Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 mai 2018, M.C..., représenté par Me Roulleau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 avril 2018 du préfet de Maine-et-Loire ordonnant sa remise aux autorités italiennes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que la décision de remise aux autorités italiennes méconnaît les articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que les articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2018, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. C...n'est fondé.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Besse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant somalien né le 15 janvier 1996 déclarant être entré irrégulièrement en France le 30 décembre 2017, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de Maine-et-Loire le 9 février 2018. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes avaient été précédemment relevées le 12 décembre 2017 en Italie dont il avait irrégulièrement franchi les frontières. Le préfet de Maine-et-Loire a alors saisi les autorités italiennes le 30 janvier 2018 d'une demande de prise en charge de l'intéressé sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont implicitement acceptée. Par un arrêté du 4 avril 2018, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de remettre M. C... aux autorités italiennes. M. C...relève appel du jugement du 24 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 4 avril 2018 :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe, cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
3. Il est constant qu'ainsi que M. C...l'avait indiqué lors de l'entretien individuel dont il a bénéficié le 30 janvier 2018, le père du requérant, que ce dernier déclare avoir voulu rejoindre, réside régulièrement en France depuis plusieurs années, sous couvert d'une carte de résident de dix ans qui lui a été délivrée le 22 septembre 2011 après qu'il a obtenu le bénéfice de la qualité de réfugié par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 novembre 2010. Il ressort en outre des pièces du dossier que la mère de M. C... étant décédée en 2002, son père, en sa qualité de réfugié, avait sollicité le 3 juillet 2011, sans l'obtenir, le regroupement familial au bénéfice de sept de ses enfants, dont le requérant qui était alors encore mineur. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire en France la demande d'asile de M. C..., qui d'ailleurs n'a pas sollicité l'asile en Italie, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, et afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2018 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. M. C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Roulleau, avocat de M.C..., d'une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1803255 du 24 avril 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 4 avril 2018 du préfet de Maine-et-Loire décidant la remise de M. A... C...aux autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Roulleau, conseil de M.C..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 26 février 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mars 2019.
Le rapporteur,
P. BesseLa présidente,
N. Tiger-WinterhalterLe greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02050