Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2017, et des mémoires, enregistrés les 6 mars 2018, 28 mai 2018, 30 juillet 2018 et 29 août 2018, la SCI Voltaire-Sellières, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 octobre 2017 ;
2°) de condamner la commune de Rezé à lui verser une indemnité de 294 506,12 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait des carences du maire de Rezé dans l'exercice de ses pouvoirs de police ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Rezé le versement à son profit d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le maire de Rezé, en s'abstenant de faire usage de ses pouvoirs de police générale résultant de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, en dépit du trouble à l'ordre public que constituait la présence persistante de membres de la communauté rom sur le territoire communal, en dehors de l'aire d'accueil spécialement aménagée qui leur est réservée, et de l'occupation sans droit ni titre, par des membres de cette communauté, de la parcelle appartenant à la SCI, a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police de nature à engager la responsabilité de la commune ;
- elle a subi des dommages en lien direct et certain avec la faute commise, du fait de l'occupation sans droit ni titre de son terrain pendant plus de sept mois en 2012, et pendant près de trois mois entre 2013 et 2015, ayant notamment conduit au dépôt sauvage d'une quantité importante de déchets par les occupants ;
- elle justifie des dommages subis tenant au coût de dépollution et de remise en état du terrain, aux pertes de loyers, au préjudice financier constitué pour partie des frais d'huissier et d'avocat, et aux travaux conservatoires réalisés ;
- elle a en outre subi un préjudice moral ;
- dans l'hypothèse où la cour ne s'estimerait pas suffisamment éclairée sur les préjudices subis, il conviendra d'ordonner une expertise avant-dire droit.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 janvier 2018, 13 avril 2018, 19 juillet 2018 et 10 août 2018, la commune de Rezé, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SCI Voltaire-Sellières une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucune faute imputable au maire de Rezé n'est établie ;
- la requérante est irrecevable à demander pour la première fois en appel une indemnité de 27 210 euros correspondant aux frais de dépollution du terrain ;
- en tout état de cause, la requérante ne justifie pas de l'étendue des préjudices qu'elle invoque.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, rapporteur ;
- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour la SCI Voltaire-Sellières ainsi que de Me B... pour la commune de Rezé.
Deux notes en délibéré présentées pour la SCI Voltaire-Sellières ont enregistrées les 19 novembre 2018 et 20 novembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Voltaire-Sellières est propriétaire d'un terrain situé au 110, rue de la Basse Ile, sur le territoire de la commune de Rezé, supportant une habitation et des locaux à usage d'ateliers restés inoccupés à partir du mois d'avril 2012. Le 12 mai 2012, des personnes appartenant à la communauté rom y ont installé quatre caravanes et ont illégalement occupé l'immeuble pour y habiter. Par une ordonnance du 9 août 2012, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nantes a ordonné, à la demande de la SCI Voltaire-Sellières, l'expulsion sans délai des occupants sans droit ni titre, laquelle est intervenue le 20 décembre 2012. Le même jour, la commune de Rezé a procédé à l'installation d'enrochements au droit de la propriété de la SCI Voltaire-Sellières. Le 27 décembre 2013, d'autres membres de la même communauté ont de nouveau illégalement occupé l'immeuble de la SCI Voltaire-Sellières en y installant une dizaine de caravanes, Une nouvelle procédure judiciaire d'expulsion a alors été engagée dès le 14 janvier 2014, à l'issue de laquelle les occupants, qui avaient obtenu un délai expirant en octobre 2014, ont volontairement quitté les lieux. Ces derniers ont toutefois de nouveau occupé illégalement l'immeuble avant d'être expulsés par les forces de l'ordre le 14 janvier 2015. Par une demande préalable du 15 avril 2015, la SCI Voltaire-Sellières a sollicité de la commune de Rezé le versement d'une indemnité de 294 506,12 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des carences du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police. A la suite du rejet par le maire de Rezé de cette demande préalable, la SCI Voltaire-Sellière a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Rezé à lui verser une indemnité de 294 506,12 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. La SCI Voltaire-Sellière relève appel du jugement du 19 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur l'existence d'une faute du maire de Rezé dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale :
2. L'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales dispose : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques.
3. La SCI Voltaire-Sellières fait grief au maire de Rezé d'avoir fait preuve de carence dans l'exercice des pouvoirs de police qu'il détient des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, faute d'avoir mis en oeuvre les mesures nécessaires pour faire cesser les atteintes au bon ordre, à la sûreté et à la salubrité publiques résultant des occupations illicites successives de l'immeuble lui appartenant.
4. Toutefois, en premier lieu, la circonstance tirée de ce que la commune de Rezé mènerait une politique d'accompagnement social à destination de la communauté rom présente sur son territoire, ne saurait caractériser une carence fautive du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale.
5. En deuxième lieu, la circonstance, même à la supposer exacte, selon laquelle le maire n'aurait pas organisé de réunions de médiation spécifiquement dédiées à la question de la présence de membres de la communauté rom sur le territoire communal ne saurait davantage révéler une faute dans l'exercice par l'autorité municipale de ses pouvoirs de police. Au surplus, ainsi d'ailleurs que le reconnaît la requérante, le sujet de l'accueil des Roms dans la commune a été débattu lors de diverses réunions, notamment le 12 novembre 2014.
6. En troisième lieu, il est constant que l'installation d'enrochements au droit de la propriété de la requérante par la commune de Rezé dès l'expulsion des premiers occupants sans droit ni titre, le 20 décembre 2012, n'a pas empêché une nouvelle intrusion et une nouvelle occupation illégale des lieux un an plus tard, à compter du 27 décembre 2013, par d'autres membres de la même communauté. Toutefois, cette seule circonstance n'est pas de nature à établir que le maire de Rezé se serait abstenu de prendre, ou n'aurait pris que tardivement, dans le cadre de ses pouvoirs de police générale, les mesures susceptibles de prévenir ou de faire cesser les troubles à la sûreté et à la tranquillité publiques occasionnés par l'occupation irrégulière de l'immeuble appartenant à la SCI Voltaire-Sellières. Par ailleurs, la commune de Rezé a proposé à la requérante dès le 14 janvier 2014, soit moins d'un mois après la seconde occupation de l'immeuble, d'engager une procédure conjointe d'expulsion, ce qui a été fait dès le mois de février 2014, et de prendre en charge les frais de cette procédure.
7. Il résulte de ce qui précède que le maire de Rezé ne peut être regardé comme ayant fait preuve de carence dans l'exercice des pouvoirs de police générale qu'il détient de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui serait à l'origine de l'occupation irrégulière de l'immeuble appartenant à la SCI Voltaire-Sellières.
Sur l'existence d'une faute du maire de Rezé dans l'exercice de ses pouvoirs de police des déchets :
8. La SCI requérante fait grief au maire de Rezé de l'avoir illégalement mise en demeure, sur le fondement de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, de procéder à l'enlèvement des déchets abandonnés sur son terrain par les occupants sans droit ni titre, et d'avoir fait preuve de carence dans l'exercice des pouvoirs de police qu'il détient de ce même article en ne mettant pas en demeure ces derniers, en leur qualité de producteurs des déchets en cause.
9. D'une part, les articles L. 541-1 et suivants du code de l'environnement ont créé un régime juridique destiné à prévenir ou à remédier à toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement causée par des déchets. L'autorité investie des pouvoirs de police municipale est seule compétente pour prendre à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets, sur le fondement de l'article L. 541-3, les mesures nécessaires pour assurer l'élimination de ces déchets lorsque leur abandon, leur dépôt ou leur traitement présente de tels dangers. Il appartient au juge d'exercer un plein contrôle sur le respect de l'obligation incombant à l'autorité investie de pouvoir de police municipale de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'élimination de ces déchets.
10. D'autre part, le responsable des déchets au sens de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, tel qu'interprété à la lumière des dispositions de la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006, s'entend des seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets. Si, en l'absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l'obligation d'éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu'un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s'il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu
11. Il résulte de l'instruction que le maire de Rezé a mis en demeure la SCI Voltaire-Sellières, le 27 décembre 2012 puis le 2 avril 2015, de procéder à l'enlèvement des déchets entreposés sur le terrain dont elle est propriétaire. A supposer même que le maire de Rezé ait été en mesure de connaître l'identité des occupants sans droit ni titre successifs de l'immeuble, il ne résulte cependant pas de l'instruction qu'il aurait eu connaissance, d'une part de la présence de déchets sur le site avant le départ des intéressés, d'autre part des nouvelles adresses des occupants illégaux après leur évacuation des lieux. Dans ces circonstances, le maire a pu légalement rechercher, comme il l'a fait, la responsabilité de la SCI Voltaire-Sellières, en sa qualité de propriétaire du terrain sur lequel les déchets étaient entreposés. Par suite, en mettant en demeure la SCI Voltaire-Sellières sur le fondement de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, le maire de Rezé n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Voltaire-Sellières n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Rezé, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SCI Voltaire-Sellières au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En outre, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Rezé sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Voltaire-Sellières est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Rezé sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Voltaire-Sellières et à la commune de Rezé.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 novembre 2018.
Le rapporteur,
P. BesseLa présidente,
N. Tiger-Winterhalter
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03343