Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er avril 2020, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 mars 2020 ;
2°) de renvoyer en conséquence l'affaire devant le tribunal administratif de Nantes ;
3°) subsidiairement, d'annuler les arrêtés du 6 mars 2020 du préfet de Maine-et-Loire ;
4°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé dans le délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois, et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier : il est intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ; l'audience a été tenue de manière irrégulière au regard des articles L. 742-3 et L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile du fait de l'absence de l'interprète qu'il avait sollicité ;
- l'arrêté portant transfert aux autorités croates est irrégulier : il est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, lu au regard de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il n'a disposé des informations exigées par l'article 4 du règlement précité que postérieurement à sa prise d'empreintes et que les brochures lui ont été communiquées en anglais ; il méconnait les articles 7 et 3 du règlement (UE) n° 604/2013 dès lors que seule la Bulgarie, où il a sollicité l'asile pour la première fois, pouvait être désignée comme pays de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant afghan né le 1er février 1985 à Kaboul, a été transféré en Croatie le 17 mai 2019 par les autorités françaises en application du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013. Il a déclaré être revenu irrégulièrement sur le territoire français le 1er décembre 2019 où il a sollicité l'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 28 janvier 2020. Suite au relevé de ses empreintes, il a été constaté qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités croates le 12 août 2018 et le 23 mai 2019. Consécutivement à leur saisine par le préfet de la Loire-Atlantique, ces autorités ont explicitement accepté le transfert de M. C.... Par deux arrêtés du 6 mars 2020, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné la remise de ce dernier aux autorités croates et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. C... relève appel du jugement du 27 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, la minute du jugement ne serait pas signée manque en fait.
3. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier des mentions figurant sur le jugement attaqué, et il n'est pas même soutenu, que M. C... aurait été présent lors de l'audience du 20 mars 2020 qui s'est tenue au tribunal administratif de Nantes. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en raison de l'absence de l'interprète sollicité par l'intéressé avant l'audience est inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ".
5. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
6. M. C... fait valoir d'une part qu'il a reçu tardivement, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, l'information prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 alors qu'elle aurait dû lui être délivrée au plus tard lors du recueil de ses empreintes, et que les brochures communiquées étaient rédigées en langue anglaise, qu'il ne lit pas. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé s'est vu remettre, le 20 janvier 2020, soit le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue anglaise. Il a indiqué au terme de son entretien en préfecture que ces documents lui ont été remis dans une langue qu'il comprend, que leur contenu lui a été communiqué oralement et qu'il les a comprises, sachant qu'il a bénéficié de l'assistance lors de cet entretien d'un interprète en langue pachtoune. L'intéressé se présente par ailleurs comme un ancien interprète en langue française et anglaise et produit divers documents relatifs à ses qualités professionnelles. Dès lors, et nonobstant les dispositions de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.
7. En second lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013: " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. 2. Lorsqu'aucun Etat membre ne peut être désigné sur la base des critères énoncés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. (...)". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)" et aux termes de l'article 18 du même règlement :" I. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (...) d) reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre (....)".
8. M. C... soutient pour la première fois en appel que la décision préfectorale contestée décidant son transfert en Croatie est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'examen de sa situation relève de la Bulgarie, premier Etat dans lequel il a déposé une demande d'asile le 26 juin 2016, ainsi qu'il résulte de la fiche décadactylaire EURODAC produite par le préfet de Maine-et-Loire. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la Croatie s'est reconnue responsable de la situation de M. C... postérieurement à la Bulgarie, et antérieurement à la demande d'asile formulée par ce dernier en France le 28 janvier 2020, dès lors que les autorités croates ont statué sur sa demande le 30 mai 2019, que son recours formé contre cette décision de refus a été rejeté par la juridiction croate compétente le 25 octobre suivant et qu'en réponse à la demande de transfert de M. C... présentée par la France les autorités croates ont explicitement fait droit à cette demande sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement cité au point précédent. Par suite, c'est sans commettre l'erreur de droit alléguée que le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. C... auprès des autorités croates.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 mars 2020 du préfet de Maine-et-Loire. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 25 septembre 2020.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01175