En premier lieu et d'une part, il résulte de l'instruction que compte tenu de la gravité des désordres et de leur généralisation, la commune de Morlaix est fondée à demander la réalisation de travaux consistant à remédier aux désordres par injection de résine expansive pour un montant de 126 607,18 euros TTC, qui, compte tenu de la date d'apparition des désordres, ne doit pas être réduit par application d'un abattement pour vétusté de l'ouvrage. D'autre part il y a lieu de tenir compte des frais engagés à l'occasion de la réalisation des études géotechniques en 2012 par la société Hydrogéotechnique Nord et Ouest à la demande de la commune de Morlaix pour un montant de 6 761,23 euros TTC. Enfin, il résulte de l'instruction que, pendant la durée des travaux, le centre de loisirs qui occupe le pôle enfance, et qui est ouvert tous les mercredis et pendant les vacances scolaires, doit être transféré dans une école maternelle. La commune de Morlaix chiffre le coût de la privation de jouissance des locaux à la somme de 2 870 euros qui n'est pas sérieusement contestée par les autres parties.
11. En second lieu, le montant des dommages dont un maître d'ouvrage est fondé à demander réparation aux constructeurs en raison des désordres qui leur sont imputables correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître de l'ouvrage ne relève d'un régime fiscal qui lui permet normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle dont il est redevable à raison de ses propres opérations. En vertu du premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts, les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsion dans les conditions de la concurrence. Il suit de là que la commune, comme elle l'affirme, ne peut déduire la taxe ayant grevé les travaux de réfection des équipements à vocation sociale pour son compte par des constructeurs et que, par suite, le montant de cette taxe doit être inclus dans le montant du préjudice indemnisable subi par cette collectivité du fait de ces constructeurs, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la commune justifiait n'être pas susceptible de déduire cette taxe, la circonstance qu'elle peut bénéficier du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée étant sans incidence sur la solution du litige. Il appartient en conséquence à la société requérante ainsi qu'aux autres constructeurs de renverser cette présomption, ce qu'ils ne font pas par leurs simples affirmations.
12. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 10 et 11 que l'indemnité due à la commune de Morlaix en réparation des préjudices subis du fait des désordres affectant le pôle petite enfance doit être fixée à la somme totale de 108 990,72 euros TTC.
En ce qui concerne les frais d'expertise :
13. Les dépens, liquidés et taxés à la somme de 5 370,62 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Rennes, doivent être mis, à hauteur de 80 %, à la charge définitive et solidaire de la société Prisme Architectes, Socotec et Coba compte tenu du partage de responsabilité défini au point 9.
En ce qui concerne les appels en garantie :
14. Eu égard aux manquements respectifs du maitre d'oeuvre, de la société ayant réalisé les travaux et du bureau de contrôle, rappelés aux points 4 à 7 il sera fait une juste appréciation des responsabilités encourues par les constructeurs en fixant à 55 % la part de la charge définitive de la réparation incombant à la société Prisme Architectes, à 35 % celle de la société Coba et à 10 % celle de la société Socotec.
S'agissant de la société Prisme Architectes :
15. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Coba et la société Socotec à garantir la société Prisme Architectes à hauteur de 35 % et de 10 % du montant des condamnations mises à sa charge.
S'agissant de la société Coba :
16. Il résulte du point 14 qu'il y a lieu de condamner la société Prisme Architecte et la société Socotec, à garantir la société Coba à hauteur de 55 % et de 10 % du montant des condamnations mises à la charge de celle-ci.
S'agissant de la société Socotec :
17. Il résulte du point 14 qu'il y a lieu de condamner la société Prisme Architectes et la société Coba à garantir la société Socotec à hauteur de 55 % et de 35 % du montant des condamnations mises à la charge de celle-ci
18. En revanche, les appels en garantie dirigés contre la commune de Morlaix, qui n'a pas la qualité de constructeur, ne peuvent qu'être rejetés.
19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, d'une part, que l'appel principal de la société Prisme Architectes doit être rejeté. D'autre part, la commune de Morlaix est seulement fondée à soutenir qu'il y a lieu de fixer le montant total de son indemnisation à hauteur de 108 990,72 euros TTC. Enfin, il y a lieu de faire droit aux conclusions d'appels provoqués présentés par la société Prisme Architectes, la société Socotec et la société Coba dans la limite des partages de responsabilité fixés entre elles au point 14.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La société Prisme Architectes, la société Coba et la société Socotec sont condamnées solidairement à verser à la commune de Morlaix la somme de 108 990,72 euros TTC en réparation des désordres affectant le bâtiment du pôle enfance.
Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 5 370,62 euros le 15 décembre 2014, sont mis à la charge de la société Prisme Architectes, la société Coba et la société Socotec à hauteur de 80 % et à la charge de la commune de Morlaix à hauteur de 20 %.
Article 3 : La société Coba et la société Socotec sont condamnées à garantir la société Prisme Architectes à hauteur de 35 % et de 10 % du montant des condamnations prononcées à son encontre.
Article 4 : La société Coba et la société Prisme Architectes sont condamnées solidairement à garantir la société Socotec à hauteur de 35 % et de 55 % du montant des condamnations prononcées à son encontre.
Article 5 : La société Prisme Architectes et la société Socotec sont condamnées solidairement à garantir la société Coba à hauteur de 55 % et de 10 % du montant des condamnations prononcées à son encontre.
Article 6 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 20 avril 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1 à 5 du présent arrêt.
Article 7 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Prisme Architectes, à la commune de Morlaix, à la société Coba et à la société Socotec Constructions.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, président assesseur,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au préfet des Côtes d'Armor en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT01797