Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 mars 2019, M. B..., représenté par Me I... H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de la Loire-Atlantique du 21 novembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir et de transmettre sa demande d'asile à l'OFPRA ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de remise aux autorités italiennes a été signée par une autorité incompétente ; elle méconnaît l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que l'entretien d'évaluation n'a pas été mené par un agent qualifié et était trop sommaire ; la qualité de l'agent ayant mené l'entretien ne ressort pas du compte rendu de celui-ci ; la décision en cause est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du même règlement, et l'Italie souffre de défaillances systémiques au sens de l'article 3 de ce règlement ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de remise.
Par un mémoire, enregistré le 26 juillet 2019, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant soudanais, né le 17 juillet 1994 au Soudan, a demandé en France l'asile le 16 juillet 2018. A la suite du relevé de ses empreintes digitales, il a été constaté qu'il avait franchi irrégulièrement la frontière de l'Italie, Etat membre dans lequel il était entré en provenance d'un État tiers. Les autorités italiennes ont été saisies le 26 juillet 2018 d'une demande de prise en charge en application de l'article 13.1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui a donné lieu à un accord implicite. Par un courrier du 6 septembre 2018, M. B... a demandé la prise en charge de sa demande d'asile par les autorités françaises, sur le fondement de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 21 novembre 2018, le préfet de la Loire-Atlantique a décidé, d'une part, la remise de M. B... à l'Italie et, d'autre part, son assignation à résidence. Par un jugement du 26 novembre 2018, dont il est relevé appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêts.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, la décision de transfert du requérant vers l'Italie a été signée par Mme F..., chef du bureau du contentieux et de l'éloignement. Or, par un arrêté du 1er novembre 2018 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 2 novembre 2018, le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique assurant l'intérim du préfet a donné délégation à Mme G..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer notamment les décisions d'éloignement prises dans le cadre de l'Union européenne, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme G..., à M. D... et, en cas d'absence ou d'empêchement simultanés de ces deux personnes, à des chefs de bureau dont Mme F.... Les décisions d'éloignement ainsi visées doivent être regardées comme incluant celles régies par l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, portant transfert vers l'Etat responsable de la demande d'asile. Dès lors qu'il n'est établi ni même allégué que Mme G... et M. D... n'auraient pas été simultanément absents ou empêchés, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte manque en fait.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, relatif à l'entretien individuel : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. (...) ". Par ailleurs, l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel, mené en langue arabe avec l'assistance d'un interprète d'un organisme d'interprétariat agréé par l'administration, n'a pas privé le requérant de la garantie tenant au bénéfice d'un entretien individuel et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
6. D'une part, le requérant doit être regardé comme invoquant l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie. Toutefois, ses allégations de caractère général, étayées partiellement par des citations de rapports émanant d'organisations internationales ou d'organisations non gouvernementales, ne permettent ni de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord implicite à la demande de prise en charge adressée par les autorités françaises, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ni de supposer que, compte tenu de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, le requérant courrait dans cet Etat membre de l'Union européenne un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013.
7. D'autre part, le requérant insiste, en se prévalant des rapports mentionnés au point précédent, sur les difficultés rencontrées par les autorités italiennes face à l'afflux de migrants et soutient qu'au cours de son précédent séjour en Italie, l'accès à la procédure de demande d'asile lui a été dénié et qu'il n'a pu bénéficier du secours exigé par son état de nécessité. Toutefois, les rapports qu'il invoque retracent des faits qui ne sont pas propres à sa situation et sont, en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point précédent, insuffisants pour démontrer que l'Italie serait dans l'incapacité de traiter, dans les conditions exigées de tout Etat membre de l'Union, sa demande d'asile. Par ailleurs, les allégations du requérant relatives à son précédent séjour en Italie ne sont ni suffisamment circonstanciées ni suffisamment étayées pour établir que le secrétaire général de la préfecture de la Loire-Atlantique aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la faculté que lui accorde l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande à fin d'annulation dirigées contre la décision de transfert en Italie. Il en va de même des conclusions d'appel dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il statue sur la décision d'assignation à résidence dès lors que l'exception d'illégalité de la décision de transfert en Italie ne peut qu'être écartée. Par suite, les conclusions relatives aux frais liés au litige doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 novembre 2019.
Le rapporteur,
T. C...Le président,
L. Lainé
Le greffier,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT00928
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