Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juin 2019, M. D... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 décembre 2019 en tant qu'il rejette son recours formé contre la décision de transfert ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2019 du préfet de Maine-et-Loire ordonnant son transfert aux autorités allemandes ;
3°) subsidiairement, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de l'interprétation de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
4°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ;
- les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il n'a pas reçu l'information requise, dans une langue comprise, dès sa présentation à la plate-forme d'accueil des demandeurs d'asile alors qu'il avait fait part de son intention de solliciter l'asile dès cette date ; une question préjudicielle devrait être posée à la cour de justice européenne quant à l'application de la jurisprudence Mengensteab et de cet article du règlement ;
- son droit à l'information au moment de sa prise d'empreintes a été méconnu au regard des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, au regard de son état de santé ; il souffre d'une hépatite B pour laquelle il est suivi au service infectiologie du CHU de Nantes et est également suivi pour des douleurs aux genoux et aux épaules ;
- les stipulations des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ; il n'a aucune certitude d'un accès aux soins en Allemagne ;
- l'arrêté procède d'une application manifestement erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé et informe la cour que la décision de transfert de M. A... a été exécutée.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas, président assesseur ;
- et les observations de Me B..., représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 14 décembre 1998, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 2 novembre 2019 et y a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 14 novembre suivant. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été relevées le 2 août 2018 par les autorités allemandes lors du dépôt de sa demande d'asile. Le préfet de Maine-et-Loire a alors adressé aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de l'intéressé, que ces mêmes autorités ont explicitement acceptée le 20 novembre 2019 sur le fondement de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 9 décembre 2019, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de M. A... aux autorités allemandes et l'a assigné à résidence. M. A... relève appel du jugement du 27 décembre 2019 en tant que par ce jugement le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2019 décidant son transfert aux autorités allemandes.
2. En vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lorsqu'une telle demande est présentée, un seul Etat, parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet Etat, dit Etat membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun Etat membre ne peut être désigné sur la base de ces critères, du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 de son chapitre II. Si l'Etat membre responsable est différent de l'Etat membre dans lequel se trouve le demandeur, ce dernier peut être transféré vers cet Etat, qui a vocation à le prendre en charge. Lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI de ce même règlement.
3. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. Ainsi, doit notamment être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
5. La décision de transfert contestée vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier son article L. 742-3, et indique que M. A... a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique et que les recherches entreprises sur le fichier Eurodac ont fait apparaître que l'intéressé avait déposé une demande d'asile en Allemagne le 2 août 2018. Elle doit être regardée comme suffisamment motivée, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement. Cette décision comporte également un exposé de la situation personnelle et familiale de l'intéressé et des problèmes médicaux dont il a indiqué souffrir. Elle comporte ainsi un exposé détaillé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé pour considérer l'Allemagne comme responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A... et décider son transfert auprès des autorités de ce pays. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision ne satisferait pas à l'exigence légale de motivation doit être écarté.
6. En deuxième lieu, la méconnaissance de l'obligation d'information prévue par les dispositions du 1 de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, qui a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision portant remise de l'intéressé aux autorités allemandes.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
8. Il résulte des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application du règlement au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
9. Au cas d'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 14 novembre 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé le 14 novembre 2019, sont rédigés en français, langue qu'il a déclaré comprendre, ainsi que cela ressort des termes du compte-rendu de l'entretien individuel sur lequel il a également apposé sa signature, et dont le contenu lui a également été communiqué oralement lors de l'entretien du même jour où il était assisté d'un interprète en langue soussou. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans une structure de pré-accueil. Par suite, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
10. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que M. A... reprend en appel sans plus de précision, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)".
12. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de la situation de M. A... et des conséquences de son transfert en Allemagne au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile et de son état de santé. A cet égard, si M. A... fait état du fait qu'il souffre d'une hépatite B, de douleurs aux genoux et aux épaules, et qu'il a été opéré en ambulatoire en France d'une hernie inguinale, les documents produits ne permettent pas à eux seuls de démontrer que son état de santé le placerait dans une situation d'exceptionnelle vulnérabilité et qu'il ne pourrait bénéficier en Allemagne, où son hépatite a été diagnostiquée, des soins utiles requis. D'autre part, M. A... ne démontre pas davantage que son transfert en Allemagne l'exposerait personnellement au risque de subir des traitements inhumains ou dégradants dans ce pays, au regard notamment de ses problèmes de santé, de sa qualité de demandeur d'asile ou de sa nationalité. Dans ces conditions M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées.
13. En sixième lieu, pour les motifs exposés au point précédent, M. A... n'est pas davantage fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une violation des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 décembre 2019 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert en Allemagne. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 janvier 2021.
Le rapporteur,
C. RivasLe président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°20NT01796
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