Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2018, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...B...devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- la décision de remise de M. A...B...aux autorités italiennes ne procède pas d'une application erronée de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ni d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'Italie ne peut être considérée comme un pays présentant des défaillances systémiques dans l'application des procédures d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, et que M. A...B...n'établit pas que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie;
- s'agissant des autres moyens invoqués par M. A...B..., il s'en remet à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B..., ressortissant érythréen né le 22 mai 1995 ayant fait l'objet d'un premier transfert en Italie par les autorités françaises le 28 août 2018 et déclarant être revenu irrégulièrement en France le 14 septembre suivant, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de Maine-et-Loire le 10 octobre 2018. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ayant confirmé que ses empreintes avaient été précédemment relevées en Italie les 17 septembre 2014 et 6 juin 2017, le préfet de Maine-et-Loire a alors saisi les autorités italiennes le 11 octobre 2018 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont implicitement acceptée. Par des arrêtés du 6 novembre 2018, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de remettre M. A...B...aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence. Le préfet de Maine-et-Loire relève appel du jugement du 15 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé les arrêtés du 6 novembre 2018 et lui a enjoint d'admettre M. A...B...au séjour en qualité de demandeur d'asile dans le délai de quinze jours, au motif qu'en décidant de le remettre aux autorités italiennes sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement "Dublin III", l'autorité administrative avait commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
3. D'une part, si M. A...B...fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les seuls articles de presse qu'il a produit à l'appui de ces affirmations devant le tribunal administratif ne permettent pas d'établir que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de la situation de l'intéressé et des conséquences de son transfert en Italie en s'abstenant de tenir compte des difficultés de prise en charge des demandeurs d'asile dans ce pays confronté à un afflux massif de réfugiés. Dès lors, le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé, pour le motif rappelé au point 1, l'arrêté du 6 novembre 2018 ordonnant la remise de M. A...B...aux autorités italiennes, et par voie de conséquence l'arrêté prononçant son assignation à résidence.
4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...B...devant le tribunal administratif de Nantes contre les arrêtés du 6 novembre 2018.
En ce qui concerne la décision de remise aux autorités italiennes :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement,(...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) " . Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
6. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions figurant sur le compte-rendu qu'il a signé à l'issue de l'entretien individuel dont il a bénéficié le 10 octobre 2018 avec le concours, par téléphone, d'un interprète assermenté en langue arabe qu'il a déclaré comprendre, que M. A...B...a reçu communication du guide du demandeur d'asile et des brochures d'information, qui comportent l'ensemble des informations requises par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, rédigés dans cette même langue. Par suite, M. A...B...n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas reçu, dès le début de la procédure, une information complète sur ses droits en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
7. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
8. Ainsi qu'il a été dit au point 6, il ressort des mentions figurant sur le formulaire signé par M. A...B...qu'il a bénéficié le 10 octobre 2018, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en langue arabe, que l'intéressé a déclaré comprendre, avec le concours d'un interprète assermenté. Il n'est à cet égard pas démontré que le requérant n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
9. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement.
10. En premier lieu, l'arrêté portant assignation à résidence de M. A...B...vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 561-2, ainsi que l'arrêté du même jour décidant la remise de l'intéressé aux autorités italiennes. Par ailleurs, il mentionne la circonstance que M. A...B...dispose d'une domiciliation à Angers et la nécessité de s'assurer de la disponibilité de celui-ci pour répondre aux convocations de l'administration nécessaires à la mise en oeuvre de la procédure de transfert vers l'Etat-membre requis. L'arrêté, qui comporte ainsi un exposé suffisant des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le préfet de Maine-et-Loire pour décider de l'assigner à résidence, est dès lors suffisamment motivé.
11. En deuxième lieu, il résulte des points 2 à 7 du présent arrêt que M. A...B...n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
12. En troisième et dernier lieu, en se bornant à faire valoir que le préfet de Maine-et-Loire n'a pas suffisamment caractérisé le risque qu'il puisse prendre la fuite, alors que la mesure d'assignation à résidence est précisément justifiée par le fait qu'il présente des garanties propres à prévenir ce risque de fuite, M. A... B..., qui ne conteste pas que l'exécution de la décision d'éloignement représentait une perspective raisonnable, n'établit pas que le préfet, en décidant de l'assigner à résidence, aurait méconnu les dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 15 novembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé les arrêtés du 6 novembre 2018 par lesquels il a décidé la remise de M. A... B...aux autorités italiennes et son assignation à résidence et lui a enjoint d'admettre l'intéressé au séjour en qualité de demandeur d'asile.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...A...B...devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...B...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 mars 2019.
Le rapporteur,
P. BesseLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 18NT04171